Verres : étape n° 30 – Ma Via Francigena

De Chatillon à Verres
De Chatillon à Verres

Mardi 1er octobre.
Trente-et-unième jour : Rome est à 944 kilomètres.

8 heures. J’entame mon deuxième mois de marche.

Ce matin après avoir pris un petit-déjeuner dans un bar je suis monté à l’église Saint-Pierre. Depuis son parvis on a une belle vue sur les toits en lauzes de la ville, et au loin, sur des châteaux perchés sur leur piton qui se découpent dans la vallée noyée dans la brume. En contrebas j’ai aperçu mes compagnons de route.

Chatillon
Chatillon

En fait ils avaient bien réservé au même hôtel que moi, mais quand ils se sont présentés on leur a dit que ce n’était pas vrai, qu’il n’y avait aucune trace de leur réservation et que de toute façon il n’y avait plus de place. Cet établissement est décidément un modèle de gestion rigoureuse. Heureusement ils ont pu trouver un autre hôtel, mais, en cours de changement de propriétaire, il n’y avait aucune possibilité de repas ou de petit-déjeuner : pas de quoi abattre le moral de futurs romieux.

En chemin
En chemin

Le ciel est très couvert et ça sent la pluie. Comme hier le chemin suit la vallée à flanc de coteaux. Il passe son temps à monter, parfois de façon très raide, à descendre, à suivre des petits canaux ou des canalisations d’irrigation, à traverser des vignes et à enjamber des petits torrents. Comme hier j’essaye de prendre un peu d’avance sur mes compagnons.

Saint-Vincent - Les thermes
Saint-Vincent – Les thermes

9 h 30, j’arrive à Saint-Vincent. Au niveau des thermes, à une bifurcation en fourche, sans doute aguiché par sa pente descendante, je choisis le petit chemin qui part à droite tout en restant pratiquement parallèle à la route principale. Au bout d’un moment, n’apercevant plus aucune balise « 103 », je rebrousse chemin pour tomber nez à nez avec mes compagnons. Pierre, le Québécois, est équipé d’un GPS qui a en mémoire une trace de la Via Francigena trouvée sur Internet. Ils avaient commencé à prendre la même direction que moi quand ils se sont aperçus qu’ils s’écartaient du tracé GPS. Vive la technologie.

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En chemin - Le Val d'Aoste
En chemin – Le Val d’Aoste

10 h 15, ça y est j’ai ma chambre pour ce soir à l’Auberge de Jeunesse « Il Casello » à Verres. J’avais essayé d’appeler plusieurs fois et ça ne répondait jamais. Cette fois c’est la bonne. L’échange s’est fait en anglais.

J’ai rangé la cape et le gilet dans le sac. C’est brumeux, mais il y a de grandes parties de ciel bleu et il ne fait pas froid. L’étape ne fait qu’une vingtaine de kilomètres, il ne me reste que deux barres de céréale, mais cela devrait suffire et puis je trouverai peut-être quelque chose en route.

En montant au Château de Saint-Germain
En montant au Château de Saint-Germain

10 h 30, je me suis encore fourvoyé, il faut dire que le balisage n’est pas surabondant, j’ai fait demi-tour pour retourner à l’endroit où j’avais bifurqué, mais il n’y avait aucun signe. Pendant ce petit bout de chemin un gros chien noir avec de grosses dents blanches s’est précipité vers moi. Je l’ai tenu à distance avec mes bâtons tout en reculant et dès que je suis sorti de sa zone d’influence il m’a laissé partir d’autant que sa maîtresse était arrivée en courant pour le calmer. J’avoue que je n’en menais pas large, il était énorme.

Au niveau de l’église Saint-Germain de Montjovet mon guide n’est pas clair, le marquage n’est pas clair, bref je perds à nouveau le chemin. Je monte en direction du Château Saint-Germain en espérant le retrouver. Le détour vaut la peine, mais ce n’est pas la bonne direction. Je redescends, je retrouve les balises, et je tombe à nouveau sur un chien agressif. Sans doute sidéré par mon air déterminé il consent à me laisser la voie libre. Je plaisante, mais j’ai bien cru que je ne passerais pas, parfois cela fait vraiment peur.

En chemin
En chemin

À Toffo, je retrouve la joyeuse équipe en train de pique-niquer au soleil sur des bancs publics. Je les croyais derrière moi, mais c’est vrai qu’avec tous ces détours… Eux aussi se sont fourvoyés, mais grâce au GPS ils se sont rattrapés en improvisant un itinéraire. Ils me proposent de les rejoindre, de m’asseoir à côté d’eux. Mais à l’idée de déballer mes petites barres de céréale j’ai un peu honte, ils vont probablement se sentir obligés de partager leurs provisions ce qui me gêne d’avance, donc je remercie et leur annonce que je continue encore un peu.

Quelques kilomètres plus loin je suis au pied de l’église paroissiale de Montjovet. Il est environ 12 h 45. D’après le guide je n’aurais fait que treize kilomètres, en 4 h 30 ! Soit je me traîne, pourtant je me sens en forme, soit il y a un problème dans le kilométrage. Mais il est vrai aussi que j’ai un peu divagué. Dans tous les cas il ne reste même pas dix kilomètres. L’église est entourée d’une petite pelouse accueillante, en terrasse, malheureusement à l’ombre. Je m’installe dans un recoin, à l’abri du vent, mais il fait quand même un peu frais, je ne sais pas si je vais pouvoir rester longtemps pourtant j’aurais bien fait une petite sieste, cette succession de montées et de descentes finit par fatiguer.

En chemin
En chemin

Il y a un sujet que je n’ai pas abordé : les odeurs. Je ne parle pas de la mienne, qui n’est sans doute pas neutre. Dans tous les accueils on peut prendre une douche, donc sur ce plan-là rien à dire, mais pour les vêtements c’est une autre histoire. Pratiquement tous les soirs je fais une petite lessive du linge de corps, mais pour le reste c’est plus compliqué, sans machine à laver ni essoreuse les temps de séchage, surtout en cette saison, peuvent être rédhibitoires et, par exemple, je n’ai pas eu l’occasion de laver mon short depuis que j’ai été accueilli par Nathalie et Mathieu juste avant Besançon, il y aura bientôt deux semaines. Ce soir il paraît qu’il y a une machine à laver : elle ne va pas chômer ! Non, en fait je voulais évoquer les senteurs qui nous enrobent, qui nous accompagnent, dès qu’il fait un peu chaud quand on traverse la campagne, la montagne.

Le guide propose une alternative au « chemin officiel » qui, d’après lui, présente « des passages difficiles ». Il est encore tôt, j’ai tout mon temps, autant marcher dans les pas de Sigéric, cela doit quand même être à la portée d’un marcheur « standard ». De plus j’espère que cette voie « officielle » sera mieux balisée que la variante.

En chemin
En chemin

Raté. C’est une sorte de chemin pour chèvre qui monte et descend dans les pierrailles à travers la forêt, très mal dessiné, très mal balisé (juste ce qu’il faut pour se dire qu’en dépit des apparences on est bien sur le bon chemin), on ne sait jamais trop où il faut passer et quel sentier choisir. Le casse-pattes parfait.

En chemin
En chemin

En arrivant dans une prairie comme indiqué dans le guide (ce qui est encourageant, mais est-ce la bonne prairie ?) je croise un homme avec une belle barbe blanche et un bâton de marche. Il semble vouloir engager la conversation, j’en profite pour lui demander par signe et avec quelques mots universels :
— « Où est la Via Francigena ? »
D’un signe il m’indique qu’elle est plus bas et il me demande où je vais.
— « Verres ».
— « Encore deux à quatre kilomètres. D’où venez-vous ? »
— « Chatillon ».
— « Oh là là ! »
Je comprends que j’ai fait un sacré détour.

Verres
Verres

D‘après le guide l’Auberge de Jeunesse est située, comme cela semble être la coutume depuis quelque temps, à côté du chemin de fer pas loin de la gare. Cette indication paraît simple, mais sur place, à pied, sans aucune autre précision ce n’est pas si évident. Après avoir erré dans un sens et dans l’autre je croise un passant qui voyant que je ne comprends rien à ses explications m’accompagne gentiment un bout de chemin pour me montrer au loin le pont qu’il me faudra emprunter pour arriver à l’auberge.

15 h 50, je suis dans la chambre de l’Auberge de Jeunesse où il y a un grand lit et deux petits lits superposés. J’occupe celui du bas. J’y suis seul.

Verres
Verres

Depuis la terrasse de l’église de Montjovet j’avais aperçu mes compagnons qui arrivaient. Je leur avais laissé quelques minutes d’avance et depuis je ne les ai pas revus. Je ne sais pas où ils sont. On en a discuté ce matin, attirés comme moi par la machine à laver, ils ont réservé dans le même établissement. Peut-être ont-ils pris la variante sensée être plus facile proposée par le guide ? Peut-être sont-ils déjà arrivés ? J’espère qu’ils n’ont pas eu le même problème qu’hier.

Verres
Verres

La journée a été plus difficile que prévu. Le guide annonçait environ cinq heures de marche et, sans faire tellement de pauses, cela fait presque huit heures que j’ai quitté Chatillon. Peut-être est-ce dû à mes parcours hors-piste. Mon dos proteste et pour lui être agréable j’avais prévu de passer à la Poste pour me délester encore un peu, mais on est un peu excentré et la gérante qui enregistre les présences et tamponne les crédentiales ne va pas tarder. Donc j’irai plus tard. En attendant : douche et machine à laver.

Verres
Verres

Après mes ablutions je suis parti en ville faire quelques emplettes et trouver un bureau de Poste. Il ferme à 13 h 35 (quelle précision !) et ouvrira demain matin à 8 h 20. Il faudra donc que j’y repasse avant mon départ pour Pont-Saint-Martin, l’objectif de demain. J’ai trouvé un sandwich pour mon pique-nique : fini les barres de céréales.

Verres
Verres

Le soir, dans la salle à manger de l’AJ il y avait un pèlerin suisse, un grand marcheur. Il est allé à Jérusalem et auparavant il a fait le pèlerinage du Mont-Saint-Michel, plusieurs fois le Chemin de Compostelle et la Via de la Plata en sens inverse avec André Weill que j’avais croisé du côté de Fuenterroble en 2010 quand il préparait la marche « Libre ensemble » entre Compostelle et Cordoue. On aurait presque pu s’y rencontrer. Pas loin de Compostelle il s’était fait piquer par une vipère alors qu’il voulait prendre une photo sous un pont romain, il était resté deux jours en réanimation à Compostelle puis il était reparti. Un dur à cuire.

Verres
Verres

Il parle beaucoup de son âge que je n’ai pas bien compris, mais dans tous les cas il est bien conservé, une belle allure athlétique. Sans doute un ancien militaire, à un moment il a dit que sa femme n’avait pas peur quand autrefois elle entendait le bruit des obus au téléphone, mais qu’en ce moment elle a peur de le savoir seul sur la Via Francigena.

Fort de son expérience et de son grand âge, il distribue ses conseils en tout genre aux couples, aux pèlerins… À l’un deux qui avait l’air un peu perdu, il a lancé « pour commencer à être pèlerin il faut d’abord se raser » : me voilà démasqué !

839 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 21 aujourd’hui.

 

Ci-dessous une galerie de photos, d’éventuelles précisions sur des curiosités locales, la navigation vers les étapes suivantes ou précédentes et la possibilité de déposer un commentaire.

 

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