Samedi 5 octobre.
Trente-cinquième jour : Rome est à 847 kilomètres.
Ce matin réveil à 6 h 45, ma technique s’améliore j’étais prêt à 7 h 10.
En rendant comme convenu les clés du refuge au bistrot on en a profité pour prendre notre petit-déjeuner : café americano, c’est-à-dire allongé, croissant fourré à la confiture et une autre viennoiserie indéfinissable. J’ai évité le jus d’orange que je soupçonne d’être à l’origine de la fréquence de mes arrêts techniques. Le tout pour 2 € 70, une étape économique.
Cette nuit il a beaucoup plu et le temps est tristounet, gris, gris, gris. L’air est chargé d’humidité, rien d’enthousiasmant.
Nous sortons de la ville en suivant le tracé de l’ancien tramway à vapeur qui circulait entre Santhià et Ivrea comme l’atteste une plaque scellée sur la chaussée.
Cette cinquième semaine m’a parue longue. Pourtant l’ambiance est bonne dans le groupe et en plus ils s’occupent de toutes les réservations. C’est confortable. Peut-être trop ? Peut-être un manque de stress ? Ou alors la fatigue qui s’accumule.
Pas tout à fait 10 heures, je quitte San Germano Vercellese qui ne respire pas l’opulence, beaucoup de maisons sont en mauvais état. Dans une boulangerie qui ne proposait pas de sandwich, mais faisait aussi office d’épicerie j’ai opté pour une part de pizza à 8 € le kilo, je m’en tire pour 1 € 80, cela devrait calmer mon appétit. Les autres ont disparu, c’est vrai qu’en groupe on marche toujours moins vite, il faut s’attendre les uns les autres, ce qui crée parfois des tensions, mais ils ne doivent pas être bien loin.
La répartition de la charge entre les sacs à dos est un des avantages du voyage en couple. Vu de l’extérieur cela donne parfois des scènes savoureuses. Ce matin Madame a demandé à Monsieur « Est-ce que tu t’es lavé les dents ? ». Comme je suppose qu’elle ne contrôle pas son hygiène buccale, j’en ai déduit qu’en fait la question était « Est-ce que je peux ranger la trousse de toilette dans mon sac à dos ? ». Un peu plus tard Monsieur a demandé à Madame « Tu n’as pas vu mon portefeuille ? » une question banale qui cette fois-ci relevait de la charge mentale et non plus de celle du sac.
Dans une vitrine je me suis vu de profil. Avec la cape fermée sur le sac à dos et le chapeau, j’ai vraiment l’allure d’un pèlerin… ou d’un vagabond comme le suggérait Aquilla à Pont-Saint-Martin.
Le chemin, généralement bordé par un canal ou une rigole d’irrigation, circule à travers les rizières. Il n’y a pratiquement pas d’arbre si ce n’est parfois le long des canaux. Anne, une amie qui m’a précédé cet été sur la Via Francigena, m’a parlé de la chaleur, de l’absence d’ombre, des moustiques et de l’humidité qu’elle y a rencontrés. Si les moustiques ne me manquent pas, un peu de soleil aurait été le bienvenu.
Toute cette traversée, les paysages, l’ambiance, me font penser à la chanson révolutionnaire « Bella Ciao » qui est née dans cette région et au film italien « Riz Amer » qui fut tourné pas loin d’ici. Tous deux dénonçaient la surexploitation des « Mondine » ces femmes, des saisonnières, qui, jusqu’au milieu du XXe siècle, travaillaient dans les rizières des grandes exploitations agricoles comme celles qu’on aperçoit de loin en loin. Un moment le chemin en contourne une arborant fièrement le nom « CASTELLONE » sur son fronton.
À midi passé je m’installe sur le talus entre le chemin et une rigole d’irrigation, enroulé dans ma cape pour rester au chaud et, comme à mon habitude, adossé au tronc d’un arbre. Je déguste ma ration de pizza… en serrant les fesses : pas facile de se laisser aller sous peine de se retrouver à l’eau toute proche.
Pendant cette halte je vois passer mes compères. Ils n’ont pas suivi exactement la VF, Pierre avec son GPS a trouvé un raccourci, je vais probablement les retrouver un peu plus loin en train de faire la pause dans un endroit plus confortable.
Sur le point de repartir je vois arriver un couple de marcheurs. La dame me lance un grand «Buongiorno ». Le temps de me ré-harnacher je les rejoins un peu plus loin. Ils sont un plus âgés que moi. Ils s’étonnent que j’aie ma cape alors qu’il ne pleut pas, je leur explique que cela me permet de rester au chaud le temps de reprendre le bon rythme et la bonne température après cet arrêt.
13 h 15, je retrouve mes compagnons en train de pique-niquer à côté d’une église à Montonero. Eux ont acheté pain et jambon à l’épicerie de San Germano et se sont confectionné leurs sandwichs. Ils sont moins fainéants que moi. En route ils ont discuté avec le couple croisé tout à l’heure, ce sont des Allemands qui ont dans les quatre-vingts ans et qui ont mis au point une stratégie : ils laissent leur voiture à une gare sur ou proche de la Via Francigena qu’ils remontent ensuite en train sur une distance qu’ils estiment faisable à pied, puis ils reviennent en marchant jusqu’à leur voiture… Chacun s’adapte.
15 heures j’entre dans Vercelli. Nos studios, « Al Viaggiator Leggero » (Chez le voyageur léger), se trouvent rue Verdi que mon GPS me situe à plus d’une heure de marche. Cela semble beaucoup. J’appelle le propriétaire pour avoir des précisions, mais ça ne répond pas. D’après ce que je sais ce serait près de la gare vers laquelle je décide donc de me diriger.
Sur l’avenue Garibaldi les arbres, les statues… sont décorés par des écharpes de laine multicolores. Cela doit être une sorte de fête de la laine. Par hasard je tombe sur un office de tourisme où une accorte jeune femme me donne un guide de la ville et m’indique comment me rendre aux studios. En fait ils étaient tout près. Il y a deux studios dont un en duplex que je choisis. J’envoie un SMS à Paul pour lui indiquer comment se rendre jusqu’ici, mais en fait ils arrivaient. Je partagerai le duplex avec les Québecois.
Pendant que mes compagnons surveillent leur lessive avant d’aller s’offrir un pot, je pars faire un petit tour de ville. Je passe un long moment à la Basilique Saint-André et son cloître : magnifiques.
Puis je me dirige vers la cathédrale Saint-Eusèbe, d’origine ancienne, mais à qui des restaurations successives donnent une allure d’énorme pâtisserie, imposante, mais, à mes yeux, moins émouvante que la basilique à l’exception d’un énorme crucifix suspendu à la nef qui daterait du Xe siècle. Une cérémonie en cours, peut-être une commémoration militaire au vu des uniformes et des drapeaux présents, m’empêche d’en faire un tour approfondi.
Cheminements, la série de livres (papier et ebook) relatant mes marches jusqu’à Compostelle est disponible ICI.
Le soir nous partons à la recherche d’un restaurant. Une multitude de bars, bondés en ce samedi soir, proposent des genres de tapas. C’est tentant, mais il nous faut des mets plus revigorants.
Nous finissons par trouver notre bonheur : risotto au gorgonzola et aux cèpes suivi de côtelettes d’agneau accompagnées de légumes, poivrons rouges et aubergines, cuits sur plaque et une salade genre chicon, pas de dessert. C’était très bon et copieux, le rayon de soleil qui manquait à cette journée.
942 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 27 aujourd’hui.