Vendredi 4 octobre.
Trente-quatrième jour : Rome est à 880 kilomètres.
8 h 30. Ce matin, suite à un problème de réveil mal réglé, nous sommes partis assez tard.
Ai-je oublié quelque-chose ? ou est-ce cette grâce matinée imprévue ? Mais je n’ai aucune courbature et le sac me paraît léger. À vrai dire ce sont plus probablement les étirements faits hier soir.
En sortant d’Ivrea nous retrouvons les Brésiliens. Ils vont faire étape à Viverone, à 20 kilomètres, au nord du lac du même nom, en suivant l’itinéraire « officiel », alors que nous comptons aller directement à Santhià, à 33 kilomètres, en empruntant la variante proposée par le guide Lepère qui, elle, passe au sud de ce lac ce qui permet de gagner quelques kilomètres mais où le balisage va être spartiate. Le profil annoncé n’est pas très accidenté ce qui nous a enhardis à faire deux étapes proposées par le guide en une seule journée.
Le ciel est uniformément gris, couvert, il ne pleut pas, il fait frais. Les vignes ont cédé la place au maïs. Heureusement les aboiements des chiens donnent du piquant à une campagne qui avec un petit peu de soleil serait sans doute moins maussade.
Paul souffre sous un pied, sa semelle intérieure s’est trouée. Comme moi pour ma cape, il ne s’est pas méfié et n’a pas vérifié ses chaussures avant de partir. Les Brésiliens ont des ampoules, mais prennent leur mal en patience, ils ne vont pas jusqu’à Rome.
Je ne sais pas ce qu’on a bu au petit-déjeuner, mais je dois multiplier les arrêts techniques et je vois qu’Odile a les mêmes impératifs ce qui est quand même plus contraignant pour elle. J’en profite pour m’échapper du groupe.
10 h 40. Je viens de traverser Pobbia, un village sans grand intérêt, où la présence d’un accueil pèlerin a fait fleurir à profusion des autocollants de l’AIVF pour nous y guider. Dès la sortie du village ils disparaissent.
Cheminements, la série de livres (papier et ebook) relatant mes marches jusqu’à Compostelle est disponible ICI.
11 h 30, j’entre dans un petit bar à Azeglio où la serveuse me parle d’emblée en anglais. Elle est rapidement rejointe par des consommateurs dont elle se fait l’interprète :
— « Vous faites la Via Francigena ? Nous on a fait quatre fois Compostelle. »
Sans doute veulent-ils dire en quatre fois parce qu’ils sont impressionnés que je puisse arriver de Paris.
C’est l’heure de l’apéritif et le bar se remplit vite. Je me retrouve bientôt assis à manger mon sandwich-coca au milieu des clients debout qui continuent à discuter, certains ont fait un bout du Chemin de Compostelle, d’autres de la Via Francigena.
Vers midi les collègues arrivent sur la place du village devant le bar et sont aussitôt abordés par des clients qui sortent pour les interviewer. Après leur départ, le bouche-à-oreille fonctionnant, la serveuse revient vers moi pour éclaircir les informations obtenues sans doute de la bouche de Paul qui parle italien :
— « Depuis combien de temps marchez-vous ? »
— « Cinq semaines. »
— « Ah bon, mais eux sont partis depuis sept semaines ! »
— « Oui, mais ils sont partis de Canterbury en Angleterre. »
— « Ah ! d’accord. »
Puis elle me demande si on marche ensemble, comment ça fonctionne, etc. et propage mes réponses au cercle qui s’est formé autour de moi.
12 h 30 Je repars sous les « Buon viaggio ! ».
Ce bain de foule et ces échanges chaleureux redonnent de la couleur et du relief à cette étape en rase campagne.
Peu avant 13 heures, je retrouve mes coéquipiers en train de pique-niquer sous le porche du Sanctuaire di Sant’Antonio Abate. On papote un moment, puis je reprends la route.
14 h 15 j’entre dans Alice Castello. Jusqu’ici la route ne présente pas un grand intérêt. On est censés apercevoir le Lac, mais « apercevoir » est vraiment le bon mot car en fait on ne voit pas grand-chose à travers la végétation qui le borde.
Dans la ville, le correspondant local de l’AIVF s’est encore une fois surpassé : des autocollants ornent chaque croisement, impossible de se tromper. Retour de la vigne et des kiwis sur treille qui cohabitent avec le maïs.
Pour arriver à Santhià on suit tout un labyrinthe entre l’autoroute et la voie ferrée avec des passages par des tunnels. Ça n’en finit pas. L’éternel syndrome des cinq derniers kilomètres qui semblent toujours interminables, surtout dans un environnement aussi peu bucolique.
16 h 15, j’entre enfin dans Santhià. Comme convenu je suis allé chercher la clé du refuge des Amis de la Via Francigena au café sur la piazza Roma. Le patron, très sympathique, m’a accompagné jusqu’au refuge à deux pas pour me faire vister les lieux et me donner les consignes. C’est « offerta », minimum 10 euros et il y a des bons pour un repas pèlerin à 10 euros. On tamponne soi-même sa crédentiale. Il n’y a pas de wifi, mais on peut aller à la bibliothèque où le patron propose de m’emmener. Il faudra rendre les clés demain au café qui ouvre à 7 heures sinon, avant, on peut les déposer dans la boîte aux lettres.
Dans le dortoir se dressent trois lits superposés, je suis bien sûr tenté par les places du bas, mais je ne vais abuser de mon arrivée en avance et je vais être galant, je m’installe dans un lit du haut en essayant de ne pas hurler quand les barreaux de l’échelle tentent de me couper les pieds en deux.
Mes collègues sont arrivés environ une heure plus tard. J’avais pris le temps, avant la cohue, de prendre ma douche et de faire ma petite lessive.
Ensuite avec Odile, bientôt rejoints par Paul, nous sommes allés visiter la cathédrale de Sainte Agathe, toute proche : majestueuse, très sombre. Un ecclésiastique vêtu de blanc nous a indiqué le chemin vers la crypte.
Vers 19 heures Paul a généreusement ouvert une bouteille de vin qu’il trimbalait depuis je ne sais où : excellent ! Après cette mise en bouche, nous sommes allés déguster le menu pèlerin annoncé : en entrée choix entre pâtes A et pâtes B, suivi de poulet ou escalope de veau, pas de dessert, mais vin et café compris, le tout sous la tutelle de notre très efficace et accorte serveuse Elena. Même si en sortant la pluie nous attendait, elle n’a pas réussi à gâcher ce bon moment : j’avais emporté ma cape.
Pour demain Odile et Paul, après de fortes négociations, nous ont réservé deux studios de trois places chacun à Vercelli à un peu plus de 25 kilomètres.
915 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 32 aujourd’hui.