Vendredi 20 septembre.
Vingtième jour : Rome est à 1228 kilomètres.
J’ai quitté Mouthier-Haute-Pierre vers 8 h 50. Gros cafouillage au niveau du petit déjeuner, le boulanger ayant ouvert plus tard que prévu. Une heure de perdue. Un timing peu favorable à la longue route avec fort dénivelé qui m’attend.
Hier soir j’ai donc mangé en ville, au Relais du Prieuré, dans une grande salle où j’étais tout seul. Un repas qui ne me laissera pas un souvenir impérissable : le manque d’ambiance, la solitude … ?
Cette nuit j’ai fait un rêve pour une fois très agréable, rien d’érotique mais très sentimental, tendre, avec une personne que je n’ai pas reconnue. Probablement un effet secondaire de l’anti-inflammatoire pris pour apaiser ma cheville dont je ne me plaindrai pas.
Ma très sympathique hôtesse va avoir du travail pour reprendre son gîte en main, il y a des détails à revoir, hier soir le rideau de douche m’est resté dans les mains, mais décidément elle prend soin de mes jambes, elle m’a à nouveau déconseillé de passer par le plateau et m’a suggéré de suivre la Loue, la montée devrait y être plus progressive. Je me range à son avis d’autant plus que ma cheville gauche me titille encore. J’ai décroché un bâton de marche de mon sac à dos pour la soulager.
À la sortie du village la Loue traverse des prairies, c’est très beau, sauvage, cela donne envie de prendre des photos, mais le temps est médiocre et la luminosité également. On suit un moment le ruisseau au pied de la Cascade de Syratu, puis le chemin s’enfonce progressivement dans une vallée encaissée, les Gorges de Nouailles. Là les choses se gâtent. Compte tenu des récentes fortes pluies les petits ruisseaux qui dévalent la montagne et qu’on enjamberait sans problème en temps normal se sont transformés en torrents que des amas de troncs glissants permettent de franchir à grand peine en serrant les fesses.
Heureusement que j’ai mon bâton pour compenser les petites pertes d’équilibre dues aux dérapages plus ou moins contrôlés et accentués par le sac à dos. Des passerelles métalliques défoncées par des blocs de pierre permettent de traverser la Loue. Je me retrouve aux sources du Pontet. Je pense un moment faire demi-tour, j’ai dû me fourvoyer. Mais non, un peu plus loin une borne ornée d’une flèche jaune surgit en me narguant et me confirme que je suis bien sur la Via Francigena. Avec l’encombrement et le poids d’un sac à dos de cinquante litres ce n’est pas exactement le chemin idéal pour un pèlerin ! Il faut y aller ! J’entre dans la peau d’Indiana Jones.
À 11h15 j’arrive aux Sources de la Loue. Magnifiques, cela valait la peine, mais ce parcours a vraiment été très stressant. J’ai eu chaud, je m’en tire bien. Je ne le conseille pas sauf par temps sec. J’ai une bonne demi-heure de retard sur le programme proposé par le guide, ça ne va pas avancer mes affaires, mais j’ai besoin d’une petite pause, la maison du Parc me tend ses bancs, retour au calme.
12h10, peu après la Chapelle Notre-Dame des Anges de Ouhans. Je viens de téléphoner à l’Auberge de Jeunesse de Pontarlier : il y a de la place ! Ils accueillent de 18 heures à 21 heures. On se détend ! Le chemin monte, mais doucement.
13h50. La pluie a eu la délicate attention d’attendre que je sois sorti des gorges pour se déchaîner. Pour le moment je profite d’une accalmie, il y a même un petit rayon de soleil. Je fais une pause en lisière d’une forêt de conifères aux troncs bien droits sous le regard bienveillant de quelques veaux.
Les yeux dans le guidon, le nez sous le chapeau pour me protéger de la pluie, j’ai raté plusieurs fois l’embranchement qu’il aurait fallu prendre et donc, demi-tour dès que je m’en rendais compte. C’est toujours embêtant surtout quand on vient de se taper une montée, pour rien, mais enfin le moral est bon, ma cheville droite commence à geindre mais la gauche ne se plaint pas. Le tracé est assez roulant, même si certains chemins de traverse sont des vrais bourbiers où mes chaussures doublent de volume.
Après la forêt communale de Goux-les-Usiers je me retrouve sur un plateau sur une route agricole toute droite au milieu des prairies. Je ne vois plus de balise. Peut-être qu’attiré par les yeux câlins d’une vache me suis-je quand même égaré ? La bonne nouvelle c’est que c’est plat et que cela doit couper, je serai sans doute à Pontarlier plus tôt que prévu. Dans un champ, des vaches se mettent à courir à ma rencontre. Est-ce par curiosité, pour m’encourager, par pure sympathie, ou espèrent-elles quelque chose ? Mystère, mais cette compagnie m’est agréable, elle apporte du vivant, de la chaleur « animale ».
À Houtaud je traverse le Drugeon. L’Auberge de Pontarlier serait à environ quatre kilomètres. Une pancarte indique un Décathlon à deux minutes, déjà qu’en voiture ça ne veut pas dire grand-chose, alors à pied ! Je passe mon chemin. En route, dans une zone commerciale, je croise un Intersport. Je dépose mon sac à l’entrée et fait une brève exploration qui ne donne rien. Peut-être que je manque de conviction. Ai-je vraiment besoin de quelque chose ? Mon sac est bien assez lourd comme ça. C’est décidé, il ne neigera pas.
Arrivé peu après 18 h 30 à l’Auberge de Jeunesse j’ai droit à une serviette de toilette sur présentation de ma crédentiale, par ces temps humides c’est un atout précieux, la mienne restera au sec. On m’attribue une chambre en me prévenant qu’il y a déjà un occupant. Pas de problème, c’est la règle du jeu, déjà bien content d’avoir un lit. Dans la chambre il y a effectivement quelqu’un d’autre qui se lève de l’unique lit double et en dégage une moitié pour me faire place. Ce qui me surprend le plus c’est qu’il n’ait pas l’air surpris. Pour ma part je trouve quand même cela étrange. À la guerre comme à la guerre, mais je m’étonne qu’ils ne m’aient pas prévenu à la réception. Cette situation n’est quand même pas courante. J’y retourne. C’était une erreur ! On m’attribue une nouvelle chambre avec deux lits simples dont le deuxième est libre, pour le moment, cela dépendra des arrivées.
En soirée je m’offre des tagliatelles à la saucisse de Morteau arrosées d’un vin blanc d’Arbois à la brasserie du Grand Café Français. Il fallait bien ça après toutes ces émotions. Pour cette probable dernière étape en France j’avais prévu de faire un article sur mon blog, mais le Wifi est sporadique, il faudrait que je tape tout le texte sur le petit clavier de mon téléphone et surtout je tombe de sommeil. Je préfère me coucher, dormir, reprendre des forces.
Personne n’est venu occuper le deuxième lit. Ai-je échappé à quelque chose ou suis-je passé à côté d’expériences inoubliables, genre YMCA ?
557 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 23 aujourd’hui.
Ci-dessous une galerie de photos, d’éventuelles précisions sur des curiosités locales, la navigation vers les étapes suivantes ou précédentes et la possibilité de déposer un commentaire.