Mercredi 18 septembre.
Dix-huitième jour : Rome est à 1278 kilomètres.
Ce matin Nathalie m’a déposé vers neuf heures trente pas loin du centre-ville de Besançon. À l’Office de Tourisme, sur présentation de ma crédentiale, on m’a fourni un descriptif du parcours et une liste d’hébergements pour la section de la Via Francigena de Besançon à Ivrea, le tout de la part de l’Association des Pèlerins de Compostelle et de Rome en Franche-Comté/Besançon. Qu’elle en soit remerciée. Le trajet est décrit à grands traits, mais j’avais déjà glané des informations sur Internet avant mon départ, la liste par contre, elle, va m’être précieuse.
Je vise Ornans à environ 25 km. En attendant je traverse la ville en passant devant la maison natale de Victor Hugo et celle des Frères Lumière, puis sous la Porte Noire, ancien arc de triomphe gallo-romain, pour arriver à la Cathédrale Saint-Jean d’où je rejoins la Via Francigena sur les rives du Doubs. Bientôt j’attaque une montée très raide à laquelle je ne m’attendais pas. Je l’ai prise trop vite. Je voulais rattraper le temps passé à visiter Besançon. Sous la cape je transpire, je marque le pas, et j’arrive à bout de souffle à la Chapelle des Buis d’où, sorte de récompense, on a une vue magnifique sur la Citadelle même si aujourd’hui elle est un peu dans la brume. Une consultation ultérieure de cartes plus précises m’apprendra qu’en deux kilomètres on monte de deux-cent-quarante mètres avec par moment des pentes à plus de trente pour cent. Un vrai mur. Probablement un chemin de pénitence… que je ne pensais pas avoir mérité.
Il est déjà midi et je suis à peine à cinq kilomètres du point de départ. Il va falloir renoncer à Ornans d’autant plus que cette ascension m’a cassé les pattes. C’est un avertissement, il faut que je me fasse à l’idée que j’aborde le Jura, que j’aborde la montagne. Je change mon fusil d’épaule, ce soir je coucherai dans le gîte rural de Foucherans, par contre on doit y apporter sa nourriture, mais le gérant m’a indiqué une épicerie à Saône.
J’ai appelé Claude nous avons rendez-vous à Lausanne le vingt-trois. D’après mes calculs cela fait environ cent vingt kilomètres en cinq jours, ça laisse de la marge, ça m’enlève de la pression, et puis il vaut mieux assurer le coup, qu’on ne se rate pas, cela me laissera le temps de prendre le bon rythme, de m’adapter aux montées.
Quatorze heures, je casse la croûte à l’abri derrière un mur au milieu des « Marais de Saône ». C’est une zone protégée, j’ai croisé une sorte de roulotte qui transportait des gamins, peut-être une classe verte. Dans l’état de « pèlerin » j’accepte des situations qui me seraient intolérables dans la vie normale. Il fait humide, j’ai froid, je mange un repas frugal au menu répétitif et aux qualités gustatives discutables, bref les conditions idéales pour ne pas s’arrêter. Eh bien, même si bien sûr je préférerais qu’il y ait du soleil, je le fais quand même et ça ne me dérange pas. Je m’habitue à vivre chichement, à m’asseoir à peu près n’importe et à être patient.
Seize heures je retrouve le GR de la via Francigena que j’avais délaissé pour rejoindre l’épicerie de Saône signalée par mon hébergeur. Elle était fermée. À Gy l’Office de Tourisme était également fermé, pour congé annuel, l’épicerie profite peut-être aussi de la décrue des touristes pour prendre ses vacances ; ils ont bien raison, mais ça ne m’arrange pas. Des passants m’ont indiqué le seul lieu où, à leur connaissance, je pourrais m’approvisionner, un Super U de l’autre côté de la ville, résultat, un détour de quatre kilomètres sous une pluie battante.
À l’entrée du magasin, à l’abri, j’ai déposé mon sac, enlevé ma cape et me voilà en train de parcourir les rayons en short et chemisette, avec les guêtres, et le chapeau trempé qui pend dans mon dos sous les yeux étonnés des enfants qui me trouvent bizarre. Une fois mes provisions faites je revêts mon équipement et me jette sous la pluie pendant que les autres usagers se dirigent vers leur voiture. Mais en fait nous ne sommes pas si différents, j’ai juste changé de costume pour quelques jours, en temps normal je suis comme eux.
J’ai fait à minima, une demie boîte de raviolis, deux poires, l’incontournable saucisse seiche, deux tomates, et pour le petit-déjeuner des sticks de café et un pain complet estampillé « Brown bread » qui, je l’espère, se conservera mieux que du pain de mie ou du pain normal. Mine de rien me voilà avec près de deux kilos en plus sur le dos.
Avec toutes ces digressions je suis arrivé fatigué à dix-huit heures trente au « Gîte d’étape du Musée » de Foucherans. Heureusement, en route la pluie s’était calmée. J’ai été accueilli par Monsieur Bouvard qui gère le gîte et le musée. Il m’a dit que souvent les gens prévoient comme moi d’aller jusqu’à Ornans, mais s’attardent à Besançon et du coup beaucoup atterrissent chez lui. Il aurait vu les deux Suissesses il y a une dizaine de jours. Il n’a pas de chiffre en tête, mais d’après lui le nombre de pèlerins s’arrêtant ici aurait doublé en deux ans. D’ailleurs ce matin Claude m’a dit que la Via Francigena était désormais au catalogue d’organisateurs de randos.
À Gy, avec mon compagnon allemand, nous avions chacun notre petit dortoir, ici c’est un grand dortoir avec des cloisonnements pour trois ou quatre personnes. On sera six, je serai seul dans mon box. Ce sont des travailleurs, pas antipathiques, mais on n’a vraiment rien échangé. Le soir chacun a fait sa popote dans son coin en regardant les infos à la télé puis un match de foot avec l’ambiance qui va avec. J’ai rejoint mon lit assez tôt, la journée avait été longue.
Le lendemain matin toute ma vaisselle aura été soigneusement rangée par quelqu’un.
511 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 27 aujourd’hui.
Ci-dessous une galerie de photos, d’éventuelles précisions sur des curiosités locales, la navigation vers les étapes suivantes ou précédentes et la possibilité de déposer un commentaire.