Mardi 17 septembre.
Dix-septième jour : Rome est à 1303 kilomètres.
Ce matin mon compagnon s’est levé discrètement à six heures et, surprise, il avait installé tout le petit-déjeuner.
J’ai quitté le gîte vers huit heures. En route pour Devecey, un peu avant Besançon, où Nathalie et Mathieu m’attendent ce soir. Je dois y être avant quatorze heures avant la reprise du travail, ou alors ce sera après dix-huit heures quand ils en rentrent. Dans le ciel il y a des grandes zones de bleu au milieu d’amas de nuages.
Je ne sais pas comment je me suis débrouillé, mais je me suis retrouvé à Autoreille, très en dehors de l’itinéraire, du coup j’ai perdu près d’une heure et demie pour corriger le tir. Il faut oublier l’option quatorze heures. Pour une fois qu’il ne pleut pas je profite du paysage et j’ai dû rater une balise. Dans les champs beaucoup d’animaux, surtout des chevaux, magnifiques, qui m’encouragent chacun à leur façon. En route j’ai goûté quelques mûres, mais si elles sont belles, bien noires, elles sont toujours aussi acides.
À propos de chevaux, chez moi, à Auffargis, pendant la période de confinement ce sont les gendarmes à cheval qui surveillent la bonne application des règles de distanciations et les déclarations dérogatoires de circulation. Sur la chaussée on les entend venir de loin, clip, clap, clip, clap, un petit bruit habituellement sympathique, mais qui, vu les circonstances, est devenu stressant ( Ai-je dépassé l’heure ? Suis-je toujours dans le rayon d’un kilomètre ? Est-ce que ces courses vont-elles être reconnues comme « essentielles »? N’ai-je pas oublié m’a déclaration ?) Ça serait c.. d’attraper une prune de 135 euros. En fait c’est pour mon bien, pour éviter que je sois envahi par l’anxiété due au virus, comme avec un enfant, on détourne mon attention en me présentant un leurre, la peur du gendarme avec tout ce que cela comporte d’aléatoire dans l’interprétation des textes. Mais, est-ce grâce à ma chevelure grise, toujours aussi clairsemée mais désormais hirsute ? À chaque fois, ils m’ont scruté de haut sans rien me demander.
Arrêté à l’abri d’une barrière en planches, sans doute un sas pour trier le bétail, je fais une pause, cela fait trois heures que je marche depuis Gy. Dans son programme, le « marcheur marathonien méthodique » a prévu un arrêt toutes les trois heures, c’est donc forcément le bon rythme. « Le monde est petit », je sais, c’est un cliché, mais hier j’ai appris qu’il habitait Bellheim jumelée avec Le Perray-en-Yvelines, une ville voisine d’Auffargis qu’il connaît bien.
Vers midi je traverse Gézier-et-Fontenelay avec ses lavoirs dont un sous la mairie. À treize heures trente c’est au tour d’Étuz avec ses deux étranges lavoirs jumeaux en forme de temples grecs. Sur le pont qui enjambe l’Ognon un petit monument rappelle qu’ici a eu lieu une bataille terrible lors de la guerre de 1870, une guerre oubliée, il faut dire que c’était une défaite. À Cussey-sur-L’Ognon la mairie héberge aussi un lavoir ou plutôt un abreuvoir comme le précise une pancarte : « Défense de se servir de cette auge pour toute autre chose que pour ABREUVER LE BETAIL ».
Par moment la Via Francigena, pour économiser le goudron, nous fait emprunter des chemins, ça monte, ça descend, beaucoup de racines glissantes et dans lesquelles on manque de se prendre les pieds. C’est sûrement plus bucolique, mais du coup on n’avance pas, ou à pas prudents.
Je la quitte pour me diriger vers Devecey. À Geneuille là aussi la rue de l’Abreuvoir rappelle la véritable fonction du lavoir qui s’y trouve. Il n’est même pas seize heures et il ne me reste que cinq kilomètres à faire, je fais un détour par l’Étang de la Gravière de Geneuille, un grand parc public, pour y flâner en attendant l’heure. Je m’installe sur un banc face à un lac où des cygnes nagent. C’est agréable, même si je sens quelques gouttes, mais ça ne devrait pas durer.
Après avoir enjambé la voie de chemin de fer je rejoins assez rapidement la maison de Nathalie et Mathieu où leurs deux Huskies me tiennent compagnie, moi à l’extérieur sur la terrasse assis comme un Indien sous ma cape pour me protéger de l’humidité ambiante, eux à l’intérieur. Leurs yeux semblent réclamer de l’affection, ou simplement essayent-ils de m’attendrir pour que je les sorte de là. L’un d’eux a des yeux vairons. Un peu après dix-huit heures Nathalie nous libère, ils se précipitent dehors, je rentre, je commençais à avoir froid.
Accueil bien entendu chaleureux, on échange des nouvelles familiales, on refait connaissance, on ne se voit pas si souvent. Ils viennent tous les deux de changer de travail, du coup ils n’ont pas pu prendre leurs vacances ensemble. Mathieu, lui, va bientôt partir quelques jours en moto avec le frère de Nathalie. Les Huskys sont très présents, mais toujours gentiment, des chiens dociles et sympathiques.
Ils m’ont proposé de laver mon linge, j’ai bien sûr accepté. Les occasions vont se faire rares. C’est ma dernière étape « amicale » en France. J’ai encore une possibilité d’hébergement à Lausanne, une adresse que m’a confiée Anne, une amie qui m’a précédé cet été sur la Via Francigena. Sinon ce seront les accueils pèlerins et leurs lessives à la main avec séchage aléatoire.
Mon colis est bien arrivé avec ma nouvelle cape et quelques vêtements chauds qui m’ont été recommandés pour le passage du Col du Grand Saint-Bernard, ça va m’alourdir un peu, mais cela ne servirait à rien de faire l’autruche, début octobre à cette altitude cela risque de se rafraîchir sérieusement. Pour compenser j’essaye de m’alléger en laissant quelques babioles, la vieille cape bien sûr, la documentation jusqu’à Besançon et désormais je me contenterai d’un slip et d’une paire de chaussettes de rechange, soyons intrépides.
Nathalie propose de me déposer demain au centre-ville de Besançon avant d’aller à son travail. Je n’offre pas beaucoup de résistance. C’est d’accord, merci beaucoup. J’en profiterai pour faire un tour à l’Office de Tourisme pour voir s’ils ont de la documentation sur l’itinéraire et les hébergements pèlerins pour la suite du voyage.
484 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 25 aujourd’hui.
Ci-dessous une galerie de photos, d’éventuelles précisions sur des curiosités locales, la navigation vers les étapes suivantes ou précédentes et la possibilité de déposer un commentaire.
Hihihi,
Cher Pierre, tu connais la Parabole des talents. Ils obligent, en quelque sorte.
Tu fais fructifier les tiens et nous en fais profiter.
Tu sais écrire, tu sais prendre de belles photos. Ton contrat est rempli.
Il semble que je n aie reçu que celui d être endurante à la marche. Mais, je m y tiens, je m y tiens ! Hihihi !
Bises à vous deux.
Anne
J’ai toujours eu un problème avec la parabole des talents, bien sûr c’est une parabole et elle ne doit pas être prise au premier degré, mais je pense qu’elle a longtemps servi de justification à ceux qui s’enrichissent au sens propre sur le dos des autres.
Sinon avant tout il faut juste avoir envie de faire quelque chose, puis, ce sont les autres qui vous trouvent ou non du talent. Si c’est non, on aura au moins eu le plaisir de le tenter. C’est valable pour la marche ;o)
Bises
Pierre
Bonjour cher Pierre,
Un vrai et grand plaisir de lecture que de te suivre dans ton périple !
J apprécie toujours beaucoup ton humour pince-sans-rire.
Que tu m as amusée avec tes états d âme chez les Bénédictins de Mesnil-Saint-Lioup !
Mais, tu vois, l on s y fait très bien ;)))
Bonne et intéressante idée que de jouer avec les anachronismes ; cet exercice d écriture se passe dans un temps tellement sidérant ! Tu en fais trace.
La simplicité qui est la tienne dans le récit de tes marches m a toujours impressionnée. Tu es un des rares pèlerins que je connaisse à le faire avec une telle humilité alors que ton expérience en la matière est grande.
Ce sont bien ces qualités-là que je te reconnais qui m ont encouragée à partir à mon tour sur mon premier chemin Je t en sais gré. Merci, mon ami !
Bonne continuation.
Prends ton temps… mais pas trop, tout de même, hihihi.
Hâte que tu arrives à Lausanne !
Je vous embrasse Hélène et toi.
Anne
Merci Anne pour ce joli message.
Sur ce trajet c’est toi qui m’a précédé, cela m’a aidé ne serait-ce que par tes appréciations sur les hébergements qui t’avaient accueillie.
Je ne sais si j’ai une quelconque humilité, je me contente de raconter ce que j’ai vécu, en espérant que cela pourra servir.
Raconter n’est-ce pas déjà un manque d’humilité, surtout vis à vis de toi qui ne veux pas te mettre en avant, pourtant il y aurait matière à écrire plusieurs tomes !
Je t’embrasse
Pierre