Jeudi 12 septembre.
Douzième jour : Rome est à 1450 kilomètres.
Huit heures, je viens de quitter la Fraternité Saint-Bernard. Ambiance exceptionnelle. Ce matin après le petit déjeuner les sœurs nous ont pris en photo devant la maison, elles tiennent un Livre d’Or de tous ces passages. Il faudra que je pense à leur envoyer une carte postale quand je serai à Rome.
En route pour Arc-en-Barrois à environ trente-cinq kilomètres. Je n’ai rien trouvé d’autre pour me loger, ce n’est pas donné et en plus c’est à l’écart du GR145, le GR qui suit la Via Francigena. Les Suissesses m’ont dit avoir passé une nuit à Châteauvillain et une autre à Mormant à un tarif raisonnable. Elles ont eu plus de chance que moi ou des informations plus précises sur les possibilités d’hébergements pour pèlerin. En préparant ce voyage j’avais adhéré à l’association AIVF (Association Internationale Via Francigena) qui proposent des listes d’accueils pour pèlerins et des itinéraires détaillés, mais en ce qui concerne la France leurs informations commencent à Pontarlier. Du coup j’ai acheté le « Light Foot Guide », qui, même s’il est en anglais, m’a semblé le guide le plus intéressant parmi les rares sur le sujet, mais lui s’arrête à Besançon. Pour combler la lacune entre Besançon et Pontarlier j’ai glané avant mon départ des informations sur Internet, informations que j’espère compléter en chemin. La Via Francigena en est à ses balbutiements, sans doute que tout va progressivement se mettre en place à l’instar des Chemins de Compostelle. En attendant c’est un peu l’aventure, ce qui n’est pas pour me déplaire.
Oups ! Je viens de m’engluer dans la boue. Ça n’avance pas. Le chemin a été défoncé par des engins forestiers et on glisse à chaque pas, d’épaisses semelles de terre sous les chaussures, parfois même on recule quand ça monte un peu, et, pour contourner de grandes bassines d’eau, il faut emprunter les bas-côtés pour trouver un terrain qui accroche.
Neuf heures vingt, le chemin est désormais assez agréable, large et herbeux. Hier j’ai vu des chevreuils, aujourd’hui pour le moment rien si ce n’est de belles limaces orange ou rouges.
L’hôtel à Arc-en-Barrois vient de me rappeler, ils étaient en congé, décidément je tombe toujours sur ces jours-là, ils ont une chambre, mais le prix est vraiment hors budget. Pas de regret.
Environ onze heures, il pleut, je viens de quitter Cirfontaine-en-Azois avec son beau lavoir. Ils foisonnent dans la région. J’aimerais bien faire une petite pause au sec cela fait environ trois heures que je pédale dans la glaise. Le banc d’un abribus tombe à pic, mais mon installation déclenche la fureur et les aboiements des chiens d’une maison en retrait comme s’ils craignaient que je l’emporte. Pas l’idéal. Plus loin ceux d’une église me narguent à travers la grille qui interdit l’accès à la nef. Dommage.
À la sortie du village, en bordure de champs, de belles prunes violettes me font de l’œil. Je succombe, mais la première est acide et je ne tente pas plus loin l’expérience de peur de dégâts collatéraux. La pluie a cessé. Je m’arrête entre deux piles de bûches qui m’ont l’air stables. C’est dans ces moments que je ne regrette pas d’avoir surchargé mon sac à dos des vingt grammes du papier bulles qui me permet de m’asseoir au sec à peu près n’importe où. Par terre beaucoup de pommes. Des gens passent à pied sur la route, mais personne ne me voit, un instant j’ai l’âge où on joue à cache-cache.
Aizanville avec un beau moulin, des sacs-poubelle sont accrochés à des pitons devant les maisons ou sur les poteaux électriques, sans doute pour éviter qu’ils soient éventrés par des animaux. Jusqu’à Orges le Chemin suit une petite route goudronnée sur laquelle personne ne circule. Le silence est incroyable. C’est sûr, je suis plus un routard qu’un randonneur, aujourd’hui cela fait du bien de retrouver du goudron, je me sens bien, j’avance a mon rythme, je ne patauge pas dans la boue.
Je viens de soulager ma vessie devant un champ où trônait un taureau majestueux au milieu de son harem, il m’a regardé un moment puis s’est détourné, rassuré : aucune concurrence à craindre.
Environ treize heures, je quitte Orges. Un banc entre deux maisons m’y attendait, j’en ai profité pour faire une pause casse-croûte assez brève le tonnerre grondant au loin. Au menu un petit sandwich au jambon préparé ce matin au petit-déjeuner, quelques mirabelles et des gâteaux que m’avait offerts Agnès. Apparemment le vélo ça creuse, ce matin mes compagnons polonais ont avalé pratiquement une baguette chacun, avec ce qu’il faut de jambon et de confiture pour recharger leurs batteries.
Il s’installe des routines : je sors ma gourde de la poche droite, j’extrais mon en-cas et, si mon siège est humide, le papier bulles de la poche gauche, je m’assois, opération inverse à la fin du repas.
Quinze heures j’ai enfin trouvé la sortie de Châteauvillain, une petite ville qui a du cachet, mais dans laquelle j’ai tournoyé pendant près d’une demi-heure. C’est ici que je devais abandonner le GR145 pour rejoindre Arc-en-Barrois. J’avais demandé à Google de me construire un itinéraire et il voulait absolument me faire traverser un parc fermé pour travaux. J’avais beau m’éloigner du centre, il s’obstinait à me ramener en arrière vers ce fichu parc. En attendant mieux je vais me fier à mon sens de l’orientation.
Bon ce coup-ci c’est bon. Il m’annonce quand même quatorze bornes, il ne faut pas chômer. Il faudra que je m’organise autrement, ras-le-bol de ces étapes interminables. Trente devrait être un maximum, après ça devient fastidieux.
Vous me direz que j’aurais pu essayer de décaler la date d’arrivée chez Alexandra, mais il y a aussi la question du col du Grand-Saint-Bernard. Tout le monde s’inquiète pour moi, en principe je devrais y être fin septembre ce qui commence à être limite pour la neige. Si je tarde il risque même d’être fermé ce qui compromettrait la suite du périple. Il ne faut donc pas trop perdre de temps surtout que Claude doit me rejoindre en Suisse et, comme il l’avait fait quand il m’avait accompagné une semaine sur la voie de Tours, il va vouloir me traîner de musée en musée, ce qui avait d’ailleurs été très agréable.
Je longe un mur qui doit être celui du fameux parc de Châteauvillain. Par endroits il s’écroule et des ouvriers sont en train de le remonter. À Clairvaux aussi le mur d’enceinte était en piteux état, je me demande si un de ces jours il ne va pas s’abattre sur une voiture. D’après ce qu’on m’a expliqué c’est un imbroglio administratif. La commune voudrait bien engager des travaux de consolidation, mais les architectes des Monuments Historiques posent trop de conditions ce qui génère un budget colossal qui dépasse les moyens de la mairie, et, pour tout arranger, le site dépend à la fois des ministères de la Culture et de la Justice. La situation est donc bloquée… et le mur et les passants en péril.
Je viens d’atteindre l’extrémité du parc où une pancarte indique « Fermer la porte. Daims en liberté. ». Il était effectivement urgent de réparer le mur avant qu’ils s’échappent.
Après une grande traversée par des sentiers forestiers je retrouve la route à Court-l’Évêque où je l’abandonne pour emprunter un chemin qui me conduit à Arc-en-Barrois, un bourg aux aspects rupins avec un golf et de belles maisons bourgeoises qui voisinent avec d’autres aux peintures défraîchies, écaillées. Je fais quelques courses au Casino indiqué par mon hôtesse : une grosse grappe de raisin (une de mes gourmandises), une pomme, une boîte de raviolis, un petit paquet de pain de mie et une petite boîte d’anchois (encore par pure gourmandise) et en route pour le « Val Bruant » où se trouve ma chambre. Je ne sais pas si c’est le fait de trimbaler mes provisions à bout de bras, mais les quatre kilomètres à parcourir pour y parvenir, me paraissent interminables. Après chaque virage j’espère voir le logo « Gîte de France », mais non, « quatre kilomètres » c’est « quatre kilomètres », pas moyen d’y échapper, il faut juste les faire.
Dix-neuf heures ! Je suis enfin dans ma chambre. Par la fenêtre je vois des daims qui broutent paisiblement. Waouh ! Où suis-je ?
À mon arrivée mes hôtes m’ont proposé à boire, un jus de fruit ou une bière, j’ai choisi la bière. Quand, après ma douche, je suis redescendu on m’a invité à me joindre à l’apéritif auquel participait déjà un voisin qui apparemment rendait compte de ce qui s’était passé pendant leur absence, notamment qu’un animal, un sanglier ou plus vraisemblablement un putois, serait entré dans la propriété, en fait une propriété de trente hectares où ils élèvent des daims pour la viande. Dans la région c’est chasse, chasse, chasse. En ce moment elle est ouverte tous les jours sauf le mercredi avec comme à Rambouillet un système de bracelets. En général cela se passe le matin ou le soir rien l’après-midi, je l’ai échappé belle.
En fait mes hôtes rentraient de voyage et n’avaient pas, eux non plus, prévu un repas élaboré. Nous nous sommes tous mis à table et avons partagé nos boîtes, eux saucisses-lentilles, moi raviolis. Au dessert je suis allé chercher ma grappe de raisins et eux plusieurs sortes de vieux Comté rapportées de Poligny, le tout arrosé d’une bouteille de rosé. On a beaucoup discuté. La question de la foi a bien sûr été posée, mon hôtesse « parle à Dieu comme elle parle à ses fleurs », mais marcher toute seule comme ça elle ne peut même pas l’envisager. Il y a six mois ils ont reçu des Italiens partis de Canterbury qui leur ont envoyé une carte postale une fois arrivés à Rome. Je sens que mon départ depuis les environs de Paris les impressionnent beaucoup moins. Ça ne peut qu’être bénéfique à mon humilité.
347 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 37 aujourd’hui.
Ci-dessous une galerie de photos, d’éventuelles précisions sur des curiosités locales, la navigation vers les étapes suivantes ou précédentes et la possibilité de déposer un commentaire.
ZOOM – En savoir plus sur :
- L’association AIVF
- Les lavoirs de Haute-Marne
- Châteauvillain
- Arc-en-Barrois