Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Bendoiro, mercredi 29 septembre.
Je suis décidé, ce soir, si tout va bien, je serai à Saint-Jacques, à environ 50 km. La journée va être longue. Nous nous sommes tous levés à peu près en même temps et pour une fois je suis parti le premier, un peu avant 7h. J’avais prévu un départ plus tôt, mais cette nuit j’ai mal dormi, j’ai eu froid. Je marche sur le bas-côté de la grand-route pour être sûr de trouver la station service où, d’après le patron du restaurant d’hier soir qui lui n’ouvre qu’à partir de 8h, il y aurait possibilité de déjeuner dès 6h30. Un panneau routier indique « Santiago 43 km », la grande ville est proche et la circulation est dense. C’est un peu stressant ; c’est dans ces cas-là que je me sens plus voyageur que pèlerin, à mon échelle je fais partie du flot.
7h10, petit problème, la station service est fermée. Je continue le ventre vide. Il fait frais, je n’ai pas les doigts gelés et le ciel est étoilé, tout compte fait il va peut-être faire beau.
8h20, je suis déjà à Silleda. Suivre la route a dû légèrement raccourcir le trajet. Désormais il fait jour et le ciel s’est couvert, je ne vais peut-être pas échapper à la pluie. J’entre dans un bar juste au moment où la « joyeuse équipe » des Espagnols qui ont dû faire étape dans cette ville le quittent. Nous nous retrouvons avec plaisir.
10h, Bandeira. l’alerte pluie s’est dissipée, le ciel est à nouveau très bleu, je ne m’en plains pas. Je reçois un SMS : « si tu avais mis de la colle sur tes oreilles tu n’aurais pas perdu tes lunettes » me conseille un de mes petits fils. Je vais essayer de fractionner cette longue étape par de petites pauses casse-croûte. La prochaine ville importante étant à 13km je me mets en quête d’un premier bocadillo. Je délaisse plusieurs bars qui ne me plaisent pas quand j’entends derrière moi un « Hello ». C’est à nouveau la « joyeuse équipe » qui m’a vu passer depuis l’intérieur d’un bistrot. Elle s’est agrandie du couple de tourtereaux et d’un monsieur plus âgé sans doute le père d’un des membres du jeune couple qui a d’ailleurs retrouvé ses sacs à dos. Ils m’ont pris en affection, ils m’ont adopté comme une sorte de mascotte. Un moment bien sympathique. Eux s’arrêteront à Outeiro, en attendant ils font tamponner leur crédentiale car quand on ne fait que les cent derniers kilomètres du Chemin il faut présenter deux cachets par jour pour pouvoir prétendre à une Compostela.
En route, malgré la proximité de Santiago et contrairement aux autres Chemins, je n’ai vu que quelques rares forêts d’eucalyptus, pourtant au monastère d’Oseira ils vendaient des préparations à base de cette plante. C’est la campagne, cela pourrait être en France cela sent la bouse et le foin fermenté sauf que par endroits il y a un petit palmier.
12h. Je viens de rejoindre la « joyeuse équipe » que je voyais depuis un moment s’échelonner sur la route devant moi. Ils se regroupent pour se diriger vers un bar signalé par un panneau sur le bord du Chemin. Nous ne le savons pas encore, mais nous ne nous reverrons plus.
13h, après quelques côtes assez raides dominées par de gros travaux d’un train à grande vitesse j’entre dans Puente Ulla où je m’octroie une nouvelle pause bocadillo, cette fois-ci au chorizo. Il reste 21 km à faire, je devrais être à Santiago avant 19h. Le ciel se couvre de plus en plus.
14h30 me voilà donc à Outeiro, devant l’auberge. Pour arriver jusqu’ici une fois quittée la Nationale on traverse une belle forêt où les eucalyptus sont toujours aussi rares. Depuis un moment je suivais à moins de 100 m un pèlerin dans lequel j’avais cru reconnaître un de mes compagnons d’hier soir ; il est entré directement dans l’auberge pensant probablement que j’allais lui emboîter le pas. Nous ne nous serons donc pas salués. C’est bucolique, perdu au milieu de nulle part, en pleine forêt, pour y faire étape il faut arriver avec ses provisions. Il reste 17 km.
15h ça y est il pleut, faiblement pour le moment. Je m’abrite sous ma cape.
15h45 il pleut comme vache qui pisse ! Je m’arrête sous un pont pour mettre mes guêtres pendant que mes pieds sont encore secs. Le pont est très étroit et il faut que je me plaque au mur quand passe une voiture.
16h15 j’ai dépassé A Susana, il resterait 8 à 9 km, il pleut toujours mais un peu moins dru. Le chemin est souvent couvert d’une treille avec des grappes de raisin qui pendent. C’est très agréable, dommage que ce temps pourri ne permette pas d’en profiter.
17h40 ça y est j’ai vu les tours de la cathédrale. Le ciel alterne averses et accalmies.
18h je suis devant la cathédrale où j’ai voulu entrer en arrivant, mais les sacs à dos y sont interdits !Autant régler la question de la Compostela, ce sera fait, même s’il y a la queue. Tout le monde se tasse dans le hall d’entrée et sur l’escalier pour s’abriter de la pluie. Il y a de tout, mais peu ont leur sac à dos. Malgré la presse je réussis à enlever ma cape ; elle prend l’eau au niveau du cou où il y a un trou minuscule (usure, ronce … ?) qui a suffit à détremper mes vêtements dans le dos. Je grelotte. Heureusement la foule a du bon, la chaleur humaine me réchauffe. Il me faut une demi-heure pour atteindre le comptoir où on me délivre mon parchemin en quelques secondes alors que certains s’attardent une éternité, peut-être pour s’épancher et raconter leur Chemin par le menu. J’ai hâte de trouver un endroit sec et chaud, j’envisage de me payer une chambre d’hôtel dans le quartier, mais plusieurs affichent un panneau « Cerrado por huelga general » (Fermé pour cause de grève générale !). Je renonce et me dirige vers l’auberge du petit séminaire où j’étais l’année dernière. Du coup je m’offre une chambre particulière : 17€ contre 12€ en dortoir, mais ce sont les mêmes horaires il faudra être rentré avant minuit et le matin la chambre doit être libre de 9h30 à 13h pour cause de nettoyage.
Le soir après quelques errances où je constate que beaucoup de restaurants sont fermés, sans doute eux aussi à cause de la grève, je retourne manger près de la cathédrale où nous avions passé un bon moment il y a un an Hélène, Christian et moi. Le menu du jour est lui aussi « fermé » alors j’opte pour une salade mixe de la maison, extrêmement copieuse, et une bouteille de Ribeiro blanc. En dessert j’ai gracieusement droit à une grande ration de blues : ça y est j’y suis, j’ai réussi, mais je me sens bien seul cette fois-ci, personne avec qui fêter cette arrivée.
Sous les arcades de la grande place Obradoiro devant la cathédrale de petits groupes musicaux se font concurrence dans une joyeuse pagaille cosmopolite, je m’attarde un moment à m’y réchauffer le cœur. Il est 22h30, j’ai encore largement le temps de déambuler dans les rues et de m’imprégner de cette ambiance si particulière à Santiago avant de rejoindre l’auberge. Je m’y sens bien. Bye bye blues !
Jeudi 30 septembre, vendredi 1er octobre.
Santiago est envahi par les touristes et les pèlerins de tout poil. Partout il y a des queues, à la poste, devant les restaurants des rues de la vieille ville, pour entrer dans la cathédrale où il faut passer les sas de sécurité et même devant les magasins de loterie suites naturelles d’une prière à Saint-Jacques. J’avoue me sentir étranger à ce remue ménage et développer une certaine allergie à tout ce cirque. Je suis un peu triste pour mes compagnons marcheurs qui découvrent Saint-Jacques pour la première fois dans ces conditions. Mais ils ne peuvent faire la différence et sans doute sont-ils tout aussi émerveillés et émus que je le fus.
Dans la cathédrale la nef principale est en chantier pour cause de travaux préparatoires à la venue du pape. Du coup la foule est entassée dans les nefs latérales, c’est la bousculade, des téléphones mobiles sonnent et certains n’hésitent pas y répondre longuement, une certaine idée du partage et du recueillement. Difficile de se laisser envahir par l’émotion. Cependant les chants et le balancement du Botafumeiro arrivent à me faire tressaillir. Malgré tout la magie est toujours là.
Le temps n’est pas au beau fixe et il faut jouer à cache cache avec les ondées. Je pars à la découverte de nouveaux quartiers un peu à l’écart de la cathédrale en progressant d’église en église non pas par dévotion, mais pour m’y réfugier de la pluie et profiter d’instants paisibles, méditatifs, loin de la cohue. Ici je me retrouve noyé dans une mer d’ados ou de gamins, c’est la sortie des écoles, ça discute, ça se chamaille, ça se fait des farces, ça gueule, c’est vivant, loin du folklore. Là je me mêle un moment aux clients du marché des Abastos pas loin duquel je découvre un restaurant, « La churasquita », où j’ai la chance de trouver une place au milieu d’une population de travailleurs : pas un seul pèlerin. Il propose un menu du jour à 8€ dans lequel je choisis des moules à la vapeur suivies d’une sorte de potée de poisson où je crois distinguer de la lotte : excellent même si comme d’habitude le dessert est tristounet et le sourire absent, probablement un signe d’authenticité.
15h15, à l’aéroport, ça y est mon sac s’éloigne sur le tapis roulant. Je suis arrivé ici en bus, sans encombre, avec un certain nombre d’autres pèlerins. Dans la salle d’embarquement j’essaye de faire connaissance, mais ils sont tous en couple ou en groupe et s’ils répondent à mes salutations ils ne manifestent pas l’envie d’engager une conversation. On nous annonce un léger retard, puis un retard important ce qui crée un rapprochement des voyageurs le temps de résoudre les incertitudes sur notre sort. On nous offre une collation au self, chacun mange de son côté. Dans l’avion qui arrivera vers minuit tout le monde s’ignorera, chacun à ses souvenirs. C’est avant tout une aventure personnelle toujours difficile à partager et comme l’avion, il nous reste maintenant à atterrir en douceur. La parenthèse du Chemin est refermée.
Camino à venir
Merci Pierre pour ce récit du Camino, qui m’aide à préparer mon projet pour 2018. J’ai marché de Brignoles à Santiago en 2016, il faut que je reparte, et je souhaite privilégier la marche en Espagne, donc la Via de la Plata me tente. Ce Camino semble plus fréquenté par des cyclistes que par des piétons, et il semble nécessaire de bien prévoir le ravitaillement en eau et nourriture. Mais je ferai de plus petites étapes que toi ! Buen Camino !
la via de la plata plus tard
Merci pour ce récit et ces photos qui nous font vivre le chemin avant l heure.Moi ce sera dans 1 ou 2 ans .Ayant déjà parcouru d’autres chemins et étant du genre « sauvage »,je partirais,je pense en Novembre pour éviter la chaleur et …les touristes….Merci encore pour ce récit ponctué d’humour qui me fait vous saluer bien bas….
Pour Michel
Si pour les « grands angles » tu fais allusion aux bandeaux en hauts de page, tout est dans l’art du découpage à partir d’une photo normale, mais quand même prise dans ce but.
Frances, Norte ou Plata ? Ils ont tous leur caractère, prends le temps de les faire tous ;o)
Amitiés
tout
Bonsoir pèlerin! en peu de mots si c’est possible! magnifiques diaporamas, textes détaillés et très intéressants, photos grands angles superbes ( avec quel appareil? ) superbes idée d’inséré en milieu de texte ces petits enregistrements, bruits de fond durant notre lecture..en un mot..tout est bien et sort de l’ordinaire..j’ai de quoi m’occuper pour l’hiver!!! une dernière question: ayant fais le francés et el Norte, lequel de ces trois avec la plata, conseilles-tu? Amitiés Michel..au plaisir de te lire.
via de la plata
Je viens d’achever le voyage et je viens d’achever la lecture du tien. Nous avons vécu les mêmes impressions, les mêmes émotions, vu les mêmes paysages, pris les mêmes photos; c’est une émotion de plus que de partager tout cela; Merci et certainement à bientôt et peut être sur le chemin.
Pour Bernard
Bonjour,
Peut-être n’aimes-tu pas la chaleur. C’est elle qui m’avait attiré sur la via de la Plata, et même si elle n’a pas toujours été très clémente avec moi je ne lui en tiens pas rigueur.
Buen Camino pour ce nouveau départ que je te souhaites un peu moins tourmenté que le précédent.
Amitiés
Pierre
merci …
Merci de te donner la peine d’écrire ce récit de voyage. C’est œuvre utile pour ceux qui comme moi vont le parcourir.
Je pars pour Séville ce vendredi 01 mars.
L’année passée j’ai parcouru le camino frances d’Oloron St-Marie en Béarn au cap Finistera en Galice, entre le 01 avril et le 01 mai, 21 jours de pluie-vent sur 30 jours… Alors le temps qu’il fera, sera.
Amicalement.
Bernard
RE: la fin de voyage
Merci de m’avoir suivi jusqu’ici.
C’est une aventure d’une toute autre nature que vous entreprenez, mais tout en bougeant moins on doit y cheminer aussi ;o)
Amicalement
La fin du voyage.
Voilà, je vous ai suivi, même plusieurs fois le long de vos périples.
Cela doit vous laisser des souvenirs inoubliables !!!! J’ai pris beaucoup de plaisirs à vous suivre, à suivre vos pas !
Merci beaucoup en espérant vous relire un jour.
Maintenant, je pars vivre avec les moines Chartreux, qui eux, ont moins la bougeotte.
Amicalement.
Pour Jean-Claude
Bonsoir Jean-Claude,
Et oui les temps changent … mais ne tournons pas à l’ancien combattant ;o)
Les projets de départs vont et viennent … je laisse murir.
Merci de m’avoir encore une fois accompagné jusqu’ici.
Amitiés
Re: De Bendoiro à Saint-Jacques-de-Compostelle : 50 km
Bonjour Pierre,
Ah! le blues à l’arrivée!… c’est un peu comme la solitude du coureur de fond.
Apparemment Santiago fin septembre 2010 était encore envahi de touristes « de tout poil »…
Fin juillet j’avais trouvé cette ville en arrivant, très « bling-bling et pipeule. »
Je ne me retrouvais pas du tout avec ce que j’avais connu 5 ans plus tôt.
En tous cas Bravo pour ce Camino. Le prochain c’est pour quand?
J’ai vu quelque part un projet sur la voie d’Arles?
Jean-Claude
Pour Irène
Bonjour Irène,
Merci d’avoir patienté jusqu’à la fin ;o)
Repartir ? J’espère, mais je ne sais pas quand.
Chacun son Chemin, quelques fois je rêve de savoir ne faire que 25 km et de profiter autrement du Chemin. Ce pourrait être un objectif pour cette prochaine fois…
Buen Camino pour la fin de ton périple.
Amitiés
Re: De Bendoiro à Saint-Jacques-de-Compostelle : 50 km
Bonjour Pierre
Bravo pour tes chemins parcourus et surtout pour tes récits. Ce n’est pas forcément la partie la plus facile. Et maintenant ? Repartir?
« Le vrai domicile de l’homme n’est pas une maison mais la route, et la vie elle-même est un voyage à faire à pied. »(Bruce Chatwin)
Pour ma part, je vais terminer mon périple en Mai prochain à raison de 20à 25km par jour, tranquillement car contrairement à toi je suis une adepte de la lenteur. En fait je suis incapable de parcourir 50km dans une journée.
Amitiés
Pour Anne
Bonjour Anne,
Que vous dire d’autre que merci, pour votre fidélité, votre soutient et vos encouragement à poursuivre ce blog et à reprendre la route.
Amitiés jacquaires
Pierre
Re: De Bendoiro à Saint-Jacques-de-Compostelle : 50 km
Bonjour Pierre,
Que dire, sinon répéter une nouvelle fois, tous les félicitations et remerciements mérités ?
Les félicitations pour les chemins parcourus et la tenue talentueuse de ce blog.
Les remerciements pour ce généreux partage. Et à titre plus personnel, pour l’ exemple, qui m’ a permis d’ entreprendre les trois mêmes Caminos, que vous avez été pour moi.
Rajouter, peut-être, ces quelques mots de Rabindranath Tagore :
« Je croyais que mon voyage touchait à sa fin, ayant atteint l’ extrême limite de mon pouvoir, – que le sentier devant moi s’ arrêtait, que mes provisions étaient épuisées et que le temps était venu de prendre retraite dans une silencieuse obscurité.
Mais je découvre que… … là où les vieilles pistes sont perdues, une nouvelle contrée se découvre avec ses merveilles. »
Vous n’ avez plus qu’ à reprendre sac, bâton, chaussures de randonnée… et nous régaler ;o)
Je vous souhaite « Bon vent », Pierre.
MERCI.
Anne