Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Ourense, lundi 27 septembre.
7h40 je quitte l’auberge le ventre vide à la recherche d’un bistrot.
8h30 me voilà sur le vieux pont d’Ourense, un de ces ponts mythiques du Chemin comme ceux de Cahors, Puente la Reina, Saint-Jean-Pied-de-Port, Merida … En route j’ai pris mon petit déjeuner. C’est l’agitation des grandes villes, flot ininterrompu de voitures et parents qui traînent leurs enfants vers l’école. La plupart des gens tout à leur routine m’ignorent, mais certains me lancent des « Buen Viaje » et m’indiquent le Chemin, ce qui ne m’empêche pas de me planter à plusieurs reprises. Cette nuit, est-ce le pinard infect d’hier soir dont je n’ai pourtant bu que quelques gorgées ? J’ai fait plein de rêves, assez agréables d’ailleurs.
Un peu plus de 9h je quitte la très animée Calle de Santiago pour une petite rue calme qui m’éloigne de la ville. C’est le moment que je choisis pour me rappeler que j’aurais dû m’acheter dentifrice et brosse à dents alors qu’il n’y a plus aucun magasin. Hier l’hospitalero m’a signalé qu’il y avait deux chemins possibles l’un à l’est l’autre à l’ouest qui économise 3 km, mais emprunte une pente beaucoup plus raide. Ce sera le premier, je ne suis pas à la recherche d’exploit et j’ai le temps, il semble d’ailleurs être le trajet le plus habituel.
A Cudeiro, le chemin suit l’ancienne voie royale, le Camino Real, et escalade la ville par une côte sévère. Je ne me sens pas fatigué. Il fait beaucoup plus beau qu’hier à la même heure, le ciel est bleu avec quelques nuages effilochés. A la sortie du bourg je me rends compte que je n’ai pas vu la borne « 100km » annoncée par le guide. Il faut dire qu’elles ont presque toutes perdu leur plaque de kilométrage, sans doute arrachée en guise de trophée.
11h45 je quitte Bouzas après un arrêt « bocadillo ». On sort à peine de la zone résidentielle d’Ourense avec un mélange de maisons anciennes, de pavillons style « Sam Suffy » et d’énormes baraques avec piscine, parfois à l’architecture tapageuse mais preuve de moyens certains.
13h45 j’entre dans Cea. Il fait doux, le chemin jusqu’ici sans être exceptionnel était agréable et évitait pratiquement tout le temps la route, il y avait même des mûres savoureuses. Les vignes se font plus présentes, cultivées en treilles soutenues par des poteaux en granit, le même genre de poteau utilisé pour maintenir les clôtures des champs. Dans le bourg c’est la fête avec fanfare, je m’imprègne de l’ambiance qui me donne des forces. A la sortie je croise un groupe de pèlerins entraîné tambour battant par la femme du jeune couple espagnol toujours aussi énergique. Ils n’ont plus leur sac à dos sans doute confié à leurs parents. Carte à la main, elle recherche le chemin direct, celui qui évite Oseira. Ils vont au plus court. Nous échangeons sourires et « Buen Camino ». Il resterait une petite dizaine de kilomètres pour finir l’étape.
16h j’entre dans Oseira. Depuis Cea le chemin était très bucolique même si la fin, à partir de Pielas, se déroulait sur goudron ; il n’y avait pas un chat. Je découvre un bâtiment immense qui rappelle le monastère de Sobrado peut-être même plus grand, plus austère. Tous les deux sont d’ailleurs dédiés à Santa Maria. Un carillon genre Westminster, très kitsch, totalement incongru, m’accueille.
16h15 ça y est j’ai un lit, il y en a une bonne quarantaine dans une sorte d’ancienne église immense à l’écart du monastère et je suis le premier. L’équipement du refuge semble moyen, moyen. Il n’y a pour le moment personne à l’accueil. En attendant je feuillette le livre de bord. Hier ils étaient 8 pèlerins, mais le 24 il n’y avait personne. Chili, Angleterre, Canada, Allemagne, Italie, Suisse, Pays-Bas … mais en majorité c’est l’Espagne. Il y a quelques fois des grosses équipes, là je vois le même jour une vingtaine de cyclistes. Il y a des tables mais je n’ai pas vu de cuisine, je ne sais pas comment ils se débrouillent.
Voici quelqu’un. L’hospitalero, aussi rayonnant que Droopy, m’explique le mode d’emploi. Sur place il y a un lavabo avec eau froide et deux WC. Pour les douches il faut aller au monastère puis se faire ouvrir. J’y vais. C’est très monacal, les murs sont verts d’humidité, heureusement l’eau y est chaude, très agréable, pendant 15 secondes, puis c’est froid 15 secondes et cela recommence. Quand on a pris le rythme on peut savourer l’instant et il ne reste plus qu’à choisir l’option de sortie sur une phase froide ou chaude selon affinité. Mon guide, un peu ancien, parle de couchage au sol, et j’ai eu la surprise de trouver des vrais lits, donc ça évolue, il faut leur laisser le temps.
Une fois récuré je rejoins une visite guidée du monastère, en espagnol, très intéressante même si je ne comprends pas tout. Les jardins sont parsemés de fontaines du sculpteur Orense Nicanor Carballo. Dans le groupe un homme, 35 ans, bedonnant, n’a visiblement qu’une envie, découvrir les richesses architecturales de sa compagne qui, ornée d’un sac Vuiton, reste imperturbable, concentrée sur les explications de la guide.
Autour des bâtiments religieux il n’y a que quelques boutiques de souvenirs et deux bars. Après mon escapade culturelle je prends une bière avec quelques chips dans le premier puis pour équilibrer le commerce, vers19h30 j’apporte ma clientèle au deuxième qui propose des « raciones » et un menu. Catastrophe, c’est le mauvais jour il y a un problème dans la « cocina », et ils ne peuvent me servir que du jambon ou du chorizo. Les autres pèlerins devaient être au courant c’est pour cela que je suis seul, même pas un touriste de passage. En compensation, je décide de m’offrir un bon vin. « Froid » ou « pas froid », c’est l’unique choix possible. Trois euros la « bonne » bouteille, qui plus est dans un site touristique. Bon ça se boit, l’avantage c’est qu’à ce prix on se sent pas obligé de finir la bouteille, surtout au vu du volume solide avalé, quelques tranches de jambon et un petit panier de pain. Demain le bar est ouvert à 8h, ça me laisse 12 h de sommeil possible ! La nuit va être longue.
Contrairement aux nuits précédentes dans les auberges de la Xunta, aujourd’hui il n’y aura pas de chauffage, mais, fait exceptionnel en Espagne, des couvertures sont mises à disposition. Mon choix se porte sur une couverture avec un joli motif coloré, mais elle pèse 40 tonnes, la mise en place de la suivante me fait découvrir un sommier en agglo : « es monacal ! »
Pas loin de 22h, unique pèlerin dans cet immense dortoir de 40 lits, je n’ai pas le moral à zéro mais je me sens un peu seul d’autant plus que je n’ai plus rien à lire, ce n’est pas déprimant non plus, mais ce n’est pas joyeux. J’ai passé la soirée avec Duke Robillard. J’aime beaucoup. En prévision d’un flot d’arrivage je m’étais mis au fond près d’une fenêtre à travers laquelle la clarté de la lune éclaire mes chaussettes qui sèchent au pied de mon lit comme deux fantômes phosphorescents. Une voiture vient de passer et illumine un moment les meurtrière, je dis meurtrières pour forcer le trait, ce sont juste de hautes fenêtres étroites. Écouter du blues, dans cette semi pénombre, perdu sous cette grande voûte où le moindre soupir résonne est totalement surréaliste.
J’aimerais pouvoir me rappeler toutes ces émotions, quelles soient heureuses ou tristes. C’est difficile de se souvenir de tout, en ce moment j’ai des boutons sur la fesse gauche et je ne m’en souviendrai plus … à moins que ce ne soient des punaises. Tous ces petits détails, tous ces morceaux de vie sans importance qui tissent l’instant présent. Je ne suis pas vraiment triste, je suis pas vraiment seul, juste le temps qui passe … et qu’est ce que je fous là ? Est-ce que tout ça a un sens ? Bon ! Stop ! Duke a presque réussi à me refiler le bourdon, il est vraiment doué, peut-être un peu aidé par ce breuvage mirifique. Soyons positif, je ne devrais pas être gêné par les ronfleurs sauf à me réveiller moi même. Et puis il fallait que cela arrive ici, dans un monastère, un vrai miracle : j’ai retrouvé mon dentifrice et ma brosse à dents dans la poche de ma polaire !
Oseira
Faire étape à Oseira c’est accepter et remercier ceux qui nous accueillent avec les choses les plus simples ,sobres et loin de notre confort d’enfant gâté et sans préoccupation du lendemain
Pour Anne
Bonsoir fidèle lectrice,
Moi qui pensais qu’ils allaient année après année améliorer le refuge. J’ai donc eu la chance de pouvoir en profiter, de vivre cette expérience. Ce fût une de mes nuits les plus étranges et le prix était très modique, 3€, par contre, on ne peut tout avoir, je suis reparti sans petite peinture sur bois.
Santiago n’est plus très loin…
A bientôt
Pierre
Re: De Ourense à Oseira : 32 km
Bonsoir Pierre,
Vous faites partie des Happy Few !
Lors de mon passage à Oseira, il n’ était plus possible d’ y dormir à moins d’ y rester plus d’ une nuit. Les moines ne sont plus assez nombreux pour assurer cet accueil m’ a-t-il été expliqué.
Mais une belle visite du monastère, notamment de la salle capitulaire avec ses colonnes « palmiers » en compagnie de Frère Marie Luis.
Vous a-t-il remis une de ses petites peintures sur bois représentant le visage du Christ aux yeux si… percutants ?
En lisant votre compte-rendu de cette étape, je retrouve le ressenti, hors du temps, hors de tout, que j’ ai éprouvé pendant tout le premier mois de mon dernier, en date, (;););) !) chemin, cet automne : jusqu’ à Bayonne, à trois exceptions près, toujours seule, le soir aux étapes comme dans la journée.
Effectivement, la question peut se poser : « Que fait-on là ? » !!!
Mais il y a Santiago au bout… Et puis, nous aimons tellement marcher Hihihi !
Anne