Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Lubian, jeudi 23 septembre.
J’attaque ma quatrième semaine sur la via de la Plata. J’ai quitté le gîte vers 7h45 en direction de A Gudiña à environ 25 km. Hier soir Shannon nous a concocté un thé, 20 mn de préparation avec des fleurs, des plantes et je ne sais trop quoi, toutes choses sorties de son sac. Est-ce l’effet de ce breuvage mystérieux où la baisse d’anxiété due à ma main retrouvée, mais pour la première fois depuis longtemps j’ai fait toute ma nuit d’une seule traite et à 7h sans le peu de bruit fait par Arnaud en pliant son barda j’aurais sans doute dormi plus longtemps.
9h30, ça y est je suis au sommet du col de A Canda, ça y est je suis en Galice. Malgré ses 400 m de dénivelé sur 3 km la montée était plus facile que celle d’hier avec de longs plats qui permettaient de récupérer, mais est-ce cette nuit un peu écourtée, sans me sentir fatigué je me sens ramollo. Le ciel est couvert et un peu brumeux dans la vallée, de la pluie est d’ailleurs annoncée pour les prochains jours. En haut le panorama n’est pas extraordinaire si ce n’est une belle vue dégagée sur l’autoroute. La première borne galicienne indique 246,244 km jusqu’à Santiago.
Depuis hier Arnaud et moi faisons route ensemble. Il est plus rapide, surtout dans les montées, mais il a la patience de m’attendre de temps en temps et en haut des côtes qu’il franchit allègrement. Un agréable compagnonnage. Peu après le village de Vilavella nous traversons une zone forestière incendiée où par réflexe nous ne nous attardons pas. Un café à O Pereiro nous accueille pour le rituel sandwich-café.
Il fait frais et, dès qu’on s’arrête de marcher, très vite on a froid. Jusqu’à O Canizo, le chemin nous offre une belle traversée de landes. En fait on glandouille, le but n’est plus très loin et on se laisse aller à profiter du paysage. Granit, choux, vaches, bouses et genêts confirment que nous sommes en Galice.
Nous arrivons à l’auberge d’A Gudiña vers 14h30 et avons la surprise d’y retrouver Shannon qui était pourtant loin d’être prête quand nous sommes partis ce matin. A Vilavella elle n’a pas résisté à la tentation d’une pause au Spa, puis des gens l’ont amenée ici en voiture. Elle veut s’avancer, gagner des jours, car elle a peur de rater son avion, alors elle repart. La prochaine auberge est à 20 km ce qui fait quand même une arrivée au mieux vers 19h. Avec Arnaud nous avions un moment envisagé d’aller jusque là car l’étape d’aujourd’hui n’est pas considérable. Mais non, cette fois ce n’est pas programmé dans nos têtes donc inutile de se lancer, en plus le ciel est menaçant. A mon avis le plan que Shannon a dans la tête ne va pas mettre en danger ses chaussures. A chacun son Chemin. Ce soir il faudra se débrouiller sans elle pour manger.
Nous sommes les premiers, il faut téléphoner à la Guardia civil qui va venir nous ouvrir. Là aussi nous retrouvons la Galice avec ses grandes auberges pour pèlerins, les auberges de la Xunta, toujours impeccable, bon marché, très modernes, bonne literie, du PQ en veux-tu en voilà, des essuie-mains, enfin le grand luxe, mais avec des douches communes, une pour chaque sexe, et pour une fois un accueil chaleureux. Après les ablutions d’usage je vais manger dans un bar : « racion de tortilla con patatas y pimientos » (portion d’omelette aux pommes de terre et piments verts). Un bon en-cas pas cher : 1,5 €.
Mes jambes manquent un peu d’énergie. Cela fait deux jours consécutifs de montées et après les grandes plaines il faut se réhabituer, j’apprécie mon sac allégé ; l’année dernière aussi les premiers jours au pays basque avaient été éprouvants et puis les antibiotiques m’ont sans doute fatigué. Une petite sieste s’impose. La pluie qui aimablement n’attendait sûrement que ce moment s’est mise à tomber. Arnaud mettra mon linge à l’abri.
René et Heidi sont arrivés vers 18h, sous la pluie, un peu exténués mais là.
La pluie s’est calmée et ma cape sous le bras je pars faire quelques emplettes et visiter la ville qui sous ces nuages bas s’avère tristounette. La température est tombée à 17°C. De retour à l’auberge je m’allonge, une des grandes occupations du pèlerin, et me plonge dans « Ligne de faille » de Nancy Huston. Arnaud n’a toujours pas trouvé de carte mémoire pour son appareil photo.
Le soir nous partons tous manger chez Oscar qui propose un menu pèlerin à 10 €. A part la soupe qui nous réchauffe, ce n’est pas fabuleux, mais l’ambiance est joyeuse en dépit de la mauvaise humeur patente du garçon (est-ce contre nous ou son caractère habituel ?) qui balance littéralement les assiettes sur la table et n’arrêtera pas de maugréer en rendant la monnaie.
Plusieurs personnes m’ont dit que j’avais l’air fatigué, groggy, et c’est vrai qu’aujourd’hui je me sentais vidé en montant la moindre déclivité. Est-ce pour cette raison qu’Arnaud m’a accompagné, a joué les anges gardiens ?
Pour Anne
Bonjour Anne,
Merci pour votre fidélité et d’avoir trouvé cette jolie métaphore à laquelle je n’avais pas songé. C’est aussi ça partager, le lecteur peut apporter sa pierre à l’édifice.
Bonne journée, ici pluvieuse.
Pierre
Re: De Lubian à A Gudiña : 26 km
Bonjour Pierre,
Un grand bravo pour la photo (entre autres) : « une tentative d’ évasion » !
Nous seulement elle témoigne du regard du photographe qui « voit » là où les autres ne voient « rien » mais elle me paraît aussi, une superbe métaphore de l’ appel du chemin.
Et elle ensoleille ce matin !
Merci.
Anne