Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Tabara, lundi 20 septembre.
7h, je quitte l’auberge en direction du centre ville où le café-restaurant d’hier soir ouvre à 7h30. Il fait très beau et moins froid qu’hier mais c’est vrai que je suis encore à l’abri des maisons.
Selon les prescriptions de la faculté il me faut prendre un cachet toutes les 8 heures ce qui n’est pas si évident. Le couvre-feu étant en général à 22h la prise suivante devrait être à 6h, heure à laquelle tout le monde dort et je ne peux décemment pas mettre mon réveil. Du coup ça commence mal, ce matin je ne me suis réveillé qu’à 6h30 ! On va supposer que cet écart est tolérable et ne met pas en péril le traitement. Hier soir en rentrant du restaurant, pourtant bien avant 22h, tout était déjà éteint compliquant ainsi la préparation du sac pour le lendemain et ce matin, à 6h45 quelqu’un a tout allumé, sans préavis, mais personne n’a protesté. Il doit y avoir un groupe mené d’une main de fer.
7h40, me voilà reparti. Je n’ai pas bien compris si c’était pour aujourd’hui mais la télé montrait une carte d’Espagne pleine de petits nuages pleurnicheurs. Pour le moment ici le ciel est très bleu et il commence à faire jour. Dans mon dos les courbatures n’ont toujours pas lâché prise.
9h20 je viens d’être dépassé par les cyclistes qui m’avaient convié à leur table hier soir. L’un deux a 72 ans et a parcouru plusieurs fois la via de la Plata. A vélo ils suivent exactement le même trajet que les marcheurs et, par exemple, ils ont gravi et descendu le Pico de la Doña là où je me suis planté lamentablement. Ils se sont arrêtés un moment à ma hauteur pour me demander des nouvelles de ma main et m’informer sur mes « poursuivants » si j’ose dire parce que justement je freine ; j’essaie de maintenir un rythme qui ne sente pas la course : si on me rattrape tant pis, tant mieux, cela m’est égal. Je marche à mon tempo, soutenu mais pas limite, une pseudo marche afghane, en fait je régule ma respiration. J’espère dépasser les 24 km prévu par le guide, peut-être en faire 35 jusqu’à Calzadilla de Tera, autant avancer si les antibiotiques ne me cassent pas les pattes. Derrière, à environ un kilomètre, il y aurait donc « 3 septembre », le Français d’hier soir. Puis d’autres marcheurs dont un autre Français, assez corpulent, sorti un peu avant moi du café ce matin. J’ai cru un moment qu’il était espagnol et quand je l’ai rattrapé nous avons commencé à parler anglais. Il vit à Malaga par obligation professionnelle, mais ne supporte pas la chaleur. Aujourd’hui, pour le moment, cela devrait lui convenir, il fait très beau mais à l’ombre tout de suite il fait frais.
10h15 j’entre dans Villanueva de las Peras après une grande portion rectiligne de route goudronnée. Sur le bas côté, comme à l’entrée de Tabara, des constructions semi-entérrées : grenier, séchoir…? D’après mon guide je ne devrais pas être là, le Chemin n’y passe pas. Peut-être y a-t-il eu un détour à cause des travaux d’autoroute car je viens de voir une flèche jaune qui me confirme que je ne suis pas perdu. En ville pas une seule alimentation ce qui n’est pas encore vital. Par contre, pour une fois, il y a une multitude de bars, mais je ne suis pas tenté. Un vieux monsieur me dit qu’il ne faut absolument pas continuer dans cette direction à cause de travaux, je rebrousse chemin et c’est au tour d’une dame de m’interpeller pour me signifier exactement le contraire ; pour m’en persuader elle me traîne dans un bar où l’on parle français : pour en finir il n’y a pas de travaux, ou plutôt il n’y en a plus, il suffit de suivre les flèches. Pas moyen de se perdre, le pèlerin est immédiatement remis dans le droit chemin. Aucune nouvelle des autres, je ne sais pas où ils sont passés, peut-être happés par un des bars. Il fait toujours très beau et j’avance.
11h je m’impose 10 mn d’arrêt d’abord parce que cela va bientôt faire 2h30 que je marche et ensuite comme exercice de résistance à la compétition, il y a beaucoup de marcheurs derrière et malgré mes résolutions cela me pousse à accélérer. Cet état d’esprit n’est probablement pas étranger à ma chute. Il faut absolument que j’arrive à l’éradiquer.
Midi, je suis sur un banc dans un jardin public à Santa Croya de Tera et je savoure une boisson fraîche, énergétique, Aquarius, censée être pour les sportifs, achetée avec 3 pêches en prévision de l’après-midi dans une alimentation toute proche. Je m’approvisionne en flux tendu, la ville suivante, à 2km, dispose d’une auberge pour pèlerins et donc en principe de quoi les ravitailler.
12h40 je quitte Santa Marta de Tera un peu déçu malgré une église très intéressante : aucun des bars ne proposait de sandwich. J’y ai retrouvé les 2 Français, celui de Malaga attendant un copain qui devait passer le prendre en voiture et « 3 septembre » qui vise lui aussi Rionegro à environ 25 km.
Après Santa Marta on suit le rio Tera. Il fait agréablement frais. Des plantations de peupliers et de maïs rappellent les paysages du sud-ouest français. Je m’installer contre un peuplier, à l’ombre, pour grignoter mes quelques provisions.
13h25 je repars après avoir mâchouillé comme j’ai pu mon dernier bout de chorizo, j’ai réussi à le liquider, au moins il ne pèsera plus dans mon sac. Pendant cette dégustation j’ai vu passer « 3 septembre », nous avons échangé un petit signe, on fraternise. Personne d’autre. Peut-être ont-ils décidé de faire étape à l’auberge du village.
15h45 peu après Calzadilla de Tera j’entre dans Olleros de Tera après avoir suivi un canal d’irrigation pendant 3 à 4 km. Rien que la vue de l’eau était rafraîchissante. J’arpente l’agglomération en tous sens, il faut savoir se montrer obstiné pour les choses importantes, et finis par trouver un bar où je me réhydrate avec une blonde, « sin alcohol ». Je suis en forme. Prochain village à 8 km, peut-être une prochaine bière.
17h25 je quitte le barrage de Nuestra Señora de Aguavanzal. Pour arriver jusqu’ici le marquage est un peu contradictoire et j’ai perdu pas mal de temps. Le parcours rejoint le bord de la rivière parfois à fleur d’eau ; c’est très joli, sauvage, mais sûrement impraticable à la saison des pluies. Au pied du barrage la passerelle piétonne est écroulée, arrachée, pour traverser il faut faire le détour en montant jusqu’à la digue.
Après une magnifique route épousant la rive du lac de retenue, j’entre dans Villar de Farfon. Crique après crique j’ai longtemps espéré apercevoir enfin les toits de ce village et malgré la beauté du site, son calme absolu, cette portion de trajet m’a paru interminable. Il est 18h. Déception, aucune alimentation, aucun bar, en fait rien, trois minutes suffisent pour dépasser les quelques maisons. Il me faut impérativement trouver de l’eau car après vérification il ne m’en reste pratiquement plus. Je bois beaucoup aujourd’hui. Est-ce les antibiotiques ? Même s’il fait beaucoup moins chaud, inutile de se rejouer un scénario précédent. Je me décide à demander à un couple âgé assis sur son balcon, face non pas au néant mais à la nature, rien qu’elle, à perte de vue. Ils m’indiquent un robinet sur le côté de la maison. Alors que, l’arrivée étant proche, j’y refais un demi-plein, une jeune femme sort et met un portillon en travers de la porte, signe de la présence d’un jeune enfant. Comment vivent ces gens, ici, dans cette simplicité, ce dénuement ? Ils y font leur vie et y sont peut-être très heureux. On se complique sans doute la nôtre. Un peu plus loin, encore en vue de cette maison hospitalière, je fais une pause et déguste mon eau et une pêche achetée ce matin. Il reste 5 km.
19h25 j’entre dans Rionegro del Puente. Reste à trouver l’auberge et si possible un lit en bas ce qui n’est pas gagné car dans les derniers kilomètres j’ai été doublé par des cyclistes. Le Chemin est envahi par les cyclistes. Allez, soyons tolérants : le Chemin est très prisé par les cyclistes.
19h30 ça y est j’y suis, « 3 septembre » m’y a précédé. Nous finissons par nous présenter, il s’appelle Arnaud. L’auberge est spacieuse, confortable, et un lit isolé, au sol, m’y attend.
C’est la fête au village, on nous a signalé qu’à cette occasion il y avait des possibilités de manger à prix réduit. Nous allons y faire un tour. Une très belle soirée où Arnaud et moi faisons plus ample connaissance. Comme moi il a sauté la première étape du Chemin après Séville, Guillena, et à bout de force il a également envisagé de bivouaquer sur le sentier, pourtant lui n’avait pas négligé le point d’eau avant Castilblanco ; notre expérience de la marche et du Chemin s’est ce jour-là avérée être un piège, nous aveuglant au point de nous faire perdre conscience que nous n’étions plus dans le cadre auquel elle se référait. A notre table, il y avait aussi un couple franco-allemand. Ils font des étapes d’environ 25 km et ils leur faudra environ 40 jours pour parcourir la via de la Plata. L’homme, le français, envisage de faire le pèlerinage jusqu’à Jérusalem, en attendant une fois à Saint-Jacques il a l’intention de repartir pour participer au colloque Santiago-Cordoue. Il a déjà fait cette portion du Chemin l’année dernière et la passerelle au bas du barrage était alors opérationnelle.
Pour Jean-Claude
Salut Jean-Claude,
Merci pour ta patience et ta persévérance.
En fait je devrais moi aussi relire tout (même si cela fait un peu contemplation nombriliste) mais avec toutes ces rédactions échelonnées au fil des mois je ne sais pas si l’ensemble reste aussi cohérent que dans mon souvenir.
Pierre
Re: De Tabara à Rionegro del Puente : 47 km
Bonjour Pierre,
Merci pour cette suite attendue!
Je me disais que je devrais reprendre la lecture depuis le début ; car je ne met pas ton talent de narrateur en doute…. (étape précédente) mais çà permet d’avoir une vue globale. ;°)
– faut que je me bloque une soirée ou un après midi –
Pour le moment je continue jusqu’à Santiago…
Jean-Claude
Pour Anne
Bonsoir fidèle lectrice,
J’ai donc ici la réponse à ma question suite à un de vos précédents messages. J’espère, même si ce dernier périple n’a pas détrôné dans votre coeur « le chemin » qu’est la via de la Plata, que vous avez eu plaisir à l’accomplir, qu’il vous a apporté quelque chose de particulier. Ils ont tous quelque chose de particulier même si chacun a ses préférences.
Merci à vous et à votre guide d’éclaircir le mystère de ces casemates. Du vin ! Je n’en ai finalement pas beaucoup bu sur ce chemin malgré tous ces vignobles traversés, la chaleur me portant plus pour une fois vers la bière.
Pierre
Re: De Tabara à Rionegro del Puente : 47 km
Bonsoir Pierre,
Rentrée chez moi de fraîche date après le périple que vous savez, je trouve avec grand plaisir la suite de vos articles sur votre chemin de La Plata.
Ce chemin reste pour moi « le chemin » et c’ est avec émotion que je lis votre prose, que je me régale de vos photos.
Si j’ en crois le guide de l’ Asso. des Amis du Chemin de Saint Jacques de Séville dont je me suis servie ce printemps, les constructions troglodytes, dans la région de Tabara, sont des caves à vin.
Anne
Pour Hélène
J’ai bien sûr éliminé l’abri anti-atomique, mais à vrai dire je n’ai pas trouvé malgré quelques recherches sur Internet.
Greniers
Ca ne ressemble pas à des greniers ??? Trop au ras du sol non ? J’aimerais bien savoir à quoi cela sert…