Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Salamanque, jeudi 16 septembre.
La nuit s’est bien passée même si cette grande secousse infligée à ma carcasse a réveillé quelques points sensibles qui m’ont souvent contraint à changer de position. Ma main n’est pas gonflée, au contraire elle a meilleur aspect qu’hier, mais elle est sans force et dès que j’essaye d’attraper quelque chose ou simplement quand je noue mes lacets elle proteste. Tout le reste va bien, donc c’est décidé je continue. Bien sûr la petite question « Vais-je y arriver ? » me titille de temps à autre mais le moral est bon. Hier je l’ai échappé belle. On m’a raconté des histoires analogues qui se soldaient par des fractures, nez, côtes… Profitons de cette chance.
Guy m’a fait un petit bout de conduite jusqu’à la maison des las Conchas. Lui part ce soir en bus. Il est 7h30, dans les rues luisantes de la pluie nocturne règne la grande activité des petits matins urbains : ballet des éboueurs autour des camions poubelles, ouvertures des commerces, livreurs en double file, écoliers qui se chamaillent, travailleurs pressés… Le ciel est très couvert et tant qu’il ne pleut pas c’est vraiment parfait. Je compte aller jusqu’à El Cubo de la Tierra del Vino à 36 km.
8h45 je viens de quitter la nationale, le vacarme du trafic y est assez pénible même si au bout d’un moment on finit par s’habituer et ne plus y penser. On suit désormais un chemin parallèle suffisamment éloigné pour atténuer le bruit.
Dans le dortoir hier il y avait un couple français, à peu près de mon âge. La femme avait mis énergiquement le holà aux pratiques des Espagnols qui réservaient des places pour leurs copains. Zen ne signifie pas résigné. Je viens de les apercevoir derrière moi : elle marche avec juste un petit sac à dos et son homme l’accompagne à vélo avec le reste des bagages. Madame marche et monsieur pédale. Une autre solution pour partager le Chemin.
Quelques gouttes. Avec ma seule main droite j’ai un peu de mal à mettre en place le protège-sac. Le temps d’y parvenir, la pluie cesse. La région est très agricole et, est-ce dû à la luminosité orageuse, semble très différente de celle traversée avant Salamanque : il y a des labours et moins de terres laissées à l’élevage. Un point commun cependant : la rareté des arbres, heureusement que le ciel est couvert. Je me sens vidé, j’espère que la forme va revenir, je marche bien mais dès que je m’arrête j’ai du mal à reprendre le rythme, je n’ai rien dans les guibolles.
11h26 je quitte Calzada de Valdunciel où j’ai pris un pot accompagné d’une de sorte de croque-monsieur. Le ciel a l’air de se découvrir.
13h25 je viens de faire une pause sous un arbre auprès de l’autoroute que suit le chemin. Ce n’est pas paradisiaque et dans l’ensemble ce tronçon n’est pas d’un grand intérêt. Les nuages ont repris possession du ciel ce qui devrait rendre le trajet moins pénible car l’ombre est parcimonieuse. La forme n’est toujours pas là.
Avant de nous séparer Guy m’avait offert ce que je croyais être une pomme dans un sac en papier et qui est en fait un brugnon, bien frais bien juteux, une bien agréable surprise. Merci Guy.
15h45 sauf erreur j’arrive en vue d’El Cubo. Le cadeau de Guy m’a redonné la pêche … si j’ose dire.
En fait, je viens de m’apercevoir que lorsque j’avais installé le protège-sac j’avais mal resserré les sangles du sac qui pendait en arrière, rendant la marche pénible. A deux mains c’est mieux ! Le ciel est désormais très menaçant, de longues traînées verticales indiquent qu’il pleut ailleurs tandis qu’ici ce ne sont que quelques gouttes. Peut-être va-t-on quand même échapper à l’orage.
Une pancarte indique El Cubo, 1 km, on y est. La marche fait souvent gonfler les mains et ma main gauche est impressionnante, enflée, violette, mais heureusement n’est pas chaude au toucher. Un peu de repos lui fera du bien à elle aussi.
16h me voici à l’auberge d’El Cubo. J’y retrouve à peu près les mêmes gens qu’hier à l’exception du couple croisé plus tôt. Une Française m’accueille avec un « Vous êtes le pèlerin qui est tombé avant Salamanque !», radio Camino fonctionne bien. Avec une seule main je suis incapable de monter dans un lit du haut, mais un Espagnol m’affirme que tous les lits du bas sont occupés. Aucun sac n’est visible, encore une réservation abusive. J’installe quand même mes affaires sur un de ces lits et vais prendre ma douche pendant que l’Espagnol me menace des foudres du gardien du gîte. A mon retour d’une toilette acrobatique avec la main gauche dans un sac plastique, l’hospitalero est là, dressé comme un coq sur ses ergots, me sommant d’enlever mon bardas de ce lit RESERVADO. Je salue poliment, reste calme, joue le gentil idiot qui ne comprend pas un mot. Autour de moi je sens les autres pèlerins solidaires. Je lui demande où se trouve le « centro de salud » en lui montrant ma main. Ce n’est pas un sauvage, et on ne tire pas sur une ambulance… il finit par lâcher l’affaire. Ouf ! Par contre en ce qui concerne le centre de santé c’est trop tard il n’ouvre que le matin.
Le soir la grande différence de température avec les jours précédents m’impose le port de la polaire. Au restaurant que j’avais repéré en me promenant dans le village un groupe de pèlerins est déjà attablé. La Française qui s’était fait l’écho de radio Camino m’invite à les rejoindre. Elle est avec son mari. Il y a aussi une dame dont je ne comprends pas la nationalité mais qui s’exprime tantôt en anglais tantôt en néerlandais et un Hollandais à la stature impressionnante. A part lui tous ont déjà une expérience du Chemin. Tous ont débuté leur périple à Salamanque. Les Français font en moyenne des étapes de 20 km, et demain ils comptent s’arrêter dans 16 km, ils profitent du Chemin. Ils seront à Zamora dans 2 jours. Le Hollandais lui n’a pas une grande pratique de la randonnée mais arrive quand même directement de Salamanque avec un sac de 17kg que tout le monde lui conseille d’alléger d’autant plus qu’il se plaint de douleurs aux hanches au niveau de la ceinture ventrale. Un moment bien convivial.
Le centre de santé n’ouvre qu’à 9h. Demain matin je ne compte pas attendre pour m’y rendre, mieux vaut patienter jusqu’au soir d’autant plus qu’avec cette pluie qui menace, il sera sans doute préférable de refaire le pansement après la douche pour qu’il passe une bonne nuit au sec. Demain, comme le géant Hollandais, je compte aller à Zamora, à 33km.