Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Carcaboso, lundi 13 septembre
7h10 j’ai quitté le bar de la Ruta de la Plata. Une excellente nuit, seul dans ma chambre à deux lits. Pour en finir Guy a décidé de partir à 6h ce qui a fait râler la patronne qui avait déjà préparé ses toasts. J’en ai eu pour 3,5 euros, c’est un peu cher, mais cela comprenait une pomme et une banane que j’avais réservées la veille. Elle a essayé de me vendre un tas de trucs, de l’eau, des œufs durs, des barres de céréales… Guy trouve qu’ils sont trop commerciaux, mais on n’est pas obligé d’acheter, c’est juste une dame énergique qui essaye de survivre et puis cela peut dépanner. J’ai déjeuné avec les Hollandais ; nous avons échangé deux ou trois mots du genre « comment ça va ?» , « vous allez où ce soir ?» … pas vraiment le début d’une relation suivie. Pendant que j’attendais au bar pour payer, un olibrius est arrivé et m’a carrément bousculé pour étaler son journal, c’est vrai qu’on n’est pas chez nous.
7h25 j’ai enfin trouvé le chemin, c’était soit disant tout droit mais par moment il y avait des embranchements en pattes d’oie où je n’ai pas dû faire les bons choix. Pas un chat pour me renseigner, je suis donc revenu sur mes pas et j’ai pris d’autres options… comme la souris. Pour parfaire ce bestiaire matinal on est entre chiens (on les entend bien) et loup. Direction les ruines de Caparra , symbole de la Via de la Plata, puis l’auberge d’Aldanueva del Camino à 38 km. D’après le guide il n’y a pas de ravitaillement possible jusqu’au site romain à 20 km.
Pendant une bonne heure le chemin traverse la même campagne verdoyante qu’hier soir et longe de temps à autre des canaux d’irrigation. Soudain la charogne gonflée d’une vache, pattes en l’air, empeste l’atmosphère. Puis la sécheresse reprend le dessus : sable, herbes jaunes et chênes lièges. Le sentier est balisé par de longs murs en pierres qui proviendraient du démantèlement de la voie romaine. Il fait chaud mais c’est heureusement assez ombragé et tout est paisible malgré, parfois, une petite tension inconsciente à proximité de troupeaux de bovins en liberté. Vers 10h j’atteins une route goudronnée refaite depuis peu où je perds un long moment à retrouver le Chemin les marquages ayant sans doute été détruits par les travaux. Une fois dans la bonne direction je m’offre une pause et une de ces barres de céréales qui m’écœuraient tant au début du voyage et tout à fait à mon goût aujourd’hui. Il fait de plus en plus chaud.
Le même type de végétation se poursuit de l’autre côté de la route mais le chêne liège et donc l’ombre y sont moins denses, à moins que ce soit subjectif et qu’il fasse simplement encore plus chaud. Soudain, après plus d’une heure à ce régime, la silhouette du sommet de l’Arc de Caparra surgit au-loin au-dessus des arbres. Je l’atteins avec une certaine émotion et une grande soif vers 12h30.
L’arc se dresse solitaire à proximité d’un chantier de fouilles où, en plein soleil, quelques travailleurs s’emploient à dégager l’ancienne voie romaine. Je veux fixer l’événement, prendre une photo, quand j’aperçois des jambes qui dépassent de la structure, sous l’arche. Zut, déception, il n’y a personne sauf là ! Contorsions pour essayer de trouver l’angle de prise de vue qui masquera cette incongruité. De l’autre côté de l’arche le spectacle est pire, un couple est avachi à l’ombre du porche, comme s’ils n’avaient pas pu faire un pas de plus. Je ne peux pas m’empêcher de leur faire remarquer, en anglais, et avec le maximum de self-control qu’ils auraient pu trouver de la fraîcheur ailleurs, qu’ils monopolisent le monument qu’on ne peut plus photographier correctement. Soit ils ne comprennent pas cette langue, soit mon charabia n’a pas su refléter fidèlement ma pensée : ils me fixent d’un air bovin et interrogatif. Découragé, je n’essaye pas d’autres idiomes et passe mon chemin en me dirigeant vers le centre d’accueil où, d’après mes informations, il y aurait de quoi s’hydrater.
Après avoir fait un tour succinct du centre d’interprétation consacré au site (l’envie d’une boisson fraîche prenant, je l’avoue, le pas sur ma soif de culture) je m’installe dans la « cantina » où des machines automatiques délivrent tout ce que peut désirer un pèlerin marchant depuis cinq heures sous le soleil. J’en profite pour savourer les quelques provisions enfouies dans mon sac.
13h10 je repars. Le couple perdu de l’arche a réussi à se traîner jusqu’à la cantina, ce sont des canadiens français, on est toujours trahi par les siens, nous nous sommes superbement ignorés. Je repasse devant le monument en espérant pouvoir prendre cette fameuse photo, mais maintenant il y a une voiture, un couple avec chien et des cyclistes, il doit même y avoir par moment des cars de touristes. La solitude rendrait-elle misanthrope ? J’ai refait le plein d’eau, mangé avec appétit, il n’y a plus qu’à y aller pour 19 km.
15h50 je viens de m’apercevoir que j’ai perdu la page de mon guide et je ne sais pas trop où j’en suis. Peut-être à mi-chemin ? J’ai l’impression de me traîner et il me tarde d’arriver, depuis l’arc on emprunte presque exclusivement du goudron qui décuple la chaleur.
16h35 j’entre enfin dans Aldanueva del Camino. Heureusement c’était plus près que je ne le pensais. Guy est à l’auberge. Compte tenu de l’état du gîte il avait envisagé d’aller plus loin, peut-être jusqu’à Baños de Montemayor à 10 km mais cela lui a paru insurmontable. Dans le couloir les poubelles sont renversées et ça sent la pisse, les lits sont en désordre et douteux, cette fois nous nous approchons de la clochardisation. C’est ouvert, apparemment il n’y a pas de gardien ou il est en congé et manifestement ce n’est pas du tout entretenu. Je ne sais pas si c’est un chien ou si ce sont des visiteurs indélicats qui ont laissé les lieux dans cet état mais c’est répugnant, nous abordons les sanitaires avec la plus grande prudence, c’est jouable. Je décide quand même de rester, c’est vrai que la journée a été pénible avec cette chaleur et cela me permettra de mieux faire connaissance avec Guy ; en ne touchant que le strict minimum, en se couchant sur ou dans le duvet, fenêtres grandes ouvertes je devrais survivre.
En attendant l’heure du repas nous allons prendre un pot, une occasion de parler, de se découvrir. Nous parlons surtout du Chemin, très peu de choses personnelles. Il est un peu plus âgé que moi et cela fait une dizaine d’années qu’il parcours le Chemin, un bout par-ci, un bout par-là, il le connaît par cœur. Il fait partie d’une association jacquaire pour laquelle il entreprend une sorte de contrôle qualité de cette partie du Chemin. Sûr que l’auberge de ce soir va gagner ses cinq étoiles ! Il m’apprend que seulement 3% des pèlerins font le Chemin dans un but religieux et, en plus, en général c’est en bus. Cela me paraît peu au vu des gens rencontrés, mais sans doute cela dépend-il de la définition du mot « religieux ». Par ailleurs l’étape moyenne ne serait que de 15 km. La flemme aidant je laisse tomber mon petit tour habituel de village lui préférant la discussion que nous continuons un peu plus loin autour d’un menu de bonne qualité à 9 euros, café compris.
Nous n’allons pas nous attarder dans cette auberge paradisiaque, demain ce sera un départ matinal vers 5h30, autant essayer de rester le moins longtemps possible sous ce soleil accablant. Nous visons Fuenterobble de Salvatierra à 43 km où il y aurait une auberge «mythique».
Pour Hélène
Peut-être que dans un autre contexte ils seraient intéressants à découvrir…Tout le monde a le droit à une deuxième chance ;o)
Re: De Carcaboso à Aldeanueva del Camino : 38 km
Magnifique étape, il faut que j’aille voir ces vestiges (sauf ceux de la photographie 9 ;o)