Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Càceres, samedi 11 septembre.
6h20 j’ai quitté l’auberge de jeunesse en direction de la Embalse de Alcantara (c’est à dire le « Barrage d’Alcantara ») à environ 35 km. Il fait nuit et j’ai mal dormi. Peut-être le café pris hier soir où bien le repas avec son entrée un peu musclée ? Ça n’empêche pas de marcher mais pour une fois que j’étais seul j’aurais pu en profiter pour avoir une bonne nuit de sommeil.
6h36 j’ai rejoint la route vers Casar de Càceres au niveau de la plaza de torros et une marque incrustée dans le trottoir me confirme que je suis bien sur la Via de la Plata. Un indicateur numérique affiche 22°, pour une fois j’ai l’impression qu’il fait frais.
7h15 je quitte la route, pour prendre une piste parallèle, ce sera quand même moins dangereux. En marchant à gauche sur la route tant que les autos ne se suivent pas à la queue-leu-leu ça va, elles voient ma lampe et s’écartent largement, mais je viens d’avoir très peur, le danger est venu de derrière, une voiture a doublé juste à mon niveau, probablement qu’elle ne m’avait pas vu. Je l’ai échappé belle. Il faudrait un signal arrière, peut-être des bandes réfléchissantes.
Cette sensation à marcher dans la nuit est très spéciale, difficile à décrire, à partager, le soleil se lève, le fond de l’horizon est rose, il y a toujours ces odeurs de plantes, l’anis en particulier. Les couleurs sont magnifiques. Je sens des fils le long de mes jambes, peut-être des toiles d’araignées que j’arrache au passage. Après la région des porcs, puis celle des bovins ici ce sont les chevaux. J’en aperçois un dont la silhouette se découpe au sommet d’une colline : splendide.
Depuis 7h30 il fait jour, j’ai rangé la lampe, il fait toujours agréable. A ma droite un beau ranch blanc, du même côté quelques nuages, ce sera meilleur pour la marche.
Ramon voulait essayer une variante signalée par son guide, un chemin qui passe à droite de la nationale, j’espère qu’il ne se perdra pas car je n’ai vu aucun fléchage.
8h25 j’entre dans Casar des Càceres. A la vue des marcheurs et des coureurs qui venaient vers moi je sentais que je n’étais pas loin du but, c’est samedi, jour du sport. En ville des gens remplissent de grosses bonbonnes d’eau à des fontaines publiques : est-ce qu’ils n’ont pas l’eau courante, est-ce pour faire des économie ou est-ce que l’eau y est meilleure ? Mystère. Sur une petite place un ensemble d’appareils de mise en forme ; une dame âgée, sèche comme un coup de trique, se balance dans un appareil avec torsion du bassin puis change d’instrument de torture : tout le monde profite de la fraîcheur relative de ce début de journée.
8h45 je quitte Casar des Càseres. Je comptais y gaspiller quelques roupies dans un café mais tout est fermé, c’est samedi ou simplement trop tôt. Me voilà reparti dans la plaine, sans arbre.
9h50 pour le moment un léger petit vent maintient un semblant de fraîcheur. Le paysage est splendide avec de grandes étendues parsemées de rochers noirs, au loin les montagnes, pas un seul arbre, la route file tout droit tantôt entre deux murets tantôt entre deux barrières. De temps en temps une exploitation agricole. Parfois une motocyclette ou la voiture d’un agriculteur chargée d’une citerne me croisent. Il y a quelques jours je pensais avoir fait le tour de ces Chemins, et c’est un peu vrai. Est-ce le fait de n’avoir fait que 20 km hier, de m’être reposé, d’avoir pris mon temps à Càceres ou simplement la température plus clémente, mais aujourd’hui je retrouve le goût à arpenter le Camino. Il va quand même falloir que je pense à faire une pause, cela fait 3h30 que je marche ce qui n’est pas forcément une bonne idée.
10h05 je m’assois dans le renfoncement d’un mur qui borde la route. Des milliers de pèlerins ont dû s’arrêter là car c’est un des rares endroits où on n’est pas carrément sur la chaussée.
Toujours pas de Ramon, il m’avait dit qu’il ne comptait pas partir aussi tôt que moi et qu’il me rattraperait. Pas impossible, mais s’il a démarré une heure plus tard ça va quand même être difficile.
10h50 peu après trois belles bornes milliaires je pousse un portillon, lourd et difficile à manœuvrer, et désormais il n’y a plus de murets, le chemin est libre à droite et à gauche. En chemin un troupeau de brebis aussi tondues que le sol autour d’elles.
11h40 au loin j’aperçois l’eau du barrage. Cette portion du chemin, depuis ce matin, est vraiment magnifique. C’est extraordinaire d’être là, tout seul au milieu de ces paysages, c’est magique.
12h23 j’ai rejoint la grand route au trafic quasiment nul qui longe le lac de retenue du barrage. Le camino la côtoie en épousant consciencieusement bosses et creux du relief de la montagne, un vrai casse-patte, ce n’est pas la peine d’en rajouter, je l’abandonne.
J’emprunte successivement les ponts qui enjambent le rio Almonte puis le rio Tajo qui alimentent le barrage, une grande masse bleue s’étend sous mes pieds. D’après le guide l’auberge se situe sur une presqu’île comme celle que j’aperçois à côté d’un petit port ; cela ne semble pas trop loin et l’emplacement a l’air sympathique, ce serait chouette si c’était là.
13h52 ça y est je suis dans le dortoir, seul pour le moment. C’est un bâtiment moderne complètement isolé avec vue sur le lac. 15 € pour le couchage, petit déjeuner et lavage du linge en machine compris. On peut y manger des plats surgelés. Après avoir dégusté mon chorizo je me couche : enfin une occasion de faire la sieste pendant les grosses chaleurs. Je suis en pleine forme.
Coert, le Hollandais déjà rencontré à Torremegia est arrivé vers 16h, complètement déshydraté. Mais toujours pas de Ramon. Peut-être n’a-t-il pas remarqué le panneau indiquant la dérivation vers l’auberge et continué son chemin. Ou alors il a simplement changé d’avis.
18h, le voilà, épuisé. Il a été malade toute la nuit peut-être à cause des migas, du coup il est parti très tard, de plus sa fameuse variante était barrée au bout de quelques kilomètres. Bref, la galère.
Le soir festin de lasagnes surgelées puis spectacle nocturne sur la terrasse : coucher de lune dans un ciel pur, entre noir et bleu profonds, sans luminosité ambiante, avec des myriades d’étoiles. Le silence. Une journée vraiment magique.
Pour Anne
Bonsoir amie par le Chemin,
Je ne suis donc pas le seul « allumé », c’est vrai que ce fut une des étapes les plus intenses, des plus magiques.
Ce petit message me signale-t-il que vous êtes revenue de Saint-Jacques ?
Au plaisir de vous lire.
Pierre
Re: De Caceres à la embalse de Alcantara : 33 km
Bonsoir Pierre,
Vous parlez de « magie » : c’ est bien le mot qui convient !
Quelle étape magnifique. Tant et tant que j’ ai marché en sautillant, chantant à tue-tête !
Merci pour le rappel de ces instants.
La maison « au milieu de nulle part » : je me suis reposée dans son ombre, le coeur empli de joie.
Oui, vraiment, merci Pierre.
Anne