De Aljucen à Aldea del Cano : 39 km

De Aljucen à Aldea del Cano : 39 km

Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle

8e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 723 kilomètres
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Aljucen, jeudi 9 septembre.

Il est un peu moins de 7h, je viens de quitter l’auberge d’Aljucen. Il fait nuit et un peu frais. Je compte faire une étape d’environ 35 km jusqu’à Aldea del Cano où je ne serai plus qu’à 20 km de Caceres ce qui me laissera du temps demain pour visiter la ville.

Guy s’est levé à 5h30 pour ne partir qu’il y a peu de temps, je ne sais pas ce qu’il a trafiqué. Rien ne sert de cavaler, il faut gérer convenablement la distance ; du fait d’avoir été trop gourmand le premier jour j’ai dû freiner les jours suivants, puis compenser par des étapes monstrueuses pendant que lui faisait son petit bonhomme de chemin et aujourd’hui nous sommes au même endroit. Hier soir il remplissait consciencieusement un carnet de bord avec plein de petites cases à compléter. Peut-être fait-il partie d’une association de pèlerins ?

Ramon lui est derrière mais, beaucoup plus rapide, il devrait bientôt me rattraper. Hier c’était son premier jour de marche, il a démarré à Merida qui, d’après lui, marque le vrai début de la Via de la Plata qui se poursuit ensuite jusqu’à Astorga où elle rejoint le Camino Frances. Ce serait la voie historique, l’ancienne voie romaine pour le commerce de l’argent (plata en espagnol). Il s’arrêtera ce week-end pour reprendre le boulot lundi. Comme pour Mano, le Chemin est un moyen, une occasion, de mieux connaître son pays. Il l’a souvent emprunté mais, faute de temps, toujours un petit bout par-ci, un petit bout par là, tantôt en été, tantôt en hiver, en fait dès qu’il a quelques jours de libre. A Merida il a pris le temps de visiter musées et monuments, mais il a été déçu par l’accueil général qu’il n’a pas trouvé à la hauteur du label « patrimoine mondial ». C’est vrai que faute d’indications j’ai fini par abandonner ma recherche de l’amphithéâtre. Grand bien m’en a pris d’ailleurs car d’après Ramon il était fermé pour cause de meeting politique.

Il est 7h10, un liseré violet borde l’horizon puis se dilue jusqu’au bleu nuit d’un ciel très étoilé. Le Chemin suit une route déserte mal entretenue. Au loin on entend légèrement l’autoroute.

Ça se confirme l’eau est meilleure par ici. Mais Guy ne consomme plus que de l’eau en bouteille, hier il a en a bu 4 l, moi j’ai dû en boire 2. Tout le monde crie au fou, mais bon, je pisse normalement donc ça ne doit pas être si inquiétant. A la télé ils annoncent que la température va encore monter jusqu’au week-end !

7h45 Ramon m’a rattrapé au niveau d’une croix métallique, la Cruz de Santiago de Casiano Larios. A la sortie d’Aljucen il a eu les mêmes soucis que moi pour trouver la bonne voie et comme moi il a adopté la stratégie de la souris dans le labyrinthe : essayer successivement toutes les possibilités jusqu’à trouver la bonne. Je l’ai laissé partir, sans doute nous retrouverons-nous ce soir.

Ramon s`éloigneLe petit matin sur le Chemin

9h catastrophe ! J’ai perdu mes lunettes ! J’ai été obligé de poser culotte dans des buissons et en repartant je m’aperçois que je ne les ai plus. La transpiration m’obligeait à les nettoyer fréquemment et j’avais fini par les mettre dans la poche de ma chemisette. Peut-être se sont-elles accrochées à une branche. J’explore la zone, rien. Je reviens sur mes pas sur au moins un kilomètre, rien, rien, rien. Le terrain est sablonneux et rocailleux et elles peuvent se cacher n’importe où, de plus le chemin est très large avec de nombreuses variantes, comment se rappeler exactement où je suis passé. Un gros 4×4 me croise, ce coup-ci c’est foutu, il les aura soit écrasées soit enfouies un peu plus. Parfois la pipette de la poche à eau se prenait dedans, et il y a aussi le téléphone qui était dans la même poche et que j’ai consulté, quoique dans ce cas je devais encore les avoir sinon j’aurais été incapable de lire l’écran. Si ça se trouve je les ai perdues il y a plus d’une heure dans l’obscurité. Bon inutile de se lamenter : c’est fait. Reste à trouver rapidement des lunettes de secours sinon ça va être la galère.

Balise HitoTroupeaux

13h je quitte une ville dont j’ignore le nom faute de pouvoir déchiffrer mon guide, tout ce que je sais c’est qu’elle est à une vingtaine de kilomètres d’Aljucen. Arrivé à midi, je suis passé à l’auberge des pèlerins pour y laisser un message avec mon numéro de téléphone et mon adresse mail au cas où quelqu’un rapporterait mes lunettes, message rédigé grâce à l’obligeance de l’hospitalero qui, atteint du même handicap, m’a prêté les siennes. Puis j’ai été manger un bocadillo à la tortilla, accompagné, pour suivre les recommandations d’hier soir, d’une grande bouteille d’eau dont je n’ai laissé qu’un tiers. Au bar j’avais retrouvé l’hospitalero qui m’avait à nouveau confié sa prothèse pour que je puisse consulter le menu. Me voilà obligé de trouver des âmes charitables. Un nouvel apprentissage. En route, pour si je me souviens bien encore 12 km.

Les livres des récits de mes marches vers Compostelle

14h je m’arrête au bord d’un chemin encadré par deux barrières en fil de fer, le dos appuyé à un poteau, à l’ombre d’un chêne liège. Je ne sais pas si c’est la perte de mes lunettes qui m’influence, même si évidemment je tente de positiver, mais je me demande si je ferai encore des Chemins, je n’en tire plus autant de plaisir. Si la rencontre avec les gens reste vraiment un point fort, pour le reste il y a bien sûr quelques étapes agréables, pas forcément les plus courtes d’ailleurs, mais ces après-midi interminables sous la chaleur commencent vraiment à me peser, il faut que je m’organise autrement. De plus je suis bouffé par les bestioles, la bestiole espagnole est aussi teigneuse que la française. Voilà c’était le quart d’heure dépressif.

14h25 je me trouve au niveau d’un lac que j’aperçois à travers les arbres. Soudain un près tout vert au milieu de ses voisins tous jaunes : il doit bénéficier d’une source. Désormais il y a des vaches dans les champs ou sous les chênes lièges, ça change des cochons. L’avantage de cette portion du Chemin c’est qu’elle est plane. Je ne sais si j’ai bu trop d’eau mais la tortilla ne passe pas. Pour l’eau comme pour le reste il vaut mieux suivre son propre rythme.

Le cheminLe chemin

J’atteins Aldea del Cano vers 16h après avoir court-circuité le chemin qui papillonnait autour de la nationale pour prendre carrément cette dernière. A la sortie du village précédent, Casas de Don Antonio, on longe une maison de passe d’un beau rose qui côtoie un foyer pour personnes âgées !

Peu après je vois ma première « borne milliaire », sorte de borne kilométrique de l’époque romaine. Celle-ci, gros cylindre de pierre toujours dressé, est encastrée dans un mur de pierres sèches, détournement utilitaire qui l’a probablement préservée des outrages du temps et des hommes. En ville ma première préoccupation est la chasse aux lunettes. Une pharmacienne m’annonce que je ne trouverai rien ici, il faut aller à Caceres.

A l’auberge la porte est fermée, je sonne et Guy vient m’ouvrir. A son air un peu revêche je sens que je l’ai dérangé dans son travail de rédaction, il gratte des pages, il raye, il recommence… Il m’annonce que pour avoir une clé il faut d’abord s’inscrire au restaurant d’en face : l’accueil y est aussi chaleureux que celui d’un gardien de prison. Il y a des jours comme ça. Ramon apparaît vers 18h, il a fait une sieste à l’ombre avant de rejoindre l’auberge. Voilà ce qu’il faudrait que j’arrive à réaliser.

Le soir, nous prenons notre courage à deux mains et affrontons la mauvaise humeur du restaurateur qui propose un menu pèlerin à 9 euros. Repas correct : salade composée, oeuf, tomate, etc, suivie de l’éternel jambon cuit, une tranche de pastèque en dessert, eau et vin. Le service est assuré par un garçon un peu étrange, maladroit, muet, sans doute un des pensionnaire de l’établissement pour handicapés aperçu non loin, qui au final ne s’en tire pas trop mal. L’échange, lui, est réduit au strict minimum, mes compagnons étant hypnotisés par la télé. Il faut reconnaître que je n’ai pas grand mérite à résister à la tentation : je n’y vois pas grand chose.

 

 
276 kilomètres parcourus depuis Séville

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