De Almaden de la Plata à El Real de la Jara : 17 km

De Almaden de la Plata à El Real de la Jara : 17 km

Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle

 

3e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 890 kilomètres
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Almaden de la Plata, samedi 4 septembre.

Je quitte l’auberge en direction d’El Real de la Jara à un peu plus de 15 km. Ce n’est pas très loin mais j’ai besoin de me reposer et de me réhydrater. Hier, en arrivant, complètement vanné, je me suis couché pour me réveiller vers 19h. J’ai bu énormément et ce matin je pissais trois gouttes. Pourtant dans la journée j’ai l’impression de passer mon temps à boire, mais cela doit être insuffisant. Pour bien faire il faudrait se ravitailler en route, mais il n’y a rien, en tous les cas hier il n’y avait rien.

Au niveau d’un vaste champ de panneaux solaires je dois m’arrêter, ma poche à eau me rafraîchit à nouveau les fesses, pourtant j’étais persuadé d’avoir bien fait attention. Mystère. Je ne sais pas si c’est la déshydratation mais, notamment dans les montées, je suis essoufflé et puis j’ai encore la voix rauque, desséchée. Par contre mon talon a été maté, je ne l’entends plus se plaindre. D’après le guide le trajet se déroulera entièrement sur goudron une finca [propriété agricole] ayant bloqué sa traversée pour cause d’incivilités.

L’interdiction a dû être levée car je viens de franchir un portillon, une vraie herse de château fort, qui empêche les bestiaux de s’échapper et ici les bestiaux ce sont des cochons, tout noirs. Devant moi, plus loin, il y a un pèlerin.

 
Entrée au royaume de Monsieur Cochon

Les cochons noirs

 
Les fauves sont lâchés

Il est environ 8h30 et ça va mieux, je me sens en forme, il fait très doux, le paysage est agréable, le sentier serpente au milieu de chênes liège peut-être trop jeunes pour être travaillés, ils ont toute leur écorce, des pieds à la tête. Avec l’expérience des jours précédents je sais que dans deux heures ce sera la fournaise mais je prends mon temps, je savoure l’instant. Le marcheur devant moi est celui qui se reposait hier adossé à une jarre.Cochons noirs au bain9h30, n’écoutant que mon courage de pèlerin je viens de traverser un troupeau de biquettes. Il commence à faire chaud je transpire sous mon chapeau mais heureusement il y a beaucoup de zones d’ombre. Devant moi l’Espagnol est toujours là, à environ 200 m, nous ne nous gênons pas.

10h45, je reprends la route après une pause d’une grosse demi-heure sous les chênes liège au sommet d’un raidillon au bas duquel l’Espagnol s’était arrêté non loin d’un troupeau de vaches cette fois. Assis sur un muret, une citerne semble-t-il, il cassait la croûte en plein soleil et sans appui pour le dos ; j’ai préféré continuer et m’arrêter plus loin, à l’ombre. Nous avons quand même fait un brin de causette.  Il compte aller jusqu’à Monesterio, 20 km plus loin, c’est tentant mais vu l’état dans lequel je suis arrivé les deux derniers jours je vais m’en tenir au plan initial. Il faut ménager la monture, il faut même la retaper, la bichonner. En haut j’ai rejoint le père et son fils qui eux aussi faisaient une pause, je ne les voyais pas mais je les entendais discuter.Bovins

 
Il est 16h

Comme la cloche l’indique il est 16h, je sors d’un bistrot d’El Real de la Jara où ils ont bien voulu me servir ce qui leur restait, à savoir des beignets de merlu accompagnés d’une salade de pommes de terre froide et des petits poivrons. Au début j’avais du mal à avaler, il a fallu que je me force tout en buvant un bon litre d’eau. Vers la fin du repas ce fut comme un voile qui se levait de mes yeux.  Apparemment j’étais en manque de quelque chose de vital, eau ou nourriture.  Apaisé, j’ai complété le tout par une bière en guise de dessert. Pendant ce temps un homme au bar distribuait autour de lui dans une joyeuse ambiance des sortes de tapas, il s’est approché de moi et m’en a offert, c’était de la viande, de la côte de taureau m’a-t-il dit, délicieuse, cuite à la perfection ; voilà ce qu’il m’aurait fallu pour mon repas.

Borne sur la via de la Plata

Donc je suis arrivé à El Real de la Jara à midi tapant certifié par la cloche qui décidément ici scande mes faits et gestes, j’ai traversé toute la ville, et arrivé de l’autre côté, dans la campagne, j’ai compris que je m’étais fourvoyé. Revenu sur mes pas je me suis renseigné. J’étais passé devant l’auberge sans la voir, juste à l’entrée du bourg ! Quand j’y suis enfin arrivé, un pèlerin m’a expliqué qu’il fallait aller à l’Office de Tourisme acquitter ma redevance pour obtenir ma clé. Petite, l’auberge ne comportait que 3 chambres de 4 places, et je devais être dans les derniers car il a fallu que je me contente d’un lit du haut. Nouvelle traversée de la ville, heureusement sans  sac cette fois. Revenir, se doucher, laver son linge, s’allonger enfin, sombrer dans le sommeil. Réveil à 14h30, juste à l’heure où tout ferme ! Trop tard, rien à acheter, alors je suis entré dans ce bistrot où un accueil chaleureux et une collation m’attendaient.

Je suis vraiment lessivé. Trop d’efforts ? Mauvaise alimentation ? Déshydratation ? Sans doute un peu de tout. En plus j’ai mal à l’estomac et l’eau a un goût dégueulasse, ce qui n’incite pas à boire. Cela pourrait être les nitrates avec tous ces élevages de porcs mais même l’eau en bouteille me semble infecte, le problème vient plus probablement de moi. Je ne crois pas avoir jamais été aussi épuisé, si ce n’est peut-être lors d’un marathon à Bordeaux où il avait fait très chaud et où l’eau avait manqué à partir de la mi-parcours. En plus j’ai attrapé une espèce d’extinction de voix. Mon programme immédiat est simple : maintenant que j’ai refait le plein, je repars me coucher.

L’Espagnol croisé ce matin a fait halte à l’auberge et, juste quand je revenais, a repris sont sac direction Monesterio. C’est vrai qu’il faisait un peu moins chaud et quelques nuages voilaient légèrement le ciel mais 20 bornes de plus je m’en sentais incapable. Quant au père et au fils ils sont arrivés trop tard, plus de place pour eux, je ne sais pas s’ils ont été prendre une chambre en ville ou s’il vont pousser jusqu’à la prochaine ville ; mais d’après le guide les possibilités d’hébergement n’y sont pas mirifiques.

En soirée, en attendant l’ouverture à 21h30 d’un restaurant près de l’église recommandé par le guide, je suis retourné au bistrot qui m’avait hébergé en début d’après-midi. Deux Allemands de Cologne y étaient déjà installés, attendant eux l’ouverture du supermercado, attente vaine car en passant j’avais lu qu’il fermait le samedi soir. Cette fois-ci la solitude ne me pèse pas, ces petits contacts me suffisent.

Les livres des récits de mes marches vers Compostelle

22h15, je sors de la Manson de la Cuchera, effectivement une bonne adresse, même sans menu pèlerin. A la carte il y avait ces pièces de bœuf dont je rêvais depuis l’échantillon dégusté à midi, mais le prix était un peu élevé ; devant mon hésitation le patron m’a dit « Media ? », « D’accord.», et  le prix fut lui aussi divisé par deux (une pratique simple inconnue chez nous) et la portion tout à fait raisonnable. Installé en terrasse, devant l’église, je fus bientôt rejoint par un monsieur assez âgé qui, je m’en aperçus rapidement, attendait en fait sa dame à la sortie de la messe. On se serait crus à la sortie d’une école avec un ballet de voitures dans lesquelles s’engouffraient des familles entières pendant que les tables autour de moi étaient une à une investies et que les commandes de tapas et de glaces fusaient.  Un bon moment, d’autant plus qu’il fait désormais doux, même si c’est un doux tendance chaud.

 

 
88 kilomètres parcourus depuis Séville

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