Lundi 5 octobre,
47e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 358 kilomètres
Oviedo. Hier dans mon duvet vers 21h30 j’ai mis mes boules et mon cache-lumière, je me suis tourné sur le côté et je me suis réveillé ce matin à 6h45 malgré les discussions et les allées et venues du dortoir. Il n’y avait aucune possibilité de déjeuner à l’auberge, avec Christian nous avons été dans un bar prendre un café que nous avons agrémenté de quelques madeleines sorties du sac qui nous restaient de la veille. Puis vers 8h30, devant la cathédrale, nous nous sommes souhaité « Buen Camino ! » lui partant vers le Camino Primitivo et moi vers le Camino Norte.
La sortie d’Oviedo n’est pas compliquée mais à cette heure-ci entre les enfants qui vont à l’école et les adultes qui vont au boulot ça grouille de partout, sur la chaussée et sur les trottoirs.
9h30, ça y est, j’ai quitté Oviedo, je suis sur une petite route, c’est agréable, c’est silencieux, j’entends un coq. Derrière moi c’est le brouillard mais plus haut j’aperçois une maison sous le soleil qui semble vouloir percer. Donc direction Avilés à moins de 30 km, une étape sans difficulté pour rejoindre le Camino Norte.
10h, au pont Cayès, le chemin est redescendu et je suis à nouveau sous les nuages. En route toujours beaucoup de chiens en liberté et j’avoue craindre de temps en temps pour mes mollets, j’aurais peut-être dû conserver mes bâtons de marche.
11h30 je sors de Possada où j’ai pris un café et où j’ai échangé de loin quelques signes amicaux avec l’équipe Hispano-Argentine qui faisait une pause casse-croûte dans un square : cela fait déjà une semaine que nous nous côtoyons sur le Chemin et même si nous n’avons pas de grandes conversations cela crée des liens imperceptibles. Le ciel est couvert et il fait doux et humide mais toujours pas de pluie.
12h30 me voilà au point haut du parcours après le col de la Miranda à 240 m, il fait très beau et il commence à faire chaud surtout dans les grimpettes. Dans le bas quelques vallées sont envahies par les nuages ; il y en a aussi ici mais ils sont beaux sur leur joli fond de ciel bleu.
15h30 je suis à l’auberge d’Aviles où je retrouve Martin bientôt rejoint par Cleira et son équipier. Je suis content d’être arrivé. Pendant la dernière heure ce ne fut que la route nationale avec tous ses dangers. L’entrée sur Aviles est longue, très urbanisée, très fréquentée et m’a paru beaucoup plus pénible que celle d’Oviedo mais il est vrai qu’hier dimanche le trafic était probablement plus calme. Devant la porte de l’auberge Pedro Solis un panneau indique qu’elle a été fondée en 1513 et « qu’on donnait ici au pèlerin de Santiago couvert, lit et chauffage» (traduction personnelle), il y a également un crucifix et je ne sais pas s’il est d’origine mais la pauvre vierge Marie y est décapitée !
Après les ablutions d’usage je tente une lessive même si ce n’est pas le jour idéal (hier c’était impossible compte-tenu de l’horaire d’ouverture) : il est tôt mais il pleuvine et l’humidité ambiante me laisse sceptique quant aux chances de séchage. L’exploration de la ville s’avère compromise mais je vais essayer de trouver un accès Internet, ce matin j’ai reçu un coup de fil d’Hélène qui m’a rappelé au passage qu’un mail important attendait ma réponse.
Au centre ville j’essuie une averse, heureusement j’avais emmené ma cape. Pour limiter les problèmes de séchage je m’abrite un moment sous un porche, dégrafe mes bas de pantalons, enlève mes chaussettes, fourre le tout dans une poche puis repars pieds nus dans mes sandales. L’Office de Tourisme me signale que la fondation METAL, un organisme de formation pour adultes, met à disposition ses ordinateurs à 20h après les cours.
Après un petit tour de ville je retourne m’allonger un moment au sec en attendant l’heure. A l’auberge il y a une quinzaine de personnes, toujours beaucoup de cyclistes. J’y retrouve l’équipe féminine Helvétique-Lyonnaise. Un pèlerin pense avoir l’organe irrésistible d’un rossignol est accompagne toutes ses actions en sifflotant à pleins poumons le sempiternel même air. Une ou deux fois cela donne un peu de gaîté mais là, en boucle, un vrai calvaire. Il doit se croire seul au milieu d’une forêt de lits. Il faut dire que le gîte peut accueillir 60 personnes et que c’est un vrai capharnaüm. Il y a des lits dans tous les sens, des superposés, des simples, certains ont perdu leur matelas qui ont été amoncelés sur d’autres par quelques princesses au petit-pois en pèlerinage…
Un peu avant 20h je suis dans la salle d’attente du centre de formation, il y a déjà six personnes avant moi. Pourvu qu’il y ait plusieurs postes sinon je ne suis pas près d’aller manger et le gîte ferme à 22h. A l’heure dite les portes s’ouvrent sur une pièce avec au moins une dizaine de postes de travail. En échange de mon nom j’ai droit à un PC dernier cri avec accès Internet. Le grand luxe. Je traite le mail en attente puis profite de l’occasion pour envoyer un petit message à tous ceux qui me font l’amitié de suivre mes « aventures ». En partant j’ai droit à un chaleureux « Au-revoir Pierre ! » en français. Ce n’est pas grand chose mais ces petits signes amicaux me vont droit au cœur.
21h30 je sors de la Bodega de Ribero qui est dans la rue du même nom à 150 m de l’auberge. Aucun établissement ne m’avait emballé. Celui-là n’affichait pas de menu pèlerin mais m’a paru sympathique. J’ai tenté ma chance d’autant plus que l’heure commençait à tourner. J’ai été servi comme un prince. Le patron m’a accueilli non pas comme un pèlerin de plus mais comme si j’étais un client important, un invité, puis m’a présenté un menu à 8,50 euros ! J’ai eu droit à deux bières, généralement exclues du forfait, des macaronis avec une sauce et des bouts de chorizo, puis un plat mijoté, viande et pommes de terre et pour finir un yogourt servi dans un verre à pied. Une ambiance très agréable avec beaucoup d’attention et des « Buen Camino » à profusion en partant. Exceptionnellement j’ai éprouvé le besoin d’exprimer ma satisfaction par un « Esta muy bueno ! » j’espère qu’il m’aura pardonné cet usage du castillan au lieu de l’asturien.
Une bonne journée, chaleureuse malgré la pluie. Demain ce sera Soto de Luiña à une quarantaine de kilomètres. Je franchirai mon 1500ème kilomètre du parcours.