Mardi 29 septembre,
41e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 548 kilomètres
Santillana del Mar, il va bientôt être 8h, le jour se lève. Il fait un peu frais, le ciel est limpide, bleu foncé, il va sûrement faire chaud. Je quitte l’auberge où j’ai laissé Christian qui selon une procédure désormais bien rodée m’a donné quelques minutes d’avance que je vais m’empresser de perdre à la première occasion de m’égarer : nous allons faire route séparément, nous y prenons goût tout en ayant toujours autant de plaisir à nous retrouver. Ce matin le portable de Martin a sonné à 6 h, du coup Norbert, réveillé, s’est activé pendant une heure autour de son sac en attendant que le jour pointe, mais ni l’un ni l’autre n’ont encore décollé…
La veille, un peu fatigué et découragé par le flot des touristes j’avais limité mon exploration de Santillana à la visite de la collégiale et à une déambulation dans les quartiers avoisinants. Ce matin, dans la quiétude retrouvée, je découvre avec plaisir toute une partie de la ville qui m’avait échappé, notamment la très belle place de la mairie, même si cette semi-obscurité ne permet pas d’en profiter pleinement.
Hier soir avec Christian et Norbert qui a fait une nouvelle entorse à son régime nous avons été dîner dans un restaurant situé devant l’inévitable « Musée de la torture » dont s’honore toute ville à caractère moyenâgeux qui se respecte. Un menu à 12 €, un des moins chers que nous ayons trouvés dans cette zone hypertouristique ; c’était ma foi très correct si ce n’est les éternels desserts indigents des « menus pèlerins ».
J’envisage d’aller à San Vicente de la Barquera à environ 35 km, Christian lui vise Comillas à moins de 25 km et s’il se sent bien il poursuivra jusqu’à San Vicente. Je le vois mal se contenter d’une vingtaine de kilomètres, je ne serais pas étonné que nous nous retrouvions ce soir. Il est même possible que ce soit moi qui fasse étape à Comillas car j’ai toujours ce rhume qui m’épuise. Cette nuit j’ai pris deux cachets d’Aspirine avant de me coucher, j’ai transpiré comme un bœuf et aujourd’hui mon nez s’est transformé en fontaine, j’espère que cela va se calmer. Ce matin je me sens quand même en forme, contrairement à hier le sac ne pèse pas trop ce qui est bon signe ; de plus depuis que nous sommes en Cantabrie le profil du terrain est beaucoup moins abrupt, il y a bien quelques petites côtes mais c’est plutôt une campagne vallonnée, des petites collines émoussées, et c’est quand même plus facile.
En fait je suis pris d’une impatience à rentrer, d’en finir. Quelque part ce Chemin a perdu sa raison d’être et j’éprouve une grande lassitude. Le premier mois est passé comme une lettre à la poste et maintenant quand je pense qu’il reste encore à peu près trois semaines pour arriver cela me semble interminable ! Mon objectif est maintenant d’accélérer. A un moment j’avais envisagé de faire des étapes plus courtes pour me reposer, pour profiter, mais cela va encore retarder l’échéance et désormais j’essaie d’avancer le plus rapidement possible, de faire les étapes les plus longues possibles. Christian a retenu une place d’avion pour son retour et s’il ressent lui aussi fatigue et lassitude son problème est différent : nous avançons trop vite, il va arriver trop tôt par rapport à cette réservation, il faut qu’il fasse durer. Il envisage d’aller à Fisterra et peut-être d’en revenir à pied s’il a trop d’avance. Nous avons discuté de ces impressions : est-ce la fatigue accumulée ? Est-ce la longueur de ce parcours ? Ou tout simplement ce rhume ? Je ne me rappelle pas avoir vécu cela lors du précédent Chemin mais ma mémoire est sélective et souvent ne conserve que les bons moments. C’est en partie pour cette raison que nous nous séparons, pour trouver chacun notre rythme par rapport à nos objectifs. Mais à mon avis nous allons encore nous retrouver et même si ce n’est pas le cas ce n’est pas très important, j’en suis sûr c’est une amitié qui va perdurer.
Dès que je marche seul je me sens le cœur léger avec un plus grand sentiment d’aventure et de liberté. En route je suis d’abord rattrapé par Martin qui marche rapidement en s’aidant de ses bâtons mais bientôt il bifurque et disparaît à l’approche d’un panneau signalant une fontaine, peut-être a-t-il oublié de faire le plein ce matin. Puis c’est Norbert qui m’explique que sa jambe va mieux et qu’il a besoin de dépenser toute cette énergie contenue ces derniers jours quand il devait la ménager. Il part à grande enjambées se retournant de temps en temps pour s’assurer qu’il me distance. Le voilà bientôt à cinquante mètres devant moi quand j’aperçois au loin une chapelle, l’église San Pedro d’Oreña, qui se découpe sur le ciel : ce serait une belle photo avec un pèlerin en premier plan ! Le temps de cadrer il faudra que je m’arrête et il sera trop loin, j’accélère pour pouvoir saisir l’instant dans de bonnes conditions. Arrivé sur le plateau Norbert se retourne une nouvelle fois et s’aperçoit que l’écart au lieu de se creuser s’est rétréci ! Je sens qu’il a un moment de doute. Il s’arrête pour m’attendre. Martin nous rejoint à son tour. Nous nous prenons en photo les uns les autres devant la chapelle. Puis chacun repart à son rythme, place aux jeunes, moi en dernier espérant qu’ils vont conserver leur énergie matinale et qu’ils prendront du champ.
Un peu avant 10 h je retrouve mes deux compères en pleine séance photos devant l’église de Cigüenza. Partout règne une atmosphère paisible. Nous n’étions que cinq dans l’auberge et même si la compagnie n’est pas désagréable nous voilà trois à nous suivre à la queue leu leu, ce n’était pas la peine de faire des chichis et d’abandonner Christian. Cette fois-ci je reprends l’initiative, je pars en tête et les laisse terminer leur reportage photographique.
Vers 10h15 j’entre dans Cobreces. Déjà a plusieurs reprises j’ai aperçu la mer au loin. Dans la ville le Chemin fait un détour agréable, même s’il est escarpé, pour m’amener devant une statue originale, un pèlerin découpé dans une plaque métallique, un positif et son négatif, faisant face à une église dans les tons vieux-rose.
A la sortie de Cobreces je rate un signe et me retrouve dans une impasse. Des riverains m’interpellent et m’indiquent un chemin sur la droite, c’est le Camino. D’après eux il serait en très mauvais état sur cette portion et ils me conseillent de passer par la gauche en suivant la route pour le rejoindre plus loin, ce que je fais.
Un peu avant midi je traverse le joli village de Pando avec ses maisons anciennes à galeries où, signe de vie, sèche du linge. Même si je fais attention à ce qu’il n’y ait personne dans le champ de mon objectif j’éprouve toujours un peu de gêne à prendre des photos dans ces lieux habités, j’ai l’impression d’être indiscret, de traverser une «réserve naturelle» dont les habitants ont à subir cette fréquentation imposée. A la sortie du village je retrouve au loin la mer, avec là bas, au fond derrière les collines, la plage de Concha.
Peu après midi j’entre dans Comillas que le Chemin traverse par le centre historique sans s’attarder sur le bord de mer ; une très belle ville ancienne encore plus touristique que Santillana. J’essaye de trouver un bar pour manger mais tout me semble hors de prix.
12h30 je suis sur le point de sortir de la ville, il faut que je me décide, plus loin il n’y aura sans doute plus rien avant longtemps. Je m’arrête pour prendre un boccadillo dans un café juste en face du « Palacio de Sobrellano » un énorme bâtiment majestueux. Je me suis installé à la seule table libre, une table de 4 places. Un peu plus tard arrive un groupe de touristes qui est obligé de se serrer autour de la petite table que vient de libérer un couple. Plutôt que de me proposer d’échanger nos places un des hommes me lance des regards hostiles et déplace avec bruit et une mauvaise humeur ostentatoire les chaises qui entourent ma table pour les entasser autour de la sienne ; grand bien lui fasse, c’est la petite pointe d’amertume qui manquait pour rehausser toute la saveur de l’ensemble : je déguste paisiblement cet instant de repos et mon énorme sandwich à l’omelette espagnole c’est à dire garnie de pommes de terre contrairement à la « française » qui elle est nature. Imaginez cette omelette s’étalant voluptueusement entre deux énormes morceaux de pain, le tout sur environ 40 cm de long et 12 de haut. J’écarte le presque demi-pain supérieur, le reste agrémenté d’une bière sans alcool suffira amplement à me rassasier.
13h je quitte Comillas, il fait beau, il fait chaud, tout à l’heure j’ai noté un 23 °. Il ne reste que 12 km jusqu’à San Vicente de la Barquera, je devrais donc y être vers 16h.
Vers 15h j’arrive en vue de San Vicente. C’est magnifique. La ville est dominée par une sorte de donjon et à ses pieds un pont bas sur l’eau enjambe une immense baie.
Un peu fatigué je dois l’avoué c’est vers 16h30 que j’atteins le refuge, le domaine de Sofia et Luis, nos hôtes. Martin puis Norbert m’y rejoindront chacun à environ une heure d’intervalle. Pas de Christian, d’après Norbert il aurait continué ! Contrairement à mon habitude je commence par m’allonger et je m’endors comme une souche pendant une bonne heure avant de prendre ma douche. Puis je sors faire un petit tour de ville sans prendre le temps de laver un peu de linge, c’est vrai que photos obligent il ne faut pas perdre de temps il va bientôt faire sombre, mais je sais que c’est seulement une excuse pour me donner bonne conscience, en fait je n’en ai pas eu le courage.
Comme dans toutes ces vieilles villes le quartier « historique » est très petit, englobé dans la ville moderne. L’église Santa Maria de los Angeles est très belle à l’intérieur, mais comme souvent en Espagne il faut payer pour visiter et il est interdit de prendre des photos. Je le confesse, j’ai triché. Dans le fond un groupe de femmes psalmodient des «priez pour nous» (mais en espagnol bien entendu) ce qui, avec la lumière déclinante, donne une ambiance mystérieuse, mystique, un peu plus je marcherais sur la pointe des pieds pour ne pas déranger. A proximité se trouvent les vestiges de l’ancien hôpital des pèlerins, heureusement que Sofia et Luis ont pris la relève ! Pour ponctuer cette visite, faire connaissance avec l’ambiance locale et pour mettre à profit les bonnes manières acquises auprès de Christian je pars à la recherche d’un bistrot où je prends le temps de boire une bière en grignotant des olives.
En revenant à l’auberge je trouve Rodolphe que j’avais rencontré une première fois à Deba où il souffrait déjà d’une grosse tendinite qui ne le lâche pas. Je ne m’attendais pas à le retrouver ici. «Quel courage, cela doit être très pénible, tu as été obligé de prendre le bus ?» Bien sûr que non, pour dompter sa tendinite il marche en savate ! J’ai encore gaffé et je suis vraiment épaté par cette performance, tendinite plus savate, moi qui n’ai aucune douleur comment se fait-il que je sois fatigué et que je n’en sois encore qu’ici ? Sans doute mes chaussures qui me freinent !
Je découvre qu’un pèlerin allemand s’est installé dans le lit voisin du mien. Nous sommes une petite dizaine dans un dortoir de plus de 40 places, il y a largement la place non pas de s’isoler mais d’établir cette petite distance qui crée une illusion d’intimité. Peut-être est-ce dans son caractère ou dans sa culture de se mettre sagement à la suite du précèdent ? Ce n’est pas mon cas, bien au contraire. Aussi après lui avoir expliqué qu’ainsi nous serions tous les deux plus à l’aise je déménage puis je m’allonge en attendant 20h, l’heure du repas. La nuit me donnera raison : il ronfle comme un sapeur.
Le repas communautaire est assez sommaire et ce n’est pas aux deux bouteilles de vin pour dix personnes que l’on doit son ambiance chaleureuse. Christian a dû le pressentir en passant son chemin ! A table c’est la tour de Babel. En plus de notre hôte Luis qui partage ce repas, il y a un Brésilien, un Polonais, quelques Allemands, une poignée d’Espagnols et un Italien un peu bedonnant en pantalon de ville avec chemise repassée à manches longues et col à boutons ; je n’ai pas saisi d’où il vient ni où il va comme ça dans cette tenue, pourtant il a pratiquement monopolisé la parole pendant tout le repas ; après l’Allemand discipliné et l’Italien beau parleur j’ai l’air de sombrer dans le cliché mais il est assez amusant de constater que nous sommes tous plus ou moins le reflet de ces stéréotypes moi y compris sans doute dans le rôle du Français râleur. Je suis le seul de cette nationalité et du coup c’est en anglais que je tente de glisser quelques mots dans la conversation qui se déroule principalement en espagnol. Demain Luis comprendra d’où je viens et regrettera de ne pas l’avoir découvert plus tôt : il se débrouille dans ma langue. A la fin du repas le curé de la paroisse voisine vient nous saluer et après une bénédiction nous distribue une image sainte que je n’ose pas refuser. L’effort d’attention pour suivre la discussion m’a achevé, après avoir participé à la vaisselle je rejoins ma couchette. Cachets d’Aspirine, boules dans les oreilles, cache lumière, je sombre immédiatement dans le sommeil malgré les papotages qui se poursuivent autour de moi. Demain ce devrait être Llanes à 44 km. J’espère que je vais retrouver tous mes moyens.
RE : Dans quinze jours, je pars…
Bonjour Marie-Rose,
Buen Camino et bonjour au Camino Norte.
Donnez nous en quelques nouvelles à votre retour.
Pierre
Dans quinze jours, je pars…
bonsoir,
Je découvre ce site très agréable et cela me confirme dans mon idée de partir suite à une promesse. Je partirai de Bayonne vers Muxia par le Camino del Norte d’ici une quinzaine de jours.
Merci pour ses beaux récits.
Marie -Rose