Mercredi 23 septembre,
35e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 738 kilomètres
7h45, nous sommes cinq pèlerins à quitter l’auberge, Martin est parti plus tôt et le cycliste Argentin, comme tous les cyclistes, attend que le jour se lève vraiment. Le temps est à l’humidité mais il ne pleut pas. Il faut revenir sur nos pas pendant environ 2,5 km pour retrouver le Chemin, il fait encore sombre, il y a de la brume et même si la visibilité est d’une bonne centaine de mètres il est préférable de se servir des lampes frontales pour être vus des automobilistes. Dans le fond de la vallée le bruit d’un ruisseau nous accompagne. Nous comptons faire étape à Bilbao. L’auberge de pèlerins n’y est ouverte qu’en juillet et août, l’Auberge de Jeunesse serait mal située, bruyante et nous a été déconseillée au profit de l’hôtel Akelarre, une sorte d’auberge de jeunesse privée qui accueille des pèlerins.
Une fois le Chemin rejoint le brouillard commence à se lever et le petit groupe se fractionne au rythme de chacun. Le chemin est toujours très, très boueux et glissant. En route je remarque des plantations astucieuses de haricots au milieu des champs de maïs : les hautes tiges leur servent de tuteurs ; il y a aussi des figuiers que Christian déleste de quelques fruits, il goûte tout ce qui lui tombe sous la main. Vers 9 h le ciel s’est entièrement dégagé, il fait très doux et la route devient plus facile. Une bonne journée en perspective. Ce matin Norbert, notre compagnon Allemand, mon cadet d’une dizaine d’années, m’a confié qu’il était impressionné par notre forme à Christian et à moi. Sans doute le compliment est-il exagéré et les échanges inter-langues ne s’embarrassent pas de fioritures ou de nuances pour exprimer une idée mais j’avoue que cela fait plaisir. Le Chemin va probablement me ramener brutalement à un peu plus d’humilité mais pour le moment je savoure. Décidément une belle journée.
11h, il fait beau, nous nous accordons le désormais rituel arrêt « café-pâtisserie » à la terrasse d’un bistrot de Larrabetzu, bientôt rejoints par Renée et Jean-Louis. Une fois rassasiés nous les abandonnons au soleil quand, quelques dizaines de mètres plus loin, nous entendons un homme nous appeler et courir dans notre direction. « On n’a pas oublié de payer ? », « Non, j’ai réglé les consommations ». Il brandit un paquet. « Ah ! J’ai oublié mon sandwich pour midi sur la table ! », « Muchas gracias ! Merci ! ». Je vous le disais, une belle journée, un petit rayon de soleil et tout repart, le monde vous sourit à nouveau.
Vers 13h nous découvrons avec émotion Bilbao depuis le point haut du Mont Avril. Non pas que la ville soit belle vue d’ici, elle a l’air immense, une rumeur citadine monte jusqu’à nous et une brume industrielle la survole, mais elle concrétise une avancée importante sur notre chemin. Au loin on aperçoit le musée Guggenheim que je me souviens avoir visité par un jour beaucoup moins ensoleillé qu’aujourd’hui. Pour arriver ici une côte assez raide m’a donné des ailes. Je ne sais pas si c’est le retour du soleil mais il me vient une envie de m’élancer en avant. Le compagnonnage de Christian est plus qu’agréable mais un besoin d’être seul commence à m’envahir.
Le temps d’un casse-croûte nous prolongeons l’instant puis nous nous lançons dans la descente vers la ville, aussi raide que fut la montée. Passage rapide devant la basilique Notre-Dame-de-Begoña où nous aurions pu obtenir une indulgence plénière (cela peut toujours être utile !) si elle n’avait été fermée. Puis nous continuons la descente, par des escaliers cette fois, vers le vieux quartier (El Casco Viejo). Il flotte un petit air de vacances. Nous nous installons au milieu des touristes sur la Plaza Nueva pour une bière bien méritée. Je fais part à Christian de ce besoin qui monte en moi. Il me dit qu’il l’a senti quand je me suis élancé dans la montée ; il me dit qu’il comprend ; il me dit que c’est le Chemin. Mais je sens qu’il est déçu, un peu triste, et moi aussi. J’essaye de le rassurer, ce n’est pas pour tout de suite, et puis ce pourrait-être pour une journée ou quelques jours, le temps que je calme cette sensation, que je m’en libère. Pour le moment nous savourons l’instant, la place est belle, la bière est bonne et nous sommes bien. Une famille de Nouvelle-Ecosse vient vers notre table : ils aimeraient faire le Chemin. Je laisse Christian répondre à leurs questions, je ne fais pas le poids avec mon anglais hésitant et me contente du sourire entendu, pour ne pas dire niais, de celui qui ne comprend qu’un mot sur trois.
Nous repartons en jouant les touristes, remontons la Ria de Bilbao, traversons le site du musée Guggenheim, passons sous « l’immeuble du Tigre » (Edificio del Tigre) où nous nous offrons une glace puis atteignons l’auberge Akelarre perdue au milieu d’échoppes et d’ateliers de mécanique. C’est une ambiance d’Auberge de Jeunesse avec un public «étudiant-international»,15 euros petit-déjeuner compris. Elle est assez agréable, lumineuse, mais peu habituée à recevoir des gens comme nous : rien n’est prévu pour étendre et faire sécher notre lessive. Par contre Internet y est disponible. Je saute sur l’occasion pour relancer Maria la Polonaise dont je n’ai toujours aucune nouvelle : « I’m in Bilbao ». Dans l’auberge un petit groupe se reforme, Renée est là ainsi que Jean-Louis rejoint par sa femme Sabrina qui va les accompagner pour la fin du périple. Nous retrouvons également Rodolphe, l’Allemand. Il a terminé l’étape en bus, il n’en pouvait plus et vient de s’acheter de nouvelles chaussures, les anciennes étaient trop étroites ; il espère que ses tendinites vont se calmer dans ce nouvel équipage. Lors de notre première rencontre à Deba, il m’avait paru un peu distant, c’était peut-être la douleur, aujourd’hui avec l’espoir d’une marche moins pénible il est très agréable, très sympathique, joyeux.
Le soir Christian et moi partons à la recherche d’une supérette pour refaire le plein puis d’un restaurant bon marché. Le quartier est très commercial, très moderne, rien de « typique », nous sommes loin des ruelles de cet après-midi dans le Casco Viejo. Dans un restaurant banal nous commandons l’éternel plato combinado, toujours aussi quelconque mais que nous rehaussons par le choix d’une bonne bouteille, avec en fond sonore l’éternelle télé diffusant l’éternel match de football présenté par l’éternelle dame aux formes avantageuses. Malgré le bruit et toutes ces banalités nous passons une excellente soirée, émotions et platitudes tissent nos souvenirs de demain.
L’auberge des pèlerins de Portugalete à 20 km est fermée en septembre, il faudra donc aller jusqu’à Muskiz 13 km plus loin. Toute la petite équipe devrait s’y retrouver, même Rodolphe qui a prévu de prendre le bus s’il a du mal à avancer, il faut bien accepter de composer avec le Chemin.
RE : Départ du chemin à Bilboa
Bonjour Manon,
Il n’y a jamais de « point de départ » sur le Chemin. Le point de départ est là où vous êtes, de cet endroit chacun essaye de rejoindre un parcours plus ou moins bien balisé qui nous permet de rejoindre Saint-Jacques sans trop de difficultés.
Ceci dit je suis désolé que mon récit aie pu vous faire penser que ce fameux départ était à 15 km du vieux Bilbao.
Le Camino Norte passe par la basilique Nuestra Señora de Begoña puis longe (on peut aussi décider de le traverser pour le visiter) le Casco Viejo, donc ne vous inquiétez pas, vous y serez à pied d’œuvre. Pour vous repérer, le Chemin empreinte le Puente San Anton.
Buen Camino
Pierre
Départ du chemin à Bilboa
Bonjour Pierre,
Je pars, du Québec,Canada, pour aller faire le Del Norte à partir de Bilbao. J’aurais aimé savoir ou est le secteur idéal pour résidé les 2 premiers soir. Je voudrais un endroit qui me permettre de visité et d’être à proximité du chemin pour mon départ. J’ai pensé reserver un endroit dans le Casco Viejo. A ce que comprends de votre récit les départ serait à environ 15 klm de là??? Avez vous un conseil pour moi ?
Merci Manon
Pour Jean-Yves
Bonjour Jean-Yves,
Il y a un petit passage délicat à la sortie de Passajes, surtout par temps de pluie, mais on peut l’éviter. Pour le reste c’est vrai que c’est parfois abrupte, avec ou sans escalier, mais cela reste un chemin praticable. Ce n’est pas de la haute montagne.
D’après mon guide et des infos recueillies sur le Chemin en Espagne l’auberge de Markina n’ouvrait que de mai à septembre en 2009. Il faudrait se renseigner pour 2010. Lepère fournit gracieusement une mise à jour de ses guides (voir sur son site).
Dans tous les cas Buen Camino ! Tenez nous au courant.
Camino del Norte
Bonjour Pierre, bravo pour le récit, les photos. je pars « peut être » le 1er octobre de cette année pour commencer à Bayonne histoire de se mettre en jambes et afin de supporter les montées et descentes d’Irun à San Sébastian.Lors de cette étape on parle d’escaliers puis de passerelle dangereuse ? Avez-vous eu besoin de la carte d’affiliation aux A.J ? ou bien les pèlerins peuvent accéder à ces auberges sans souci. Est-ce que le refuge de Markina sera ouvert en octobre ? Je ferai les étapes mentionnées dans le Lepère. Voila, je vous remercie pour tout, encore mille bravo.Et peut être reviendrai vers vous d’ici quelques temps. Jean-Yves