Vers Vieux-Boucau-les-Bains sur la Voie littorale – Mes Chemins de Compostelle

Mardi 15 septembre,
27e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1000 kilomètres

Vieux-Boucau-les-Bains
De Lespéron à Vieux-Boucau-les-Bains

8h15, je viens de quitter le gîte de Lespéron et Philippe-Alexandre que j’ai beaucoup de mal à supporter. Hier soir il s’est couché à 23h sans lampe de poche, il a tout allumé, la nuit il s’est relevé, pareil. Bref, il s’arrête au même refuge que moi ce soir mais il ne va que jusqu’à Saint-Jean-de-Luz donc dans tous les cas l’épreuve sera brève. Si ce matin il adopte son planning habituel, décoller vers les 10 h, je devrais pouvoir faire un chemin paisible.

Il fait beau le ciel est majoritairement bleu avec quelques petits moutons qui annoncent un après-midi couvert. Il fait frais mais je suis en chemisette.

Cette nuit j’ai très mal dormi. Je ne sais pas si ce sont les effets combinés de la mixture avalée hier soir, reste des pâtes de Philippe-Alexandre mélangées à une boîte de maquereaux à la moutarde, ou l’énervement et les divers réveils provoqués par mon compagnon de chambre, mais on aurait dit que j’avais avalé trois litres de café. De plus dans tous ces gîtes municipaux, règles de sécurité obligent, il y a des extracteurs d’air dignes d’un immeuble de 15 étages dont les vrombissements me perturbent. En fait je dors souvent très mal, en pointillé, je ne sais pas si c’est la fatigue ou le fait de se coucher trop tôt après le repas, ou encore toutes les idées qui me tournent dans la tête, cette nuit j’ai passé mon temps à rédiger une lettre pour régler un problème familial dont m’avait parlé Hélène hier au téléphone, il est difficile de s’extraire totalement du monde et de ses soucis. Ce manque de sommeil n’empêche pas de marcher mais n’est pas confortable.

Aujourd’hui destination Soustons dans un village vacances à 4 km à l’écart du chemin, ce qui ne fait pas tout à fait l’affaire de mes jambes, pas loin de 40 km. Tant que faire se peut je calcule mes étapes avec le but d’avancer le plus vite possible mais aussi en fonction des possibilités d’hébergements « pèlerins » pour leur accueil et pour ménager mon budget. Ce coup-ci la seule possibilité conciliant ces deux objectifs est un peu éloignée.

Dans quelques centaines de mètres après la sortie de la ville je vais quitter la voie de Tours qui rejoint Saint-Jean-Pied-de-Port, la voie qu’empruntera Monique, pour rejoindre le chemin côtier au niveau donc de Soustons. Dans cet « entre-deux-chemins » il n’y a plus de balisage et il faut se fier entièrement au guide, j’espère que ce ne sera pas trop compliqué.

Ça y est j’ai changé de Chemin, au bout de celui-ci la côte, la mer. Le paysage est similaire à celui d’hier, pins et fougères. Ce que je prends d’abord pour une petite brume est en fait la fumée dégagée par les outils des bûcherons qui nettoient la forêt des restes de la tempête ; si on fait abstraction du bruit on peut rêver, d’ailleurs je viens de voir une biche, puis tout un troupeau qui bondit devant moi à travers les pins abattus … mais l’appareil photo n’était pas en position.

Première erreur, il faut dire que le repère était « une vieille carcasse de voiture » qui a peut-être été évacuée depuis la rédaction du guide ou alors j’ai encore une fois été inattentif. Toujours est-il que j’ai continué tout droit alors qu’il fallait tourner à droite. En me retrouvant près d’une grande voie j’ai compris que je m’étais fourvoyé. Me revoilà dans la bonne direction, à peu près 1 km de trop. Si je continue comme ça Philippe-Alexandre va me rattraper. Horreur !

Les livres des récits de mes marches vers Compostelle

La forêt est belle mais parsemée de troncs étêtés, cassés ou couchés. Elle reste cependant assez dense. Je suis une piste qui n’est pas très marquée à travers pins et landes, elle ne doit pas être souvent empruntée. Avec tous ces travaux forestiers le profil du terrain a été bouleversé et ce n’est pas toujours facile de se repérer. Si les indications du guide du genre « maison forestière » restent fiables, les « petits chemins herbeux » se sont eux transformés en boulevard pour bulldozer assez pénible à la marche d’ailleurs. Il faut se fier à son intuition et je ne suis jamais vraiment sûr d’être au bon endroit.

11h je sors de Castets par la rue Sainte-Hélène. Après quelques kilomètres en direction d’Azur (joli nom !) je rappelle le village vacances, hier soir j’ai oublié de leur demander comment y accéder. Mauvaise nouvelle, ils sont en fait à 8 km de Soustons, au Vieux-Boucau qui fait bien partie de la commune de Soustons mais est très excentré. Ce n’est pas négligeable car à Soustons j’aurai déjà fait 37 km. Il faut que je trouve une carte, à Azur peut-être car d’ici là il n’y a rien, pour voir où se trouve exactement ce gîte et s’il y a moyen de couper. Sinon faire 16 km aller-retour en plus, une demi-journée de marche, pour se loger, même bon marché, ce n’est pas raisonnable, autant prendre une chambre d’hôtel au centre de Soustons.

Jusqu’à Castets le chemin était presque intégralement en forêt par des sentiers herbeux sableux .. quelques fois défoncés mais agréables. Désormais il suit une petite route départementale assez sympathique, peu fréquentée, toute droite avec quelques inflexions et qui va continuer ainsi pendant 15 km. On a parfois une idée de la distance à parcourir quand, au loin, un pare-brise de voiture scintille et que la voiture ne nous croise que quelques minutes plus tard. Mais pas de problème, je commence à être rodé pour ne pas dire blasé.

Midi, je m’arrête pour la pause casse-croûte selon un rituel désormais stable : le sac contre un pin, le dos contre le sac, le tout à l’abri des fougères.

12h40 je reprends la route, pendant la pause de gros nuages gris se sont accumulés et il fait plus frais.

14h30 me voilà à Azur où je suis accueilli par un troupeau d’oies.

J’avais misé sur la mairie d’Azur pour me renseigner mais c’est son jour de fermeture. Une carte touristique donne une idée de la topologie des environs si l’artiste a su garder un zeste de réalisme et le sens des proportions. Ce n’est pas très précis et sans doute existe-t-il des chemins de traverse mais je décide de prendre la direction de Messanges pour contourner le lac de Soustons et me rapprocher du Vieux-Boucau. Me voilà donc sur la D50 toujours aussi rectiligne mais la circulation y est beaucoup plus intense et les véhicules beaucoup plus rapides. Il me tarde d’en sortir.

15h30 la route a changé, elle tourne, elle vire, elle escalade les dunes, on se rapproche de la mer. Au loin, au sommet d’une de ses collines j’aperçois quelque chose qui pourrait être un phare, ou simplement une antenne relais, mais laissez-moi rêver.

15h45 les jambes commencent à être lourdes, petite pause.

De Messanges à Vieux-Boucau on m’indique une piste cyclable-promenade, qui, m’a-t-on dit, passe devant le village vacances. Je n’ai qu’à me laisser guider, qu’à la suivre.

17h ça y est j’ai les clés, je suis dans un bungalow en duplex qui pourrait loger toute une famille, le grand luxe. Je vais y être seul, ouf ! Le village vacances est pratiquement vide et il y règne un calme royal. Christian et Philippe-Alexandre sont bien attendus mais aucun d’entre eux n’est encore arrivé. Sans doute parce qu’ils ont réservé ensemble, ils se partageront un autre bungalow.

Après les ablutions d’usage je me rends au second bungalow : Christian y est arrivé il y a un quart d’heure. Plaisir des retrouvailles. Nous nous racontons nos chemins. Il est content de ses nouvelles chaussures, ce sont les mêmes que celles que j’avais l’an dernier, et ses pieds commencent à peine à être vraiment remis, cicatrisés.

Le temps tourne à la pluie, nous partons explorer le centre du Vieux-Boucau à la recherche de quelques provisions et d’un restaurant. C’est la ville balnéaire moderne type avec ses appartements avec vue sur la rue, marchands de souvenirs, de vêtements d’été et d’accessoires de plage. A cette époque de l’année presque tout est fermé, quasiment désert, un peu lugubre d’autant plus que la pluie nous y surprend. La mer n’est pas non plus au rendez-vous, il faudrait faire encore un effort, traverser la ville, le mauvais temps et la fatigue nous freinent. En principe nous aurons d’autres occasions en route pour la contempler. Nous finissons par trouver une pizzeria, modèle basique, pour nous abriter et apaiser notre faim.

De retour au gîte Christian m’invite à partager une bouteille de vin et un camembert qu’il a achetés tout à l’heure. Vers 21h30 Philippe-Alexandre apparaît, trempé. Il est parti ce matin à 10h30 et a pris son temps. Il arrive en stop depuis Soustons. Il se veut pur parmi les purs et demain il compte repartir à Soustons ( à pied ?) pour reprendre le « vrai » Chemin là où il l’a quitté. Je lui donne mon point de vue : il n’y a pas de « vrai » Chemin, c’est un voyage à destination de Saint-Jacques chacun décide du trajet selon ses aptitudes et ses goûts, il n’est pas utile de revenir sur ses pas, l’essentiel est d’avancer, même si évidemment le « vrai » Chemin est souvent le plus simple, le plus commode à suivre. Je ne lui sers pas le couplet sur le «voyage intérieur», celui-là de toute façon se fiche bien de là où nous posons nos pieds. De fil en aiguille nous entamons une discussion. Est-ce le vin, l’entregent et la bonne humeur constante de Christian ou le fait de savoir ma chambre à part ? Sans doute un peu tout, mais je me débloque et finis par trouver Philippe-Alexandre sympathique même si nos modes de vie restent radicalement incompatibles. Nous passons un excellent moment tous les trois. Je quitte mes hôtes et laisse Philippe-Alexandre se lancer dans la préparation de son repas du soir, courage Christian !

Demain j’envisage d’aller jusqu’à Bayonne, à environ 45 km. Je viens de faire des étapes assez longues et il est possible que j’en ressente la fatigue et que mon projet soit un peu ambitieux mais je suis pris d’une véritable impatience d’arriver en Espagne. Je propose à Christian de m’accompagner. Il est un peu effrayé par la distance, jusqu’à présent il a préféré faire des étapes raisonnables pour ménager ses pieds en convalescence, il ne voudrait pas tout remettre en question. Si autour d’une table et d’une bonne bouteille nous nous entendons à merveille, qu’en est-il sur la route ? Nos rythmes s’accordent-ils ? Peut-être arrêterons-nous avant ? Peut-être nous séparerons-nous ? Seule l’expérience peut nous répondre. Rendez-vous demain matin à 7h devant mon bungalow.

842 kilomètres parcourus depuis Auffargis

 

22 réflexions au sujet de “Vers Vieux-Boucau-les-Bains sur la Voie littorale – Mes Chemins de Compostelle”

  1. RE : Après L’espéron
    Bonjour Monique,
    De l’Esperon à Bayonne je me suis en fait débrouillé avec des informations glanées sur Internet (Voir les sites http://viaturonensis.pagesperso-orange.fr/ , http://www.xacobeo.fr/ et ceux des associations jacquaires des départements traversés) et au fur et à mesure de ma progression.
    Se méfier du fait que l’hébergement proposé à Souston est en fait au Vieux Boucau c’est à dire à 8km ce qui peut compter en fin de journée ;o)
    Buen Camino

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  2. Après L’espéron
    Bonjour,
    J’aurais savoir quel guide avez vous utilisé après l’Esperon pour rejoindre Bayonne.
    Comme nous projetons de suivre le même chemin mais au depart de la Pointe Saint Mathieu, cela nous serait bien utile.
    Merci
    Monique

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  3. Pour Steven
    C’est peut-être mieux de marcher moins, de prendre son temps, de profiter du Chemin et de ceux qu’on y rencontre. Mais chacun suit sa nature.

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  4. Distances
    C’est vrai que ce sont de grosses étapes ! Depuis le début je suis assez impressionné surtout pour la mouture 2009 de votre chemin ! Pour ma part la moyenne était de 26 km … La plus petite étape 15 km et la plus longue … 52! J’avais marché jusque 3 h du matin sur un coup de tête un peu stupide… Bref…
    C’est effectivement rare de marcher autant et tous les jours, vous devez tenir une forme de coureur de fond! Je ne pense pas en être capable malgré mon jeune âge !
    Le plus impressionnant que j’ai vu, c’est un Pelerin francais rencontré en Espagne et dont je ne me souviens plus le nom qui disait marcher entre 50 et 60 km tous les jours ! Incroyable…!

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  5. Re: Vieux-Boucau-les-Bains
    je vais emprunter ce même chemin à partir du mois de mai et je suis intéressée par l’itinéraire à partir de lesperon,
    avec mes remerciements

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  6. Re: Vieux-Boucau-les-Bains
    Tu sais Robert, je suis bien d’accord : il n’y a pas beaucoup de gars pour faire plus de 40 bornes par jour. C’est bien pourquoi je considère qu’il s’agit d’une véritable perf…
    Pour voir. Qui connaît un marcheur qui fait ses 46 kilomètres par jour ?
    P.S. Pierre, j’ai commencé ton livre bleu, ça m’intéresse mais je vais avoir des commentaires…

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  7. Pour Bernard
    De même que « c’est en forgeant que l’on devient forgeron » c’est en marchant que l’on améliore ce que tu appelles sa « performance », ma « moyenne » s’est considérablement améliorée à la suite de mon premier Chemin de plus je m’arrête peu souvent.

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  8. Re: Vieux-Boucau-les-Bains
    OK Pierre, je veux bien, mais ça ressemble tout de même un peu à de la perf’… ou alors ç’est moi qui suis une petite nature.
    J’aimerais bien avoir l’avis des autres commentateurs…

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  9. Pour Bernard
    Quand on aime on ne compte pas 😉
    Peut-être que pris par l’envie d’avancer irais-tu au même pas. Dans tous les cas si tu voulais m’accompagner on arriverait sûrement à accorder nos rythmes, c’est alors la compagnie qui est importante.

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  10. Re: Vieux-Boucau-les-Bains
    Je reviens car je suis toujours sidéré par le nombre de kilomètres que tu fais au cours de certaines étapes. Par curiosité, j’ai voulu calculer ta moyenne. Sauf erreur de ma part, sur cette étape, tu as fait 44 kilomètres en 8 h 5′ soit environ 5,5 kilomètres/heure. Même sur le plat, c’est fort !!! C’est bien ça ?
    Je ne risque pas de te suivre …

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  11. RE : Monique – pour Irène
    Je n’avais pas vécu cet « abandon » comme tu le ressens à la lecture de mon récit. C’est vrai qu’il m’a un peu pincé le coeur car je savais qu’elle était inquiète de se retrouver seule, mais j’avais confiance en elle. Elle pouvait le faire. Nous séparer à cet endroit me paraissait un bon choix car il restait peu de km jusqu’à Onesse où elle avait décidé de faire étape, elle pouvait ainsi marcher un moment seule et se prouver qu’elle en était capable. De plus je lui avait laissé mon numéro au cas où. Mais peut-être as-tu raison je me suis laissé aller à ma poursuite de Christian. En tous les cas elle ne m’en veut pas.

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  12. Monique
    « L’abandon » de Monique t’a visiblement marqué. Lâcheté? Egoïsme? ….
    Celà t’a permis de rattrapper Christian. C’était celui-là ton Chemin. Si j’avais été à la place de Monique, j’aurai trouvé dûr d’être larguée. Pourtant ce chemin est un chemin de liberté, fait de multiples rencontres et chaque amitié même très éphémère restera innoubliable car comme tu le dis on peu oublier beaucoup de détails mais aucune émotion.

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  13. Pour Irène
    Le dictaphone c’est super mais il faut penser à controler ce que l’on a enregistré. Quand j’ai « abandonné » Monique, sans doute l’émotion, j’ai encore une fois cafouillé et j’ai du me fier à ma mémoire qui, si au niveau des details peut être défaillante, est intacte au niveau des émotions.

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  14. Re: Vieux-Boucau-les-Bains
    Bonjour Pierre
    Tu as enfin retrouvé Christian! Pour avoir été faire un tour sur son blog, je connais un peu la suite. J’atends tout de même de connaître ta version qui sera certainement beaucoup plus détaillée.
    Le dictaphone est vraiment un bon truc à emporter si on veut se souvenir des détails de l’aventure.
    Je n’ai heureusement pas rencontré de Philippe-Alexandre sur mon chemin. je n’aurais absolument pas pu supporter. je suppose qu’il aurait pourtant fallu faire avec…

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