Dimanche 13 septembre,
25e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1068 kilomètres
Un peu avant 8h nous quittons le gîte, Monique m’a demandé si je pouvais l’accompagner encore un peu. Excellente nuit mis à part un petit ronronnement dû sans doute à une ventilation, je sais, je suis parfois pinailleur. Il fait très beau, légèrement frais mais je suis en chemisette, cela va probablement se réchauffer très vite.
Ce matin notre hôte nous a donné la photocopie d’une carte sur laquelle il avait surligné le trajet pour rejoindre le Chemin qui passe par le Muret. A la sortie de Castelnau je fais une erreur d’interprétation et nous voilà sur la grand-route ; quand je pense que Monique m’accompagne parce qu’elle a peur de se perdre ! Sur le bord de la route une grande maison isolée, sa cheminée fume, je franchis le portail, je frappe à la porte : un chien hurle à l’intérieur mais personne ne répond. Le plus simple est de faire demi-tour jusqu’au point où je me suis fourvoyé. Monique s’aperçoit alors qu’elle n’a plus ses lunettes de soleil, des lunettes adaptées à sa vue auxquelles elle tient beaucoup. Elle appelle le refuge, ils vont aller voir dans la chambre et ils rappelleront si elles y sont. Un peu plus loin un homme nous indique un raccourci qui nous éviterait de revenir sur nos pas. Nous hésitons, refuge ou raccourci ? Il y a déjà plus d’un quart d’heure que nous rebroussons chemin s’ils les avaient retrouvées ils auraient fait signe. Monique pense qu’elle a dû les perdre la veille sur le chemin lorsqu’elle a changé de lunettes. On renonce à attendre. Cette fois-ci c’est parti. Un départ très laborieux, ce soir il faut arriver à la halte jacquaire de Labouheyre avant 18h, à 30 km, c’est faisable si on arrête nos fantaisies.
En route nous croisons des chasseurs, leurs chiens ont des clochettes. C’est le jour de l’ouverture, ils chassent le faisan. Les coups de fusils sont assez rares rien à voir avec ce que j’avais vécu l’année dernière du côté de Lectoure où cela pétaradait de partout : je n’en menais pas large. Nous ne nous attardons quand même pas trop.
Nous arrivons à Pisos à midi moins le quart. A l’entrée du village nous demandons où nous pourrions nous ravitailler. On nous renseigne mais surtout on nous prévient : attention, c’est dimanche tout ferme à midi. C’est la course, je trouve une boulangerie qui me prépare un sandwich pendant que Monique se dirige à grands pas vers une épicerie pour essayer d’y trouver quelque chose qui lui convienne. Je la retrouve devant le magasin, elle a renoncé devant la longueur de la queue qui attendait à la caisse, elle se contentera de la boîte de sardine qui lui reste dans son sac. A la sortie de Pisos, dans une forêt de pins, nous nous octroyons une pause détente pour savourer ce repas dominical.
Ensuite le chemin n’emprunte pratiquement plus que des pistes de sable où la marche est très éprouvante, par moment on se croirait dans un western où le héros se traîne dans le désert à la recherche d’un peu d’eau (d’accord j’exagère un peu, sûrement le soleil qui me fait délirer). Une fine couche de sable noir nous donne des têtes de mineurs de fond. Il fait très chaud et il n’y a pratiquement pas d’ombre, mais le moral est au top comme il se doit.
Quelques kilomètres après Escoursolles, changement de programme, nous rejoignons une route goudronnée qui s’étend à perte de vue, il y fait toujours aussi chaud et les arbres y sont toujours aussi rares ; d’après le guide nous allons marcher là dessus pendant 5 km. Hauts les cœurs, nous y sommes presque.
Environ 2 km avant Labouheyre nous faisons un petit arrêt, assis sur la carte routière « indéchirable » de Monique pour protéger nos arrières d’un sous-bois épineux, seul emplacement à l’ombre que nous ayons trouvé. Nous sommes presque arrivés mais cet arrêt était nécessaire, Monique est épuisée, probablement un peu déshydratée, elle m’avoue qu’elle n’a plus d’eau et refuse noblement de partager ma pipette. Nous sommes largement dans les temps et je ne pense pas l’avoir mise sous pression, mais pour ne pas être celle qui retarde l’équipe il est probable qu’elle n’ose pas s’arrêter aussi souvent que si elle était seule. J’essaye d’y être attentif mais c’est vrai que j’ai tendance à me laisser entraîner par le rythme surtout dans les grandes lignes droites, une spécialité de la région. Pendant que nous récupérons deux cyclistes Hollandais s’arrêtent. Ils sont partis de chez eux il y a trois semaines et comptent en mettre autant pour rejoindre Saint-Jacques. Ils font aussi étape à Labouheyre mais ils seront au camping.
Un peu plus de 16h : nous sommes à l’abri pèlerin de Labouheyre, chez Jacques et Jacqueline. Nous avions largement le temps ! L’accueil est très, très chaleureux, ou plutôt rafraîchissant : une boisson nous y attend ainsi qu’une bonne douche. Fourniture de serviettes, de produit pour la lessive et demain petit-déjeuner, c’est royal. L’abri est tenu par d’anciens pèlerins, aujourd’hui Jacques et absent et c’est Jacqueline qui est notre hôtesse. Ils me font envie quand elle nous raconte leur marche sur la Via de la Plata, de Séville à Saint-Jacques ; une idée à étudier.
Demain je compte aller jusqu’à Lesperon, un peu moins de 40 km, j’avoue que j’aimerais bien rattraper Christian qui était ici hier soir avec Philippe-Alexandre. Cette chasse met un peu de piment dans la traversée de ces interminables paysages similaires. Je vais abandonner Monique, elle appréhende ce moment et j’ai un peu de remord à le faire mais je pense sincèrement qu’elle peut se débrouiller seule et puis c’est le seul moyen pour qu’elle prenne vraiment confiance en elle. Nos routes se seraient de toute façon séparées à Lesperon, elle en direction de Saint-Jean-Pied-de-Port, moi vers le Chemin côtier. J’aurais pu l’accompagner jusque là mais aujourd’hui elle est arrivée fatiguée et demain elle compte aller jusqu’à Onesse à 25 km, pour moi c’est un peu court, je piaffe, il y a cette poursuite qui me trotte dans la tête et je suis impatient d’arriver en Espagne de découvrir enfin ce Camino Norte. Trêve d’argumentation, je ne suis qu’un infâme lâcheur.
Pour « fêter » notre future séparation, mais surtout cette centaine de kilomètres, et oui quand même, parcourus ensemble, Monique accepte d’aller au restaurant. Jacqueline nous indique celui près de la gare où nous passons un excellent moment.
Demain je comptais partir tôt mais les magasins n’ouvrent qu’à 8h30 et ce sera le redoutable lundi, jour où le désert commercial s’ajoute au désert naturel. Donc ce sera grasse matinée obligatoire.