Vendredi 11 septembre,
23e étape, 24e jour après un jour de repos :
Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1132 kilomètres
8h10 je quitte la maison d’Amandine et Chantimat un lieu où je me sens toujours bien. Je ne voulais pas partir trop tôt pour ne pas perturber leurs habitudes et puis j’ai pris mon temps. Il fait très doux, très beau. Je compte aller au Barp, à plus de 35 km. Il n’est pas très tôt, je vais prendre le tram jusqu’à Talence cela m’avancera un peu mais surtout si l’arrivée en ville vers la cathédrale m’avait parue stimulante, la sortie de Bordeaux, pourtant similaire, m’inspire beaucoup moins, me paraît indigeste sur le petit-déjeuner.
Ça y est je suis dans le tram, un moyen de transport qui a révolutionné les modes de vie à Bordeaux.
Je vous invite à m’accompagner un instant :
Un peu à l’estime je descends à l’arrêt Montaigne-Montesquieu dans le campus de l’université Michel de Montaigne. Un flot d’étudiants me contourne pendant que j’essaye de me repérer. Un homme avec attaché-case s’approche de moi « Vous chercher quelque chose ? » « Oui, merci, je voudrais me rendre à l’ancien prieuré de Cayac à Gradignan » « Vous pouvez prendre le bus… » « Euh … en fait je voudrais y aller à pied » « Ah, vous faites le Chemin de Compostelle » « Oui, c’est ça » « Bon, ce n’est pas tout près mais je vais vous expliquer. Vous prenez en face … ». En résumé c’est presque tout droit, je n’ai pas trop mal visé.
Hier, temps magnifique, chaud, un vrai jour de repos dans une ambiance chaleureuse et le plaisir de se retrouver, repas et sieste au jardin où ma petite-fille a pataugé à son aise dans un grand bassin gonflable. Mais le Chemin s’est quand même rappelé à moi, le matin il a fallu que je lui consacre un peu de temps pour remettre à niveau mon équipement. Nouvelle pince à épiler, toujours utile en cas d’épine, nouvelle poche à eau de 2 litres, c’est beaucoup mais qui peut le plus peut le moins je ne suis pas obligé de la remplir à chaque fois, nouvelle gourde de 600 ml avec un bouchon à vis. L’ancienne était largement suffisante avec ses 500 ml (en fait elle ne me sert que pendant les pauses casse-croûte où je trouve plus agréable de boire au goulot plutôt que de téter la pipette de la poche à eau) mais surtout elle avait un bouchon dit mécanique que je trouvais bien pratique : il ne risquait pas de se perdre et de plus on pouvait l’ouvrir et le fermer d’une seule main. Cette innovation technologique doit avoir une bonne raison et des avantages qui m’échappent car on ne trouve plus rien d’autre. Bon je n’avais pas vraiment le temps de faire une étude de marché et je ne vais pas faire le difficile, encore heureux en cette fin de saison d’avoir pu trouver ce que je cherchais, la poche à eau était la dernière en rayon. L’ancienne poche à eau se logeait dans une des poches latérales du sac où il était facile de l’extraire pour le remplissage ; la nouvelle est plus grande je l’ai donc installée dans la poche dorsale intérieure du sac qui est d’ailleurs prévue à cet effet, mais où j’avais fourré toute ma paperasse : guides, carnet, papier à lettre… que j’ai dû recaser ailleurs. Du coup c’est le grand désordre, je sens même une bosse dans mon dos, il va falloir revoir tout ça, il me faudra sûrement plusieurs jours pour que chaque chose trouve sa bonne place. La relecture de la doc sur l’Espagne m’a confirmé un parcours qualifié de sportif ; j’ai décidé de m’alléger au maximum ; j’ai laissé chez ma fille les bâtons qui ne m’ont pas servi une seule fois depuis le départ, les guêtres, le sac à viande en soie, lui aussi inutilisé jusqu’à présent, la doc française jusqu’à Bordeaux évidemment, quelques médicaments surabondants (on verra bien !) et quelques bricoles qui m’ont subitement apparu superflues. Par contre j’ai récupéré toute la doc pour l’Espagne envoyée à Bordeaux avant mon départ, et je ne sais pas si ce jour de farniente m’a avachi ou si la longue étape du jour précédent m’a épuisé mais malgré ce dégraissage le sac pèse sur les pieds, je les sens qui fatiguent. De plus je n’ai pas encore compris comment on se sert de cette nouvelle poche, j’aspire et rien n’arrive !
10h-15 me voilà à Gradignan à l’ancien Prieuré devant lequel un pèlerin en bronze fait lui aussi une pause. C’est une vieille connaissance, une œuvre de Danielle Bigata qui nous avait fait l’honneur il y a quelques années, à ma femme et à moi, de nous inviter à visiter son atelier. J’appelle la mairie du Barp qui gère le gîte, d’après le guide il est très petit et je ne voudrais pas me retrouver à la rue, mais ça ne répond pas. Je profite de l’arrêt pour réorganiser mon sac et tenter de supprimer cette protubérance que je sens entre mes omoplates.
10h j’ai quitté l’abbaye de Cayac et j’ai enfin compris comment marchait ma nouvelle poche à eau : tout est radieux !
10h20 je suis sur un chemin agréable à travers la forêt, à l’ombre, enfin un peu de calme après la ville, le bruit des voitures, le tramway. Ici et là des arbres couchés racontent la tempête récente.
En 2010 je vais participer à une exposition photos à Auffargis. Le sujet est «Travail d’auteur», il n’y a pas de thème imposé, il faut trouver le sien, proposer une série cohérente de photographies, raconter une histoire. J’y réfléchis depuis un moment et une idée commence à prendre forme, quelque chose du genre « Des chemins du Chemin », montrer la diversité mais aussi la permanence, l’universalité de ces chemins, faire des rapprochements entre ceux de France et ceux d’Espagne par exemple. Il faut encore que je mûrisse ce projet.
Le chemin ombragé de tout à l’heure a rapidement fait place à des routes goudronnées jalonnées par de grandes propriétés viticoles du « Pessac-Léognan », des « Châteaux » aux noms prestigieux. La route n’est absolument pas fréquentée, j’en prends possession, je marche au milieu. Il commence à faire chaud, c’est les Landes, rien, rien, rien. Il paraît que c’est déprimant mais pour le moment ça ne me gène pas, c’est juste un truc à faire. La route longe des champs immenses et vides, peut-être pour la culture des asperges. Au milieu de cette aridité une petite zone de fraîcheur baptisée « le lac bleu » m’invite un instant.
12h40, le Peyon, le goudron se transforme en une piste rectiligne blanche, d’après le guide ce sera comme ça pendant 4 km. Une pancarte jacquaire annonce Le-Barp 13,9.
13h je m’arrête sur le bord de la piste, dans le fossé à l’ombre de fougères. Il n’y a pas moyen de pénétrer dans le taillis qui borde la piste, tout est grillagé de part et d’autre. Ce n’est pas idéal, s’il passe une voiture il va y avoir une poussière infernale. Bon, je suis à l’ombre c’est déjà ça.
13h40 je repars après avoir savouré le sandwich qui m’a été préparé ce matin et une petite somnolence interrompue par le passage d’une voiture, il en fallait bien une, qui m’a noyé dans un nuage blanc, heureusement le repas a été préservé. Il fait très chaud mais il y a un peu de vent. J’ai dû faire 1 km sur les 4 annoncés. En route !
16h15 je suis environ à 1 km de l’arrivée. C’est étrange, hier dans Bordeaux dès que j’étais au soleil j’étais accablé ici je marche en plein soleil et c’est très acceptable, peut-être y a t-il plus d’air ou est-ce la légère couche de sueur qui maintient une température supportable. Après la piste j’ai retrouvé le goudron mais très peu de circulation. Il faut croire que les Landes conservent, au moins les voitures, j’ai croisé plusieurs Ami 6 !
Beaucoup de récits évoquent l’aspect déprimant de ces routes, pour moi ça n’a pas eu cet effet, j’ai même trouvé ça exaltant, dynamisant, d’aller chercher au bout de cette ligne droite un horizon inatteignable.
En route beaucoup de troncs en tas sur le bord des routes ou au loin sous des jets d’eau, beaucoup d’arbres penchés prêts à tomber, des zones entières de souches coupées récemment, tout témoigne du passage de la tempête et de sa puissance.
16h ça y est je suis dans le refuge du Barp, je n’avais pour en finir pas réussi à les joindre, tombant toujours sur un répondeur, heureusement il y a de la place. Le gîte est très petit avec quatres places en lits superposés mais il y a tout ce qu’un pèlerin peut espérer. L’accueil en mairie est un peu administratif mais c’est déjà formidable que la halte existe et puis quoi, je ne croyais quand même pas qu’on allait me dérouler un tapis rouge. On m’annonce qu’une dame est attendue, elle arrive un quart d’heure plus tard : surprise, c’est Monique. Elle est un peu éprouvée par cette traversée mais elle l’a faite !
Le soir nous allons ensemble faire quelques provisions puis visiter l’église. Après nous nous séparons, elle préfère ne pas prendre de risque et se faire à manger au gîte pendant que j’opte pour la facilité en allant au restaurant. Au niveau gastronomique elle n’a pas forcément eu tort, ce n’était pas très cher, 10,50 euros boisson comprise, mais du genre grosse cavalerie, de plus j’étais seul et j’ai vraiment eu l’impression de déranger, il faut dire qu’il était à peine 19h.
Demain direction Le Muret, à 27 km, j’ai proposé à Monique que nous fassions route ensemble, elle a accepté, je pense même que cela la soulage, elle ne se sent pas encore très aguerrie et elle a peur de s’égarer. On va voir si nos rythmes peuvent s’accorder, si elle se sent fatiguée elle s’arrêtera à Belin-Beliet.
Pour Steven
Merci pour cette conversation transversale, par dessus le récit des étapes, comme si nous marchions ensemble tout en échangeant quelques bribes de nos vies, comme le font des compagnons de route.
Je vois!
Hé bien, il ne reste qu’à m’y jeter a corps perdu , pour voir… On verra cet été…
Pour le chemin inter-génération effectivement c’était quelque chose, surtout que « Mamé » est une vraie pile, un modèle de dynamisme (saint-Jean d’angely ou elle habite jusqu’a fisterra en 2009 et le puy-fisterra en 2010…) au début elle me distançait sans problème et tout le long du parcours elle souhaitait faire des étapes très longues alors que je souhaitais qu’on se fixe une limite d’une trentaine de km ce qui est déjà pas mal ! (le monde a l’envers, cela faisait bien rire nos comparses pèlerins et nous aussi) ! On arrivait toujours a s’entendre et le chemin s’est passé tout naturellement même si nous marchions un coup ensemble, et un coup séparés, comme ça venait en somme… Presque pas d’accrochage et rien que du bon… Alors si vos petits-enfants, un jour, émettent le souhait de faire un bout de route avec vous… Si je peux me permettre… foncez! Je pense que tout le monde en gardera un fabuleux souvenir, en tout cas c’est le cas pour moi et « Mamé »…
Pour Steven
Ce devait-être quelque chose que de faire ce Chemin avec votre grand mère !
En boutade, j’ai proposé à mes petits enfants de le refaire avec eux. Peut-être que cela aura lieu un jour. Qui sait. Cela me plairait.
Pour ce qui est de mes préférences comme je l’ai souvent écrit, le premier est le plus … c’est le premier.
Au début du second j’attendais la même profusion de rencontres que sur le Chemin du Puy puis je me suis habitué, j’ai trouvé autre chose.
Sur le troisième, la via de la Plata, je n’attendais plus rien, je me contentais d’être sur le Chemin.
Chemin de solitude
C’est un autre visage du chemin que je découvre en vous lisant , un chemin de solitude a des lieues de ce que j’ai pu vivre sur la route du Puy en 2010 ou les pèlerins couraient les sentiers… Enfin , il y avait du monde certes, mais ce n’était pas invivable loin de là; comme vous l’avez dit en marchant on se retrouve souvent seul, du moins on le croit… Il n’y avait qu’en Galice que c’était assez pénible, même si cette région m’a vraiment émerveillé au niveau des paysages traverses et des gens qui y habitent, les 100 derniers kilomètres étaient éprouvants… On marchait presque en troupeau, et outre les « vrais » il y avait aussi une armée de jeunes avec des radios, des téléphones sui hurlaient de la musique et qui ne respectaient rien, même pas le chemin qui était parfois envahi de déchets divers ! Enfin, c’était aussi une épreuve a accepter, et faire abstraction de tout cela n’a pas été si difficile…
Une chose est sûre le chemin du puy a été pour moi le chemin des rencontres, d’autant que je l’ai fait d’un bout a l’autre avec ma grand-mère qui a plus de 70 ans, cela a naturellement suscité moult questions cette configuration n’étant apparamment pas courante ! Nous avons fait bien des rencontres inoubliables « grace » à notre duo de choc si je peux dire ! Ce chemin avec elle, je pense le garder en tête toute ma vie!
Tout cela pour dire qu’il me tarde de découvrir ce chemin de solitude après celui des rencontres…pourtant j’ai peur que cela me pèse même si je m’auto-catalogue « solitaire », la frustration de ne pas pouvoir croiser des marcheurs la journée et surtout le soir aux gites… N’empêche, c’est quelque chose que j’ai très envie de vivre et qui me travaille de plus en plus ces derniers temps…
Deux facettes du chemin… Vous qui avez vécu les deux, avez-vous une préférence ? ou bien n’est-ce qu’une simple différence?
Pour Irène
Bonjour Irène,
Marcher sous le soleil n’est pas toujours facile mais sûrement moins déprimant que sous pluie comme tu l’a fait. Cela explique en partie ces sensations différentes.
Re: Le-Barp
Un horizon inatteignable, inatteignable, oui c’est bien ça, tu as trouvé le mot juste.
Exaltant, dynamisant pour toi, il a été absolument déprimant pour moi et pourtant j’ai très envie de le refaire, peut être même cette année.
Ton récit est vraiment intéressant.