Mardi 8 septembre,
21e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1213 kilomètres
9h-20, après un arrêt à Mirambeau pour l’achat d’un sandwich je reprends la route à Petit-Niort où Jean-Louis Tardy vient de me déposer pour m’avancer un peu. C’est vrai qu’il est tard et que l’étape est assez longue. Il m’avait également suggéré de prendre une route plus courte de quelques kilomètres que le chemin «officiel». Le tracé du Chemin est arbitraire, passer par ici ou par là n’a pas vraiment d’importance ce n’est donc ni par purisme ni par masochisme que j’ai choisi de suivre les balises mais n’ayant pas de carte j’aurai moins de chance de m’égarer et cela me donne l’espoir de rencontrer d’autres pèlerins.
Le petit déjeuner était à 7h30, j’ai eu l’occasion d’y croiser Mme Tardy qui repartait vers ses occupations, puis nous avons encore pas mal discuté et de fil en aiguille nous nous sommes retrouvés devant l’ordinateur de Jean-Louis où il m’a donné un cours de bourse, le Chemin mène à tout, d’où ce retard. En fait j’ai eu de la chance hier j’ai failli ne pas avoir de chambre : cet après-midi ils partent en Bretagne pour visiter des maisons de séniors, ils envisagent d’en monter une localement, ils sont très actifs.
Donc direction Saint-Martin-Lacaussade un peu avant Blaye où il y a un refuge pour pèlerins. Une voiture vient de s’arrêter à ma hauteur et me propose de me déposer un peu plus loin pour m’éviter la montée. Je remercie, c’est vrai qu’il y a une petite côte et que ce matin le sac me pèse alors qu’il a exactement le même contenu qu’hier mais je devrais arriver à surmonter l’obstacle. Cette gentillesse me donne du punch. Il fait très beau avec un petit peu de vent, la route avance au milieu des vignes.
9h35 j’entre dans le département de la Gironde aux alentours de Pleine-Selve où il y a une belle église mais désormais les bornes blanches ont disparu. Petit arrêt pour reconditionner mon ampoule qui se rappelle à mon souvenir. J’en profite pour réserver une place au gîte ; cette fois je ne devrais ne pas être seul, une dame y est également attendue pour ce soir. Bon il faut y aller, aujourd’hui je n’avance pas très vite, je ne suis pas encore arrivé !
A Saint-Palais, à l’entrée de l’église une dame, masque respiratoire pendant sous le menton, m’explique qu’elle est en train de décaper le vert de gris qui envahit le carrelage et qu’elle est obligée de le faire à la main le site étant classé monument historique. Sans doute par solidarité, pour protester contre ces conditions de travail, mon sac décide de recommence à couiner.
11h, la route domine la vallée de la Gironde, au loin la centrale nucléaire et l’estuaire où on devine le phare de Cordouan. Je traverse un petit village où les poules, les pintades et les coqs répondent joyeusement aux cris de mon sac : il m’énerve !
Midi je longe le cimetière de Saint-Aubin-de-Blaye noyé dans les vignes. Au centre ville comme je consulte mon guide un cycliste et un piéton s’arrêtent simultanément et s’inquiètent de savoir si je suis perdu. Ce n’est pas le cas mais j’en profite pour leur demander où je pourrai trouver de l’eau : je suis encore une fois sauvé par des toilettes publiques.
13h je repars après une pause sandwich du côté des Pageots dans l’aire de pique-nique qui jouxte l’arboretum. Comme tous ces jours-ci il commence à faire très chaud à partir de 11h. Depuis ce matin je n’ai pas le souvenir d’avoir emprunté un chemin herbeux ou pierreux, ou alors il était vraiment bref. Tout sur route, côté voiture il ne faut pas se plaindre, disons environ une toutes les heures, mais il n’y a pas beaucoup d’ombre, le soleil chauffe et me cuit les bras, le macadam ne fond pas encore mais à ce rythme c’est moi qui vais le faire, heureusement il y a un petit peu de vent. Hier mon hôte estimait que le chemin faisait trop de détours inutiles tout ça pour nous faire profiter des forêts. C’est vrai que cela rallonge peut-être de quelques kilomètres mais en ce moment je rêve de la fraîcheur de grands arbres … Ça y est, cette fois le bitume se liquéfie !
Depuis Saint-Aubin le paysage a vraiment changé, les vignes se sont raréfiées, par endroit on traverse une sorte de lande avec des petits champs bordés de haies, avec de l’élevage, une sorte de bocage, puis c’est une forêt et en ce moment je longe un petit ruisseau qui a retenti à mon passage de plusieurs ploufs, j’ai juste eu le temps de voir une queue assez longue, peut-être un ragondin. Le sac est à nouveau silencieux, je n’y comprends rien !
13h45 j’atteins l’entrée de la piste cyclable vers Blaye à 14 km, donc une dizaine jusqu’à la halte jacquaire. Elle suit le tracé d’une ancienne voie de chemin de fer et fait gagner à peu près 2 km sur la variante par la route. J’espère que ce sera ombragé. Le week-end elle doit être surpeuplée mais aujourd’hui pas un cycliste, pas un marcheur. Le tracé est à peu près rectiligne avec quelques grandes courbes, bref, une voie de chemin de fer. Ça ne m’effraie pas, j’aime bien, on avance. Faire 500 km comme cela serait sans doute difficile mais une dizaine permettent de prendre un bon rythme.
15h au niveau du village des Fours la vigne réapparait. Le soleil tape toujours mais il y a une alternance entre les zones d’ombres et celles à découvert.
16h15 me voilà au gîte où l’accueil est très chaleureux, Monique, la dame qui m’avait été annoncée est déjà installée. Christian est passé ici la veille ainsi qu’un nommé Philippe-Alexandre dont j’avais remarqué le nom sur un livre d’or dans une église ; il est arrivé vers 21 h et reparti entre 10h et 11h du matin, ce rythme décalé surprend les hospitaliers et semble leur compliquer la vie. C’est un vrai sacerdoce, outre les pèlerins indélicats, ils nous racontent comment souvent ils font du «soutien psychologique» jusqu’à tard dans la nuit pour des personnes en plein désarroi ou en plein questionnement : perte d’un proche, séparation en cours …
Monique a perdu son mari il y a deux ans et a du mal à reprendre pied. Elle a décidé de faire le Chemin pour se retrouver, pour se restructurer. Un ami qui avait déjà fait le Chemin l’a accompagnée pendant trois jours depuis Saintes. Désormais elle est livrée à elle-même et elle paraît un peu perdue seule face à son sac, face aux jours suivants, face à tout. Elle compte aller jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, peut-être Roncevaux mais elle est inquiète car elle est a une allergie au gluten qui lui impose un régime draconien et le portage d’aliments adaptés notamment des galettes de riz qui ne se trouvent pas partout. J’essaye de la rassurer. C’est vrai que ce problème va lui compliquer la vie mais on n’est pas en plein désert elle devrait trouver ce dont elle a besoin. Elle fait partie d’un club de randonnée et a une bonne expérience de la marche donc elle ne devrait pas rencontrer de difficulté majeure, elle va prendre petit à petit confiance en elle et surmonter cette appréhension bien naturelle «du débutant» que tous les pèlerins ont vécue. Nous éclatons de rire en nous apercevant que nous avons les mêmes chaussures (le magasin où elle les a achetées proclamait «Les chaussures du pèlerin» argument de vente auquel elle n’avait pas résisté) et le même modèle de sac à dos, le sien, féminité oblige, étant un peu plus flashy ; je lui demande tout de suite si le sien aussi est bavard : non ; je suis jaloux («Tu ne convoiteras pas …»).
Pas de restaurant dans le coin il a donc fallu que j’improvise un petit repas. J’ai acheté des raviolis (à cette occasion j’ai remarqué que deux boîtes de 500g revenaient moins cher qu’une boîte d’un kilo !), des tomates, du raisin et des madeleines pour demain matin. Nous installons une table devant le gîte et partageons l’instant, Monique dégustant ses légumes et ses galettes, moi ma platée de raviolis. Bientôt les moustiques nous chassent, heureusement ils ne se manifesteront pas cette nuit. De toutes façons il faut nous coucher tôt, pour moi demain ce sera lever 5h45 pour avoir le premier bac de 7h30 à Blaye. Demain objectif Bordeaux, minimum 40 km, il ne faudra pas chômer. Monique prendra le suivant, elle envisage une étape plus courte au Pian-Médoc chez des religieuses, à une vingtaine de kilomètres, mais il semblerait que ce soit fermé pour travaux. Il va falloir qu’elle se débrouille en route, l’aventure en solitaire commence ! Nous nous souhaitons bonne route au cas où nous ne nous ne reverrions pas, je vais essayer de ne pas la réveiller en partant.