Lundi 7 septembre,
20e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1243 kilomètres
Il estenviron 7h30, je viens de quitter le gîte où en fin de compte j’étais seul, le propriétaire du sac n’est pas réapparu. Mystère! Direction Mirambeau à une trentaine de kilomètres.
Cette nuit j’ai très mal dormi, j’aieu un cauchemar : mon compagnon de chambre s’était écroulé dans larue, il avait été emmené dans un état critique à l’hôpital où il se retrouvait avec des tuyaux partout au milieu d’un tourbillon de blouses blanches, il avait la grippe A ; très égoïstement je paniquais à l’idée que personne ne savait qu’il avait séjourné dans cette chambre et ne pouvait me prévenir qu’elle était désormais contaminée … Sans doute la conjonction du repas médiocre d’hier soir, de l’annonce par Hélène au téléphone que la grippe A se répandait et de l’énigme de cette place vide, mais ce matin le calme est revenu, je n’ai aucune sensation de fièvre et la forme est bonne.
Dans la série des petits incidents la pile de mon réveil est morte et, plus embêtant, j’ai perdu ma gourde métallique. Elle a dû glisser de la poche en filet sur le bord du sac où je l’avais mise pour l’avoir à portée de main .Cette poche n’est pas très profonde et quand la gourde n’a plus été assez lourde elle a été éjectée dans l’herbe où je ne l’ai pas entendue tomber. Comme quoi le goudron a quand même ses avantages. Tout ça n’est pas très dramatique mais un tantinet agaçant. Une bonne nouvelle quand même : mon ampoule a une bonne tête. Ouf !
Il fait très beau, le ciel est bleu avec quelques traces de nuages mais rien d’alarmant. Il fait frais, on est quand même en septembre, mais je n’ai toujours pas sorti la polaire.
Hier j’ai encore travaillé sur mon sac pour essayer de juguler ses miaulements : réglages, graissage … Cematin c’est impeccable mais j’ai bien peur que dans une demi-heure ce ne soit à nouveau la même rengaine. En fait n’ayant pas encore compris la cause du problème j’ai peu de chance de trouver la bonne solution, je tâtonne. Il faudrait que j’y arrive parce que changer de sac ne va pas forcément être très simple.
Après un peu de macadam au départ de Pons le chemin s’élance au milieu des champs avec quelques lapins qui déboulent et traversent devant moi pour se faufiler entre les rangs de maïs. Pas âme qui vive (les lapins ont-ils une âme ?), c’est un Chemin solitaire.
10h me voilà à Saint-Genis-de-Saintonge, petit détour par ce qu’on pourrait appeler le centre ville en espérant pouvoir y acheter de l’eau, une petite bouteille pour remplacer la gourde perdue et augmenter mon autonomie. Il me faudrait aussi un complément pour mon repas de midi parce queje n’ai plus grand chose ; mais rien, si, il y a une Coop mais elle est fermée jusqu’au 16 septembre, tant pis je n’attends pas. Je finis par trouver de l’eau dans un WC public : je bois un bon demi-litre et je refais le plein de ma bouteille en plastique.
Après un frugal casse-croûte, vers midi, je passe le long des ruines de l’ancienne abbaye de la Tenaille située près de Saint-Sigismond-de-Clermont. C’est une énorme propriété mais il ne reste pas grand chose.
Il commence à faire très chaud surtout quand le chemin est à découvert, heureusement la première partie était principalement en forêt et maintenant c’est souvent abrité. Les chemins s’enchaînent avec les petites routes goudronnées un coup à droite, un coup à gauche, un coup en face, une borne par-ci, une borne par là et toujours personne, de temps en temps une voiture, il y a des moments où je me demande s’il y a un but à tout ça.
14h30 j’entre dans Mirambeau. En route petite halte d’une demi-heure pour grignoter quelques madeleines et étudier le programme des prochains jours. J’envisage d’aller demain à Blaye, en fait 4 km avant, à Saint-Martin-Lacaussade où il y aune halte jacquaire, puis directement à Bordeaux par le bac. L’étape normale ce serait Blanquefort mais après il ne resterait plus que 12 bornes pour arriver à Bordeaux où j’ai prévu de faire étape et de passer une journée en famille chez ma fille Amandine. Comme je n’ai pas de contrainte de temps autant aller jusqu’au bout. De la cathédrale je pourrai, si je suis fatigué, prendre le tram pour aller chez eux, à la Bastide, sur la rive droite. Je les ai appelés pour confirmer ce programme : je suis attendu.
16h je sors de l’Office de Tourisme encore très chaleureux et serviable. Sur leurs indications j’ai laissé un message à la famille Tardy qui accueille des pèlerins. Assis sur un banc dans le jardin derrière l’église j’étudie une solution de secours, d’après l’OT ils rappellent toujours mais ils pourraient avoir un empêchement ou même être complet. Il faudrait que j’aille plus loin car ici il n’y a plus rien. Mes documents indiquaient une possibilité au camping, j’y suis passé, c’était fermé et sinistre. Il y avait également un hôtel avec tarif pèlerin mais il fallait laisser un message sur un répondeur pour connaître leurs disponibilités et de toute façon les prix affichés n’avaient rien à voir avec ceux annoncés par le guide. Plongé dans mes supputations j’entends une voiture qui s’arrête à mon niveau : «Vous attendez peut-être Monsieur Tardy ?» «Oui. Comment le savez-vous ?» « Je suis M. Tardy ». Il n’a pas encore écouté mon message et il passe là par hasard mais c’est toujours à cet endroit qu’il fixe rendez-vous aux pèlerins pour les emmener chez-lui, en m’apercevant il a tout de suite pensé que je l’attendais !
16h30 je suis dans le gîte de M. et MmeTardy, dans une grande maison avec une piscine et des ânes en liberté, mon hôte m’explique qu’ils sont très familiers, que si on ne ferme pas bien les portes ils entrent dans la maison pour réclamer du pain par exemple. Le cadre est très agréable.
Christian a couché ici hier soir, et aujourd’hui il comptait être à Blaye. Il me précède toujours d’une journée et pendant que je vais me prélasser à Bordeaux il va me devancer d’un jour de plus. Je ne suis pas près de le rattraper. On verra bien plus tard. De toute façon il doit être difficile à suivre.
Jean-Louis Tardy est un viticulteur à la retraite. Sa femme est toujours en activité et du coup il est devenu l’homme au foyer, particulièrement ce soir où Madame Tardy est absente, retenue pour ses affaires. Après les ablutions d’usage j’ai installé ma corde à linge le plus haut possible dans le jardin pour ne pas tenter les ânes avec mes chaussettes probablement savoureuses. Jean-Louis me propose un apéritif, un Pineau de sa propriété avant de passer à table.
Au cours de la soirée Jean-Louis évoque les heurs mais aussi les déboires d’un hôte sur le Chemin avec certains pèlerins :
– ceux qui prétendent faire le Chemin en esprit de pauvreté et qui du coup exigent la pleine gratuité s’incrustant parfois plusieurs jours en pillant systématiquement le frigo alors que leur équipement et leur discours montrent à l’évidence un train de vie habituel à l’opposé de cette parenthèse, cette expérience, qu’ils s’offrent comme on s’offre un séjour aux Maldives mais cette fois sans frais,
– ceux qui se présentent comme croyants, en connexion directe avec Dieu, arrogants au point de refuser de dialoguer avec le commun des mortels qui n’a manifestement pas atteint leur degré d’élévation spirituelle.
Il faut sans doute, comme M. et MmeTardy, avoir de fortes convictions et une patience immense pour accueillir certains de ces énergumènes.
Une excellente soirée, chaleureuse,dans un cadre 4 étoiles (mais ne sommes-nous pas sur leur Chemin ?). Un bon augure pour l’étape de demain d’un peu plus de 35 km.