Vendredi 21 août,
3e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1730 kilomètres
7h15 je quitte le «Détour Beauceron» à Oinville-Saint-Liphard après un petit-déjeuner qui sans être grandiose comme souvent dans les chambres d’hôtes était amplement suffisant.
Le temps a nettement fraîchi et le ciel est très couvert avec quand même des grandes trouées bleues. Aujourd’hui il est prévu de la pluie sur la région. J’espère y échapper.
Devant moi un lièvre traverse un champ ; pas le temps de prendre une photo, de toute façon il ne fait pas assez clair.
Ce matin pour calmer un échauffement mal placé j’ai voulu mettre un peu de vaseline et dans la précipitation du départ je me suis trompé, j’ai pris la pommade anti-inflammatoire : contrairement à ce que pouvait faire espérer ce qualificatif son effet a été immédiat : la zone concernée est maintenant en feu malgré un rinçage à l’eau fraîche !
8h15 me voilà à Janville. En route des champs, des éoliennes, des silos, beaucoup de hangars. On est bien en Beauce. Le ciel s’est dégagé, il fait doux et mon feu « intérieur » s’est apaisé.
Quand je marche longtemps j’ai tendance à avoir mal au dos, en haut, un peu en dessous des omoplates. Après quelques essais de changements de rythmes et de positions du sac à dos j’ai constaté que me tenir très droit, le bassin légèrement rétroversé, les épaules en arrière et le regard loin devant me soulageait complètement. Ce n’est pas une nouvelle version du sketch «Le tailleur» de Fernand Raynaud, même si elle semble tarabiscotée cette démarche reste parfaitement naturelle ; d’accord, elle donne une allure un peu militaire mais je n’ai absolument plus mal au dos. Si je déroule le pied c’est encore mieux. En fait je n’ai rien inventé, j’arrange à ma manière les conseils de Sophie mon professeur de yoga. Avant de partir elle m’a envoyé un petit message : «Pense à tes pieds». Je m’y emploie. Il me semble qu’Henri, un de mes compagnons de l’année dernière, marchait un peu comme cela, mais c’est un ancien para, une école sans doute elle aussi très efficace dans ce domaine. Bon, il faut reconnaître que le naturel reprend vite le dessus mais dès que j’y pense, et mon dos se charge de me le rappeler, je reprends la pose.
Les premiers jours (en fait cela ne fait jamais que le troisième jour de marche mais j’ai déjà l’impression d’être ailleurs depuis longtemps) j’avais des douleurs un peu partout. D’abord ce fut le gros orteil du pied gauche, puis la cheville du même côté, après ce furent quasiment les mêmes douleurs mais à droite. Quand cela survient je ne dirais pas que je panique mais je m’inquiète, je repense à ma tendinite de l’année dernière. Est-ce la même sensation ? Est-ce que je dois ralentir ? Mais à chaque fois, petit à petit, la douleur s’estompe en attendant la prochaine. Le corps se rode, les petits points de friction s’apprivoisent.
Environ 9h me voilà à Poinville, puis Semonville où j’emprunte une «Allée Saint-Jacques» : peut-être que des pèlerins autrefois passaient par ici, je me sens moins seul. Je me dirige vers Santilly que j’atteins vers 9h45. Je progresse ainsi de village en village, tous espacés d’environ 4km. De loin j’aperçois leur clocher carré, je crois y être mais il va me falloir environ trois quarts d’heure pour y parvenir. Chaque clocher est le prochain but à atteindre dans cette sorte de course à relais qui rythme la marche et rompt l’éventuelle monotonie que pourrait provoquer cette plaine sans fin.
Il fait très beau il n’y a pratiquement plus de nuages juste des petites traînées blanches. Il commence à faire chaud.
10h30 Dambron. J’ai changé de région, son clocher est totalement différent, petit, pointu et couvert d’ardoises.
En route un champ avec des meules de quelque chose qui ressemble à des gros haricots verts, des haricots mange-tout.
11h30 me voilà au pied de l’église d’Artenay dont le clocher est résolument pointu. J’ai dû parcourir environ 20 km, il est temps que je m’accorde une pause. Je m’installe à l’ombre dans le jardin de l’église pour un arrêt casse-croûte : tomate, chorizo, prune. Il me reste une tomate emportée de chez-moi et une offerte d’hier soir à la ferme ; au niveau goût et odeur il n’y a vraiment pas photo : une seule sent vraiment la tomate, pas besoin de préciser laquelle. Côté chorizo c’était un de mes aliments de base l’année dernière en Espagne, il restait toujours ferme quelle que soit la température, alors que celui-ci est quasiment liquide ! Probablement un modèle d’exportation pour pays tempéré.
Environ midi, je quitte l’église d’Artenay .C’est décidé, objectif Orléans à environ 25 km. Cela fera quand même une longue étape et j’avoue que j’en ai déjà plein les pattes, mais je n’ai pas trop le choix car je n’ai connaissance d’aucun hébergement abordable entre ici et là-bas. Par ailleurs plus j’avance vite moins j’ai de nuitées et donc plus j’épargne mon budget ; la solution chambre d’hôtes ne peut pas devenir mon quotidien d’autant plus que je paye quasiment la même chose que pour deux personnes. D’après ma documentation il y aurait plus de choix « pèlerin » ou simplement randonneur après Orléans.
Le ciel est légèrement couvert et il ne fait pas trop chaud.
Environ 13 h, j’entre dans Bucy-le-Roi, il n’y a personne, c’est un tout petit village, je n’ai même pas vu d’église. Le terrain est désormais un peu vallonné et même si c’est moins monotone que la plaine je n’ai plus la vision du but à atteindre, c’est moins stimulant. En route je suis passé à côté des restes du rail de l’aérotrain, le fameux projet avorté de Jean Bertin qui avait fait rêver les gens de ma génération, au moins moi.
13h45 Saint Barthélémy, il y a une petite mare avec des canards et un coin herbeux qui me tend les bras. J’en profite pour faire une pause et pour examiner mes pieds où je sens un échauffement sur l’intérieur du talon gauche. Rien d’alarmant mais mes chaussettes sont trempées, j’en change, cela devrait suffire à éloigner le risque d’ampoule. Pendant que j’ai les pieds à l’air une voiture s’arrête à quelques mètres derrière moi et j’entends bientôt un bruit de verre brisé : c’est dans ce coin isolé qu’ont été installés les containers du tri sélectif, ici ils ne dérangent pas les voisins, uniquement les canards … et moi. Bientôt une deuxième arrive, puis une troisième qui vide méthodiquement de ses bouteilles un coffre plein et stationne moteur tournant, toutes portières ouvertes pour ne pas perdre une parole de Michel Sardou qui chante à tue-tête. J’aurai le temps d’entendre deux tubes à plein tube avant d’avoir renouer mes chaussures et boucler mon sac.
En traversant Les Chapelles une voiture s’arrête à mes côtés et son conducteur me demande si je « fais Saint-Jacques ». Lui l’a fait il y a sept ans, en partant d’ici. Hier soir il a hébergé un pèlerin qui venait de Stockholm ; d’après lui il en passe à peu près 6 ou 7 par jour. Je devrais donc finir par en croiser un.
Au niveau d’une ferme dite « Les Pas ronds » j’entre dans la forêt d’Orléans par la route forestière des Chapelles. La première partie est bien ombragée et il y fait plus frais. La route est rectiligne et peu fréquentée. Des voitures en profitent pour rouler à une vitesse qui me paraît infernale ; elles tiennent fermement le milieu de la chaussée et j’ai l’impression qu’elles me frôlent. Je ne me sens pas en sécurité, j’ai hâte de sortir de cette zone.
La deuxième partie, par la route des Râles, est moins boisée, plus chaude mais plus agréable avec des odeurs de fleurs, de bois fraîchement coupé … Désormais il y a quelques maisons, j’approche d’Orléans. J’avance.
16h je suis devant le camp militaire après la route de Planquine. Je m’octroie une petite pause avant d’affronter la ville, il faut bien le dire, la bête peine.
17h30 je suis dans la cathédrale d’Orléans. Enfin ! Content d’être arrivé. 46 km en environ 10h, même si je ne vise aucune performance ça me fait plaisir de l’avoir fait. L’entrée dans Orléans s’est bien passée, à vrai dire je n’ai rien vu, la route descend un peu et elle m’a facilité la tâche, j’étais dans une espèce d’euphorie à sentir la proximité de l’écurie et ce corps qui ne me lâchait pas. Sur un trottoir quelqu’un m’a croisé et m’a demandé « Alors, Chemin de Compostelle ? », « Oui ».Son visage s’est éclairé et il m’a fait un grand signe de la main en continuant son chemin, comme une connivence. Ça m’a fait chaud au cœur. L’a-t-il déjà fait ? Ou rêve-t-il de le faire ? J’ai pensé dédier ce voyage, ce Chemin à tout ceux qui ont eu envie, souhaité, rêvé de le faire et qui ne le feront jamais.
A Orléans j’espère avoir enfin rejoint le Camino, version française. Je ne suis pas Bernard Ollivier et les journées arides sans personne avec qui partager c’est quand même assez frustrant ; moi qui rêvais de solitude je suis servi, trois jours ce n’est pas beaucoup mais je ne sais pas si je saurais tenir comme ça jusqu’au bout.
La cathédrale est imposante avec des dimensions impressionnantes mais un peu aride avec ses piliers sans chapiteaux. Elle est très lumineuse avec de beaux vitraux mais seuls ceux du chœur sont décorés les autres sont en «verre blanc». Dehors, comme je l’ai déjà constaté dans d’autres villes, le grand espace du parvis est apprécié des gamins en roller. «Laissez venir à moi les petits enfants» donc rien à dire, dommage que ce vacarme m’empêche de savourer l’instant présent. Je pars à la recherche d’un abri pour cette nuit.
L’Office de tourisme est encore ouvert et m’indique un hôtel pas trop cher, (tout est relatif, il est au même niveau que les chambres d’hôtes précédentes soit environ 45 euros avec le petit déjeuner), pas trop loin du centre, l’hôtel Le Bannier. La chambre n’est pas mal et calme.
En soirée je sors pour visiter un peu la ville mais je sens vite que mes jambes réclament une trêve. Je ne peux pas leur en vouloir, elles ont fait du bon boulot. Je me contente de chercher un restaurant dans le coin. Je me laisse tenter par le menu d’une brasserie. Comme souvent dans ce genre d’établissement le repas est très copieux à un prix raisonnable, de plus la servante fut attentionnée ce qui ne gâte rien, un peu de chaleur humaine est toujours la bienvenue.
J’essaierai de faire un petit tour dans Orléans avant de partir demain. J’ai réservé une place à l’Auberge de Jeunesse de Beaugency. Je vais commencer à réduire les dépenses ! C’est à une trentaine de kilomètres mais ils accueillent jusqu’à 23h, je pourrai prendre mon temps.
Demain la Loire ! Suivre les bords de Loire, c’est ce qui a fait pencher la balance entre Chartres et Orléans. Après les grands espaces, j’attends ça avec impatience.
Pour Susie
Je vois que tu tiens bien le rythme.
« ème jouf
Vous êtes une bande de courageux un peu fous mais pas inconscients, mon plaisir est tjs aussi vif de partager ton voyage, et les petits clins d’oeil à Fernand Reynaud et à l’ingénieur Bertin sont sympas !
susie
RE: Ouvrir la voie
C’est toujours plus facile d’entreprendre quelque chose quand on sait que quelqu’un d’autre a déjà réussi à le faire, on sait qu’on ne se lance pas un défit impossible, c’est en ce sens que tu m’as ouvert la voie.
Pour le nombre d’étapes on ne sait pas d’avance comment cela se passera. Suite à mon expérience précédente j’avais prévu d’arriver à Santiago fin Octobre !
Ouvrir la voie!…
Je n’imaginais jamais ouvrir une voie un jour!…
En tous cas tant mieux, si cela donne une impulsion.
Merci pour le lien! Je vais en faire autant sur ma page Compostelle. D’autant plus que ton récit est beaucoup plus fournit en détails et explications de chaque étape, que le mien!
Avec çà as-t-on encore besoin d’un topo guide?
Pour le Camino del Norte, je ne me vois pas le faire en 28 étapes… Apparemment il y a des sacrées journées.!
@+
Jean-Claude
Pour Jean-Claude
Bonjour,
J’ai reparcouru ton site récemment et je l’ai mis dans mes liens, il faut rendre à César ce qui est à César : tu m’as ouvert la voie.
Parti pour le Camino Norte je l’ai continué jusqu’au bout avec un détour par Oviedo où j’ai laissé Christian, mon compagnon Québecois, partir sur le Primitivo. Nous nous sommes retrouvés à Santiago et d’après son récit le Primitivo semble plus « sportif ».
Buen Camino
Re: Orléans
Bonjour Pierre,
Aller jusqu’à Santiago de Compostela deux années de suite, même par des chemins différents, faut le faire! ou fallait oser… Bravo!
Pour ma part, j’ai attendu 5 ans! Je repars fin mai par la voie du Piémont Pyrénéen, et j’enchaînerai sur le Camino del Norte et le Primitivo.
J’attends avec impatience de lire tes étapes sur ces caminos qui me sont inconnus!
Cordialement.
Performance
Bien sûr Bernard que c’est pour moi une performance et je n’en reviens pas de pouvoir faire ça, je veux simplement dire que ce n’est pas mon but … mais ça me fait drôlement plaisir d’y arriver.
Re: Orléans
46 kilomètres… Heureusement que tu ne vises aucune performance !!! C’est combien quand tu recherches la perf ?
Pour Jocelyn
Merci de partager à nouveau ce chemin avec moi. Il va falloir quand même un peu de patience pour aller jusqu’au bout.
A bientôt
Re : les retrouvailles
Bonjour Nadine, merci de me suivre encore dans cette nouvelle aventure.
Pour l’avenir rien n’est prévu pour le moment. J’attends que ça me démange.
Re: Orléans
bonsoir,encore merci pour ce voyage j’attends avec impatience la suite .A bientôt Jocelyn ( Photos toujours aussi belles.)
Les retrouvailles !
Bonsoir Pierre, je suis super contente de vous retrouver dans votre récit. Comme le précèdent un pur bonheur.Et ce n’est que le début ! Vous êtes incroyable !
Envisager vous de faire un autre périple ?
cordialement.
A bientôt sur votre blog.