Vendredi 3 octobre,
39e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 565 kilomètres
8h30, départ de Belorado. Ce n’est pas très tôt pour prendre la route mais ce gîte qualifié de très sommaire par le guide est en fait très sympathique, tout le monde se parle, s’attarde avant de prendre la route, profite de l’ambiance avant de se jeter dans le froid. Les cigognes m’accompagnent, j’entends leurs « clac, clac ».
La nuit fut encore fraîche. J’ai gardé mes chaussettes et pratiqué les exercices de respiration de Sophie ; ils ont encore une fois été efficaces mais je ne sais pas s’ils le seront longtemps si le froid augmente. Mon duvet est trop léger.
Ce matin je pars avec Anika, une Suédoise, d’habitude elle voyage seule mais aujourd’hui elle a un coup de blues. Un peu de compagnie l’aidera à franchir ce cap. Elle parle très bien le français qu’elle a d’ailleurs appris du côté de Rambouillet. Elle parle également l’anglais, l’allemand et que sais-je : décidément ces Suédois ont le don des langues. Elle a exactement les mêmes chaussures que moi, nous discutons et comparons nos équipements : des vrais pros.
Le ciel est divisé en deux : à ma droite il est bleu, à ma gauche il est presque noir. Je ne sais pas qui va triompher mais sur le Chemin de Compostelle ce ne peut être que le bien, donc gardons espoir.
Le chemin suit pendant un long moment la route avec même une traversée un peu périlleuse à Villafranca Montes de Oca où il faut partager la chaussée avec les camions. Puis il attaque la montée à travers la forêt des Monts d’Oca, pas très difficile mais un peu sauvage. Au sommet un monument commémore la guerre civile. En route j’aperçois le minibus des « gentils Français » qui attend ses pèlerins à l’entée d’un chemin : c’est vrai qu’il est bientôt midi. Tout au long il fait froid et une petite pluie fine nous accueille juste avant d’arriver à San Juan de Ortega. Nous sortons les capes.
En arrivant, visite de l’église San Nicolàs avec un très beau tombeau. Nous sommes entourés d’une nuée de jeunes qui font probablement un voyage scolaire.
La description du refuge de San Juan donnée par le guide n’est à nouveau pas très emballante, mais c’est quand même l’étape qu’il conseille. Anika préfère continuer jusqu’à Agè où le refuge lui paraît plus confortable. Fort de mon expérience d’hier je décide de quand même m’arrêter là. Nous nous séparons.
En fait le côté « sommaire » annoncé par le guide s’avère cette fois bien réel. Première déconvenue : pas d’eau chaude. L’installation est en panne mais tout n’est pas perdu, le réparateur est attendu. Il arrivera vers 18h et après son intervention c’est un petit filet d’eau tiède dont il va falloir se contenter. Ca tombe mal parce qu’il fait froid et une station sous une douche brûlante m’aurait bien tenté. Heureusement il y a une grande salle commune avec une grande cheminée dans laquelle flambent de grosses buches. Tout le monde se retrouve là, tous tassés autour du feu. Certains commencent à chanter, j’essaie de retrouver un morceau sur une guitare. D’accord, ça fait très ado, très colonie de vacances. Peut-être qu’il faut retrouver son côté enfant, ou peut-être que je ne l’ai jamais vraiment quitté ; j’aime bien.
Deuxième déconvenue, il n’y a aucun commerce. Donc ce sera le restaurant…. S’il y en a un ! Car le guide indique que le village a 19 habitants, même si en saison il y en a un peu plus, ça donne une idée de sa dimension. En suivant les indications de l’hospitalier je déniche la perle rare, il attend le client de pied ferme : 10 euros un menu fadasse et parcimonieux avec des noms de plats ronflants (sans doute pour justifier le prix) alors qu’ailleurs on paye environ 8 euros. Perdu au milieu de nulle part le pèlerin est trait.
Un point positif quand même dans cette journée: d’après mes calculs j’ai franchi mon 1000ème kilomètre, ce qui n’est pas rien. Mes chaussures sont un peu usées mais elles devraient tenir jusqu’au bout. Demain ce sera Burgos à une trentaine de kilomètres.
Etat foetal
Chère mauvaise herbe,
vos questions bien qu’acides sont sources de réflexion. J’ai donc été errer sur Internet à la recherche de ce « retour à l’état foetal » et dans un coin j’y ai trouvé : « retour à l’état foetal donc renaissance ». Cette idée est séduisante, une deuxième chance en quelque sorte. Peut-on aller jusqu’à parler de réincarnation ? Sur le Chemin cela friserait l’hérésie !
1000ème km
Les chaussures tiendront sans doute la route plus facilement que les pensées ? On sent comme une intense régression vers l’état foetal (j’exagère juste un peu…) ?