Dimanche 7 septembre,
13e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1205 kilomètres
Cahors, 8h15, je quitte l’auberge de jeunesse.
Le temps est brumeux mais le soleil n’est pas loin. Ma cheville est un peu enflée et sensible mais ça à l’air d’aller, tout du moins je tente de m’en persuader. Au petit déjeuner nous sommes quatre à la même table, Jacques, deux dames et moi. Jacques n’a mal nulle part (je l’ai surpris ce matin à 6h30 en train de faire des assouplissements : c’est peut-être le secret de sa forme), les dames ont mal partout, pieds, genoux, dos,…Nous avons l’air d’un club de petits vieux.
Devant moi la première tour du pont Valentré émerge de la brume.
9h30 petit incident : la semelle intérieure de ma chaussure gauche remonte à l’arrière du pied et me blesse au niveau du tendon d’Achille. C’est peut-être parce que je serre moins mes chaussures pour faire dégonfler la cheville. Je m’arrête près d’un arbre pour poser un pansement et remettre la semelle en place : autour de moi des traces d’autres soins, c’est un arbre-infirmerie. Je suis rattrapé par Jacques. C’est dimanche et par précaution il était parti avant moi ce matin pour se ravitailler en ville, pour ma part je me suis approvisionné hier soir, lui il préfère du « frais ». Le compagnonnage c’est peut-être ça, ne pas se sentir d’obligation et se retrouver au hasard du Chemin, entendre parler des uns et des autres par les uns et les autres, marcher chacun à son rythme, cheminer ensemble mais séparément. Un peu plus loin nous nous séparons à l’occasion d’un arrêt « technique ».
11h je traverse Labastide-Marnha. Beaucoup de belles maisons anciennes en pierre, mais le côté « bastide » ne m’apparaît pas. A la sortie du village il y a encore un grand mât décoré : pour les élus ?
Le temps est très gris, il fait un petit peu frais, il y a un peu de vent. Ma cheville se rappelle à moi en fonction du terrain notamment dans les descentes alors qu’elle aime bien les montées. Le problème est plutôt dans la tête : « est-ce que tu n’es pas en train de faire une connerie, est-ce que tu iras jusqu’au bout, de l’étape, du Chemin ? ».
En route je rejoins deux randonneurs qui m’avaient croisé alors que je soignais mon tendon. Ils me demandent des nouvelles de mes pieds. C’est aussi ça le Chemin, on se croise à peine, mais tout le monde est attentif aux autres.
Le paysage est assez monotone, Marcus, lui le trouvait superbe : c’est évidemment très différent des Alpes bavaroises. Je suis peut-être un peu critique, c’est beau mais la même chose pendant huit heures on s’en lasse. Ce qui reste dominant c’est le silence, pas un bruit, par moment j’ose à peine parler dans mon dictaphone, j’ai l’impression de déranger. Tout n’est pas négatif, je déguste des mûres. En général je ne suis pas attiré par ces ressources bucoliques mais là je ne résiste pas à la tentation : elles se détachent sans efforts de la branche, elles sont sucrées, onctueuses, un régal.
Je rejoins trois pèlerins, autant employer le terme pèlerin plutôt que ceux de randonneur ou marcheur, même si tout le monde ne fait pas un pèlerinage. Eux en font probablement un car ils ont des coquilles. Je les ai déjà croisés mais impossible de me souvenir où. L’un d’entre eux me rafraîchit la mémoire : c’était à Conques, j’avais râlé le matin quand il avait allumé la lumière trop tôt à mon goût. On laisse les souvenirs qu’on peut, mais apparemment ils ne m’en tiennent pas rigueur. Je discute de plus en plus facilement avec tout un chacun. Petit à petit il se crée une petite communauté, la nébuleuse des pèlerins qui parcourent le Chemin à peu près en même temps. Eux viennent du côté de Nancy. Je suis impressionné mais avec un peu plus de 300 km dans les jambes et mon objectif de rallier Saint-Jacques je me sens désormais membre à part entière de cette communauté. Mon arrêt thérapeutique à Cahors était judicieux, ce jour-là ils ont marché sous la pluie toute la journée pendant que je restais au sec, des emplâtres sur la cheville.
En route un minuscule crucifix sur un amas de cailloux avec dans une pochette plastique une petite prière pour se remonter les bretelles du sac à dos. C’est évidemment difficile à savoir, je ne peux pas demander à chacun ses motivations mais j’ai l’impression qu’à 90% les gens ont des motivations religieuses ou tout du moins font le Chemin avec religiosité.
12h30 je repars après une pause casse-croûte. La semelle de ma chaussure gauche avait encore remonté : je vais essayer de marcher sans semelle ni à droite ni à gauche mais j’ai l’impression que le pied glisse.
14h je suis à Lascabannes situé dans un vallon, le paysage est tout de suite plus agréable, loin de la monotonie du plateau. Je longe de petites propriétés en belle pierre pour arriver à l’église autour de laquelle se reposent une douzaine de marcheurs attirés par l’eau potable et une petite épicerie : l’un d’entre eux déguste avec plaisir un bâton glacé.
15h après la chapelle Saint-Jean le ciel est devenu plus lumineux et il fait plus chaud, je suis content d’avoir mon chapeau. Des champs de tournesols desséchés s’étendent à perte de vue mais c’est vallonné et il y a des arbres avec de temps en temps une petite ferme au toit pointu. La terre est à la fois argileuse et crayeuse. Suite aux pluies de la veille, certaines parties du chemin sont de vrais bourbiers dont je ressors avec des semelles de gadoue de plusieurs centimètres.
15h30 je viens de croiser un Canadien et sa fille. Il a l’air épuisé. Nous ne devons plus être très loin mais comme toujours pour la dernière heure ça n’en finit pas. Ma jambe fait sa capricieuse et me rappelle sans arrêt sa présence mais heureusement elle ne rechigne pas au travail.
A environ 2 km de Montcuq je croise un pépé assis sur un tabouret de toile. Il est coiffé d’une casquette jaune et tient un fusil couché sur ses genoux Je lui demande s’il chasse le randonneur mais il m’affirme que non. Je ne sais pas ce qu’il attend qui va surgir des buissons mais je préfère être hors de la ligne de mire, je ne m’attarde pas. Ce soir, lors du repas, en racontant cette scène, le Canadien suggèrera qu’il guettait peut-être un voisin : s’agit-il d’une expérience personnelle ?
16h30 me voici au gîte d’étape le Soleillou où je suis en principe attendu, juste à l’entrée de Montcuq. En arrivant je suis surpris de retrouver le Canadien que j’avais laissé derrière moi. Me serais-je trompé de chemin ? Non, il m’avoue que trop épuisé il a fait du stop.
Je pars explorer Montcuq. C’est une ville intéressante, loin de l’image un peu folklorique que je m’en faisais sur la base des jeux de mots sur son nom, située sur une butte avec beaucoup de maisons à colombages. Ma cheville supporte sans rechigner mes allées et venues à travers les rues pentues : l’espoir renaît pour demain.
Nos hôtes sont très organisés presque trop, ça sent un peu l’usine à pèlerins même si l’accueil est chaleureux. La dame est infirmière et elle mène son affaire de main de maître. Le soir, repas copieux autour de grandes tablées. Je suis à côté des gens que j’ai rencontrés chez Marie la Belge. Ils ont fait une première tentative en avril-mai mais ont dû abandonner suite à un problème de tendinite ; ils ont eu de la neige dans l’Aubrac. Courageux ! En face de moi il y a deux femmes de Nouvelle Calédonie et un lyonnais qui a déjà fait le chemin il y a 20 ans. Je ne me souviens plus s’il avait été jusqu’au bout, mais à l’époque au niveau infrastructure c’était le néant. Il fallait frapper chez l’habitant en espérant qu’il accepterait de vous héberger. Ca a bien changé. Maintenant c’est presque le chemin des gîtes. On a l’impression que le chemin fait des détours pour rencontrer les gîtes ou alors que les gîtes se sont installés sur le bord : il doit y avoir un peu des deux.
Ma cheville à l’air parfaite, je reprends confiance, demain je compte aller à Moissac à 40 km. J’ai réservé au Centre International d’Accueil et de Séjour dans l’Ancien Carmel. J’espère que je ne suis pas trop ambitieux.
Croix rouges
Qu’elles petites croix rouges ?
Merci pour ton cheminement à mes côtés.
ta cheville
ouf, elle a tenu le coup et tu as pu continuer ton cheminement, je sens au fil de tes étapes que tu te laisses apprivoiser par les pélerins plus facilement.
Je me régale tjs autant par tes photos, quel plaisir de découvrir ces belles maisons, ces chapelles et églises, quelle bonne idée de nous faire partager tes émotions et tes trouvailles.
Moi aussi j’ai qq problèmes comme Louise, je n’arrive pas à ouvrir les petites croix rouges…
susie
Enfin !
Je me demandais pourquoi tu me boudais !
Bises
EURÉKA
Bonjour, enfin le truc pour ouvrir ce coffre aux trésors je l,ai trouvé après 4 mois…un nouvel ordi ne fait pas de moi un génie du clavier.Mais faut dire que la petite flèeche Sésame ouvre-toi n,est pas facile à trouver. Quel bonheur de voir toutes ces magnifiques photos de cette France qu’on ne voit plus avec toutes ces auroroutes. J’arrête içi pour aujourd’hui et j’espèere pouvoir terminé avant mon départ dimanche. BisesLouise
Un bout de Chemin
Merci Nanoo de prendre le temps de m’accompagner. Bises.
Re: Montcuq
Je m’arrête là pour aujourd’hui… On est attendu pour déjeuner… mais j’adore faire un bout de chemin avec vous! Même si ce n’est que par le biais des mots et des photos… si belles!
pleins de bisous
10ème jour
Dans mon cas ça semble correspondre et c’est vrai que j’ai rencontré beaucoup de pèlerins qui avaient eu à franchir ce cap, certains ont même abandonné. Mais ça dépend sans doute de la manière dont on a parcouru ce début de chemin : en groupe ou seul, petites ou grandes étapes… Par la suite je retrouverai des pèlerins qui étaient partis du Puy le même jour que moi, certains ont eu des soucis vers le 20ème jour d’autres vers le quarantième jour.
Re: Montcuq
Je crois avoir lu ou entendu dire que c’est vers le 10ème jour que les pélerins rencontraient les premiers gros problèmes (le physique et le moral)et que c’était un cap. Toi qui a rencontré d’autres pélérins, ça correspond en général à la réalité ?