Jeudi 25 septembre,
31e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 779 kilomètres
7h30 je quitte le refuge de Roncesvalles, direction Larrosoaña à environ 27 km.
La nuit a été fraîche. Quelques pèlerins n’ayant pas de sac de couchage ont dû passer une mauvaise nuit car aucune couverture n’était fournie, ce qui est la règle en Espagne. Dans mon sac de couchage j’ai eu froid aux pieds et aux jambes. Il faut dire que j’ai un sac de couchage léger, dit « 13° » qui, cette nuit, était un peu juste. Pour luter contre le froid je me suis rappelé un exercice de yoga enseigné par Sophie, mon professeur : on respire en suivant mentalement le parcours de l’air inspiré, de l’énergie, depuis notre bouche vers un point de notre corps. A l’expiration on fait l’inverse. Je me suis concentré sur ma jambe gauche (toujours la gauche en premier !) et là le miracle a commencé à opérer, petit à petit ma jambe s’est réchauffée. Puis je suis passé à la jambe droite. Enfin douillettement installé dans mon duvet, les oreilles hermétiques et le bandeau sur les yeux, j’ai réussi à m’endormir.
L’ambiance est assez militaire, il faut dire que pour maîtriser tout ce monde, même s’il est de bonne volonté, il faut une certaine discipline. A 21h30 les lumières baissent d’un cran et à 22h extinction. Ce sera désormais à peu près partout la règle : extinction des feux à 22h. En France c’était souvent à 20h. Ce matin à 6h15, crac, grande lumière, on ne discute pas, pas besoin d’avoir un réveil. On est sensé avoir quitté les lieux à 8h. Mais à part ce vernis d’autorité l’ambiance est bon enfant et malgré la foule tout se passe dans la bonne humeur, même si le nombre de sanitaires est un peu juste, ce qui crée quelques queues. Tout inconvénient peut avoir son bon côté, c’est là que je fais connaissance avec un Brésilien qui parle français. Il est professeur d’université et profite d’une sorte de congé sabbatique pour faire le Chemin de Compostelle. Il a commencé à Saint-Jean mais a fait une première étape dans la montée.
Côté petit-déjeuner j’ai picoré, on pouvait prendre une tasse de thé et il me restait un peu de pain sec. Je verrai en route pour compléter cette frugale collation.
Donc en route pour Larrasoaña. Il fait pratiquement nuit, mais pas besoin de lampe, le chemin est régulier. Il fait assez frais. Le guide indique 30 places au refuge de ce soir, ce qui pourrait poser un problème si tous ceux de cette nuit s’y rendent. Mais une grande partie d’entre eux ne font que l’ascension, ils ont de petits sacs et aujourd’hui vont retourner à Saint-Jean ; de plus tout le monde n’a pas envie de faire 27 km. Maître mot : on verra bien.
Ce matin, au refuge, j’ai pu peser mon sac : 11 kg, avec l’eau, à peu près 1,5 l, et les bâtons (désormais je les accroche la nuit sur le sac pour éviter une nouvelle surprise). J’ai quand même sur moi ma polaire et mon gilet coupe-vent. Donc, sans l’eau, disons environ 10kg.
8h-10 Burguete, le ciel est maintenant bien lumineux mais il fait toujours frais.
C’est une grosse ville, il y a de belles maisons avec des volets tantôt rouges, tantôt verts. De part et d’autre de la rue deux espèces de gros caniveaux dans lesquels coule en permanence de l’eau. Il n’y a pratiquement pas de trottoir et pourtant c’est la Nationale qui mène à Pampelune : il faut être prudent.
Depuis le départ c’est plat, le chemin suivait à distance la grand route, maintenant il part dans la campagne et tout est d’un grand calme, même les fermes paraissent inanimées. Le chemin traverse une vallée haute avec de part et d’autre des pâturages. J’ai remarqué un cheval qui portait une cloche, je n’en avais jamais vu chez nous.
9h-10 Espinal avec son église moderne, genre Royan. Après une petite côte on change de vallée, le vent est assez fort. Je viens d’être doublé par trois cyclistes. J’ai failli me faire renverser : leur klaxon ressemble au cri d’un canard et je n’ai pas compris tout de suite.
Le ciel est immaculé, grand soleil, mais il n’arrive pas à me réchauffer avec ce vent froid.
10h-10 petite pause après une descente par des chemins quelques fois ravinés mais dans l’ensemble agréables. Le vent a dû rester là haut, le soleil commence à faire du bien.
10h10 c’est reparti, je viens d’avaler tout un paquet de biscuits aux figues, il faut croire qu’il y avait un petit manque après ce petit-déjeuner plus que sommaire.
10h30 Biscarreta, joli village avec des maisons typiques. En route je rencontre un Hollandais qui parle assez bien le français. Il a fait le Puy-Cahors en vélo avec sa femme en environ deux semaines et maintenant, comme il lui reste du temps, il fait le Chemin à pied, seul. Il est parti de Saint-Palais et ira jusqu’où pourront le mener ses jambes. Il fait des petites étapes entre 10 et 15km car son truc c’est le vélo et il n’est pas du tout habitué à marcher. Sinon, pour la bicyclette ce n’est pas un débutant : il a déjà fait la Hollande/Saint-Jacques en vélo !
Je viens de faire quelques emplettes, un bout de pain et des gâteaux dans un « supermercado » dont la surface est à peu près celle de ma salle de séjour.
Malgré le beau ciel bleu et le soleil il fait toujours frais avec ce vent qui est réapparu et qui continue à souffler régulièrement Ce matin quand j’ai fait la pause c’est sans doute la première fois que j’ai recherché une place au soleil.
Hier soir le Danois, il s’appelle Erling, m’a demandé, comme il est d’usage, mes motivations à entreprendre ce voyage. Encore une fois j’ai répondu que c’était une aventure, un défi personnel, rien de religieux. Il s’en est étonné. Lui a un programme quotidien de lecture de psaumes avec méditations. Comme je sentais sa déception, je lui ai déclaré que le Chemin nous apprenait l’humilité. En fait d’humilité c’est plutôt une adaptation à la réalité, il s’agit de se rendre compte qu’il faut ajuster son effort à ses possibilités. C’est une technique bien connue d’apprentissage : échec, correction, succès et ainsi sans fin. D’accord, je suis encore loin d’un éblouissement métaphysique.
Erling et moi allons nous croiser souvent sur le Chemin, toujours avec beaucoup de plaisir de part et d’autre malgré des convictions très différentes. Nous nous retrouverons par hasard le dernier jour à Fisterra, et en fait c’est seulement ce jour-là que nous penserons à échanger nos prénoms !
Il faut reconnaître que le Chemin est bien conçu. Quand on emprunte la grand route c’est au maximum sur 50 m puis on reprend un chemin qui peut être parallèle à la route mais assez loin d’elle. Par rapport à la France pour le moment c’est mieux. Pour le reste j’ai eu des échos pas toujours encourageants mais je vais me faire une idée par moi-même.
Je suis en train de traverser le village de Linzoain où il y a beaucoup de vieilles maisons ; une arbore la date 1736 sur son fronton
Dans un sous-bois avec du buis, des noisetiers et des chênes, après une montée assez raide, je trouve un petit monument à la mémoire d’un pèlerin japonais décédé là à l’âge de 62 ans. On est en pleine forêt donc il n’a pas été écrasé par un véhicule ; peut-être une crise cardiaque.
Midi et quart, petite pause casse-croûte dans un champ à quelques mètres du chemin au milieu des pins.
13h10 je reprends la route. En fait, pour être sûr d’être tranquille, je m’étais introduit dans ce champ par une brèche dans la haie. Peu de temps après des marcheurs se sont installés à leur tour, juste devant ma porte de sortie. Honnêtement ma tranquillité a été respectée, ils n’ont pas été gênants, c’est plutôt moi qui me sentais gêné d’avoir la sensation de les espionner. Ils sont repartis sans même savoir que j’étais là.
13h20 le col d’Erro. J’ai remis le coupe-vent parce qu’il ne fait vraiment pas chaud malgré le soleil. J’ai vu des cyclistes portant un passe-montagne !
Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est une fatigue diffuse due à l’ascension d’hier, mais j’ai comme un espèce de blues comme si j’étais entre deux histoires, une qui s’achève, la française, et une qui n’est pas vraiment commencée, l’espagnole. Bon, pas d’affolement, c’est sans doute normal et bien répertorié dans le processus mental du marcheur au long cours. C’est mon 31e jour sur le Chemin. Demain ce sera la date anniversaire de mon départ, et les anniversaires, c’est connu, ça ne nous rajeunit pas et parfois ça vous met le cafard.
Tout le long du chemin des portillons qu’il faut ouvrir puis refermer pour empêcher les bêtes de s’échapper. En général, de façon très logique, ils vont par deux, un à l’entrée, un à la sortie. Quelques fois c’est un système avec un ressort, une espèce de groom, et le portillon se referme tout seul. D’autres fois il faut enlever un cerclage en gros fil de fer qui joint deux poteaux, écarter un des poteaux, passer, rejoindre les poteaux l’un contre l’autre, remettre le fil de fer ; cette dernière opération nécessite parfois d’avoir des biceps ce qui n’est pas toujours le point fort des coureurs de fond.
Je viens de croiser le Brésilien qui faisait une petite pause, il était coiffé d’une casquette saharienne et j’ai hésité avant de le reconnaître. Cela me fait penser qu’hier soir le Danois m’a dit m’avoir croisé à plusieurs reprises pendant l’ascension. Moi, je ne l’avais pas du tout repéré. Ce n’est pas un problème de vision ou d’égocentrisme maladif mais, une fois dépouillé du chapeau, du sac et des vêtements de marche il est parfois difficile de faire le lien entre le marcheur du matin et celui du soir.
14h10 Zubiri. En fait le chemin direct n’entre pas dans Zubiri mais j’ai fait une petite incursion pour franchir le pont médiéval sur le Rio Arga, le «pont de la Rabia», le «pont de la rage». Il paraît que le franchir trois fois guérit de la rage : au cas où !
15h30 Larrasoaña. Je dois reconnaître que la route m’a parue longue, dans tous les cas plus que celle d’hier qui était objectivement beaucoup plus difficile. Cela tient peut être au fait que le chemin est pratiquement tout le temps entre deux haies ou en sous-bois, sans vue dégagée (je n’ai d’ailleurs pratiquement pas pris de photos de paysage) et du coup ça paraît interminable par la monotonie.
Pour le refuge, ce fut chaud, quand je suis arrivé il ne restait plus que 3 places ! Là encore il n’y a pas de couverture. Je rencontre quelqu’un qui justement n’a pas de duvet, il va dans un autre gîte, une « pension » qui fournit des couvertures. Ici le prix défie encore toute concurrence : 6 euros. J’y retrouve Erling et d’autres que je ne connais pas mais que j’ai vus à Roncevaux.
Les sanitaires sont assez sommaires. Les douches ferment avec un simple rideau et on est obligé de suspendre ses vêtements à l’extérieur pour avoir une chance de les retrouver secs. Ce n’est pas très commode surtout pour les dames. Alors que je fais la queue, il n’y a que deux cabines, un autre pèlerin se joint à moi et lance une discussion dans un anglais que je comprends parfaitement, ce qui n’est pas courant, je continue sur le même ton quand, au bout d’un moment, un de nous deux, je ne sais plus lequel, lâche un mot de français : en fait il est Belge francophone. Cette aventure se reproduira souvent.
Côté accueil du pèlerin, le village est très bien organisé, ils ont quand même plusieurs siècles d’entraînement, et il y a un restaurant qui fait un repas pèlerin pour 11 euros. Il faut payer d’avance et à 19h sonnantes on mange. On doit être une trentaine répartis en deux grandes tables rectangulaires. En face de moi Erling et un Américain du Tennessee parlant parfaitement le français. A notre table il y a un Français du genre « grande gueule, je sais tout ». Il est parti sur le vin de Bordeaux et ça a duré tout le repas. Il nous a raconté qu’il avait fait le marathon du Médoc sans entraînement parce qu’un ami lui avait dit que ce serait marrant. Il a mis plus de 7h et a bu du vin chaque fois que c’était possible. Bon d’accord, faire 42 km sans préparation c’est une performance mais pour moi, faits dans ces conditions ce n’est pas un marathon. Un marathon c’est s’entraîner presque quotidiennement, c’est un objectif sur la durée, c’est quasiment un mode de vie. Mais c’est juste un avis personnel, je sacralise peut-être un peu trop les choses qui me tiennent à cœur et comme disait Fabrice, mon fils, il faut que j’apprenne la bienveillance.
Au restaurant il n’y a pratiquement que des têtes grisonnantes, les jeunes, toutes nationalités confondues mais avec une forte proportion d’Espagnols, sont restés au refuge autour d’un repas qu’ils se sont préparé ; sans doute des différences de budget.
Demain, compte-tenu de ma petite forme d’aujourd’hui, je vise Pampelune à environ 20km ; si je me sens en forme je pousserai jusqu’à Uterga ce qui fera 30km. L’impossibilité de réserver permet l’improvisation.
Douleur
Parcourir le Chemin est un moyen de se retrouver, de croiser des gens qui ne vous connaissent pas et qui n’ont donc aucun a priori sur vous, des gens avec les quels vous pourrez partager : « Parler de ses peines c’est déjà se consoler » (Albert Camus). Gardez l’espoir, la vie est pleine de surprises, de rebondissements.
miracle
Pensez-vous Monsieur que je deviendrai un humain digne de ce nom et avec les protection divines si je fais le chemin de compostelle . Tout m’accable dans ma vie je vais me retrouver dans l’abîme profond des ténèbres si je poursuie cette vie qui me traverse dans la douleur
Transformations
Déjà que j’ai les chevilles qui enflent, j’espère que je n’attrape pas la grosse tête.
Re: Larrasoaña
On constate que plus le temps passe plus les jambes du pélerin allongent :o) Voir photo !