Dimanche 5 octobre,
41e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 511 kilomètres
Environ 9h30. Voilà à peu près une heure et demie que j’ai quitté le gîte de Burgos. Il fait très beau mais froid, j’ai toutes mes pelures sur le dos et je marche les mains dans les poches, à vrai dire j’ai les doigts complètement gelés. La ville avant Burgos, là où il est possible de prendre un bus pour éviter la banlieue, s’appelle Villafria, Ville froide, cela donne une idée du climat en hiver dans la région. D’ailleurs depuis plusieurs jours les maisons ont des doubles fenêtres, des vraies, pas des doubles vitrages, une à l’intérieur, l’autre à l’extérieur, de part et d’autre de l’appui de fenêtre.
La nuit fut un peu pénible, feux d’artifice et bruits de fête dans la rue se succédant jusqu’à une heure très matinale sans doute en raison des mariages aperçus en fin d’après-midi à la cathédrale ; de plus, je ne sais pas si c’est dû au temps qui fraîchit, il y a de plus en plus de tousseurs. Par contre je n’ai pas eu froid : peut être y avait-il du chauffage.
Ce matin je suis parti à la recherche d’un bistrot pour prendre mon petit déjeuner et j’en ai trouvé un où étaient déjà installés plusieurs marcheurs dont des Français qui feuilletaient un guide identique à celui oublié à Estella. J’en ai profité pour faire une photo de la page récapitulative des étapes proposées. En fait chaque guide découpe le Chemin selon ses critères. Trois types de guides principaux se partagent « le marché », un français, celui que j’ai égaré, un allemand, celui désormais en ma possession (mais en version française) et un espagnol qui se résume à une page donnant pour chaque étape le profil du parcours et sa distance, de loin le plus léger et le moins encombrant ! Il y a ainsi des auberges avec une majorité de pèlerins français, germaniques (Allemands, Suédois, Danois…) ou espagnols, en fonction du guide dont ils disposent. Faire une infidélité à son guide en choisissant une autre ville étape que celle qu’il propose c’est souvent changer totalement de contexte, de langue et rencontrer de nouvelles nationalités.
Je me dirige vers Hornillos del Camino, justement une étape proposée par l’ancien guide, à une vingtaine de kilomètres ; ce n’est pas loin mais j’ai comme une espèce de blues, une envie de flâner. En France, j’avais un côté compétition, je voulais bien sûr « gagner des jours » pour écourter la solitude d’Hélène mais surtout pour la recherche d’un certain exploit personnel. Maintenant ce dernier point ne m’intéresse plus, on peut me doubler il n’y a plus ce picotement qui m’incitait à accélérer.
Aujourd’hui c’est le redoutable Domingo où tout est fermé ; j’espère que je vais trouver quelque chose à manger en route car hier j’ai tout bonnement oublié ce détail.
A Tardajos tout le monde s’affaire pour monter des stands, ça sent la fête, c’est dimanche. Quelques flèches jaunes ont dû être masquées par ces préparatifs et je dois demander mon chemin : il suffit d’énoncer «Camino» pour que tous les doigts se tendent dans la même direction. Sinon il y a souvent un point de repère, le Chemin faisant toujours un détour par l’église, il suffit de repérer le clocher et de s’y rendre pour retrouver les flèches ; évidemment ça ne marche que s’il n’y en a qu’une !
Un groupe de « pèlerins journaliers » reconnaissables à leur petit sac est déposé à la sortie de la ville. Ils vont s’égrainer le long du chemin et je retrouverai le bus à Hornillos del Camino où il les récupérera.
En route traversée de Rabè de las Calzadas.
Hornillos del Camino est un petit village tout en longueur (comme tous ceux construits le long du « Camino » comme l’indique son nom) perdu au milieu d’une immensité dans les tons jaunes qui fait penser au désert mais il n’en est rien : ce sont des champs de blé fraîchement moissonnés.
Un peu avant l’entrée du village j’aperçois un pèlerin adossé à une énorme meule de paille qui fume une cigarette (l’association paille-cigarette n’est pas vraiment géniale !) et qui déguste du vin dans un verre à pied : chacun choisit son chargement en fonction de ses priorités, de son art de vivre.
Dans le village je retrouve le mini bus des « gentils français ». On échange des salutations. Petit à petit des liens se sont tissés même avec ces marcheurs un peu particuliers.
Au centre du village une place avec une fontaine et des chaises, bordée par une église, une « albergo» et un bistrot-restaurant : tout ce qui est nécessaire au pèlerin. Il fait très beau mais il y a un peu de vent, tout le monde garde sa polaire.
Je m’installe sur la place avec un sandwich et une bière sans alcool. Je fais durer l’un et l’autre et j’observe le pèlerin qui passe. Les marcheurs défilent, tous s’arrêtent un moment pour profiter de l’endroit, se restaurer ou se reposer. Quelques uns repartent, beaucoup restent avec l’intention de faire étape.
L’Américain avec qui j’avais sympathisé à Larrasoaña a prévu de dormir plus loin, il développe une allergie aux dortoirs. Il me dit « j’ai des ampoules, c’est parce que je n’ai pas la foi, le Chemin me le fait remarquer ». Bon, je n’ai pas la foi non plus mais pour le moment je n’ai pas eu une seule ampoule, j’ai eu d’autres soucis : dois-je les interpréter comme un message ?
Un groupe de français a réservé une chambre d’hôtes dont le propriétaire leur a fixé rendez-vous ici, sur la place. Ils téléphonent régulièrement et la réponse est immanquablement «J’arrive tout de suite». A chaque fois qu’une voiture s’arrête ils préparent leurs affaires mais il leur faudra attendre trois bonnes heures avant que ce soit la bonne.
Arrivent bientôt le couple belge, les « professionnels », et Hubert, « le mec sérieux » (je ne crois pas l’avoir vu rire une seule fois). Il a un début de tendinite et il a dû lever le pied. Du coup il a laissé filer son compagnon habituel, Daniel (je les avais vus tous les deux à Puente la Reina), et il se sent un peu perdu.
A force de traînasser le gîte est complet et je n’ai pas de lit. L’inquiétude n’est pas longue : il y a une annexe. Elle est à moins de 50 m mais il n’y a pas de douche, il faudra venir au gîte principal. Je devrais arriver à survivre. Je me retrouve avec un cycliste français très empoté qui ne parle ni l’espagnol ni l’anglais. L’hospitalière est très patiente… et moi aussi : je traduis à mon compatriote les consignes qu’elle nous donne, notamment cette histoire de douche, mais il faut tout lui expliquer plusieurs fois avant qu’il ne comprenne : sans doute la fatigue. Suzanna, une Américaine de Géorgie de 65 ans qui parle français avec un accent pas piqué des vers, pleine d’humour et de bonne humeur, partagera l’annexe avec nous.
Le soir « menu pèlerin » au restaurant sur la place en face du gîte. Pour une fois c’est bien, pas très original, un peu les mêmes plats que d’habitude mais préparés avec goût, ce qui sort de l’ordinaire. Me voyant seul, Hubert et les Belges m’invitent à partager leur table. Je leur apprends que je les trouve très professionnels. Ils sont très surpris, ils ne se perçoivent pas comme ça, ils ont surtout hâte que ça se termine, ils en ont un peu leur claque, le grand enthousiasme du départ est retombé et ça devient quelques fois pénible, répétitif, même les gens rencontrés, il faut faire des étapes plus courtes ou plus longues pour changer un peu de compagnie. J’ai peur de ne pas avoir été un bon dérivatif : je suis encore avec mon vague à l’âme et j’ai un peu de mal à entretenir la conversation. J’apprends qu’Hubert est un militaire à la retraite : peut-être l’origine de son côté imperturbable.
Pour « Lemoine »
Bonjour,
J’ai des Lemoine dans ma famille et je suis originaire de Valenciennes. Peut-être sommes nous parents … à la mode de Bretagne ;o)
Re: Hornillos del Camino
A Mr ALGLAVE :
Etes -vous du département de l’Aisne ?