De Castrojeriz à Carrion de los Condes – Chemin de Compostelle

Mardi 7 octobre,
43e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 469 kilomètres

Carrion de los Condes
De Castrojeriz à Carrion de los Condes
 
Balises sur le Camino

J’attaque ma 7ème semaine. Je suis parti à 7h30 de Castrojeriz. Je marche avec la lampe frontale. Heureusement le chemin est très large, sans difficulté. Il paraît qu’il va pleuvoir, les gens du coin, compte-tenu des nuages, du vent et de je ne sais trop quoi, nous ont annoncé de la pluie. Pour le moment le ciel est clair, le soleil est en train de se lever, il fait doux. Il paraît qu’hier à Burgos il faisait -2°, c’est vrai qu’il ne faisait pas chaud.

Le matin ce sont généralement les asiatiques qui se lèvent les premiers, souvent une bonne demi-heure avant les autres : pour déjeuner selon leurs habitudes ils doivent prendre le temps de cuire du riz. Aujourd’hui il y avait la possibilité de prendre un petit déjeuner « normal », pas seulement un expresso  sorti de la machine à café, moyennant une donation. Bien sûr, s’il y a une cuisine, ce qui est généralement le cas, il est toujours possible de se préparer son petit déjeuner, mais cela impliquerait d’avoir apporté ou de s’être procuré la veille les ingrédients nécessaires : thé, café, pain, confiture, etc … Ce matin tout était disponible sur place ce qui simplifie la vie du voyageur… et allège son sac.

En ce moment je suis un peu comme les Belges, le seul but c’est d’avancer, d’arriver au bout. Il y a  beaucoup de belles choses mais je prends beaucoup moins de photos, l’enthousiasme n’y est  plus, peut-être que c’est juste un moment comme ça, que ça va revenir. Mais il est  vrai que c’est assez répétitif, le matin dès qu’il y en a un qui se lève tout le monde est réveillé, puis tout le monde se prépare à son rythme et tout le processus s’enclenche : toilette, petit-déjeuner, bouclage du sac, départ.

Chapelle San Nicolas

Avec le temps cela devient presqu’un job. Il faut trouver des motivations, la foi (pour ceux qui  l’ont), la recherche de l’exploit, la beauté des paysages aident, mais, enfin bref, il y a des moments où il y en marre. Ce n’est pas une question d’effort physique car je me sens au top, tout me paraît possible, je ne suis pas du tout fatigué même après des étapes de plus de 40km, ce n’est pas le côté solitude car en fait je rencontre plein de monde, c’est le côté répétitif, un côté non pas déjà vu mais déjà fait. La majorité des gens a commencé au mieux à Saint-Jean-Pied-de-Port, ceux-là sont très enthousiastes après seulement deux semaines dans les pattes mais tous ceux qui viennent de plus loin, comme les Belges, ou simplement du Puy comme moi, éprouvent une certaine lassitude.

Les livres des récits de mes marches vers Compostelle
Pont sur le Rio Pisuerga
Chemin de halage le long du Canal de Castille

Pour revenir sur le côté relationnel il y a des couples qui marchent ensemble ; certains dégagent une belle harmonie comme par exemple les Bavarois rencontrés à partir d’Aubrac, d’autres se chamaillent un peu, mais c’est sans doute une des meilleures solutions. Sinon les gens se créent une espèce de « famille » et  fonctionnent quasiment d’un bout à l’autre dans ce même groupe, se retrouvant non pas nécessairement pour marcher mais pour manger, pour raconter leur étape…Moi j’ai un peu de mal, je n’ai pas du tout l’esprit de groupe mais j’avoue que je suis bien content de m’intégrer, ou d’être invité à m’intégrer, de temps en temps. Il y a aussi la possibilité de rencontrer un compagnon de route avec lequel on s’accorde, mais « à chacun son Chemin » et pour une raison ou pour une autre il faut se séparer un jour. Il faut alors se réhabituer à marcher seul. J’ai vu  « le mec sérieux » un peu désorienté d’avoir dû laisser partir son copain pour cause de tendinite. Même avec Henri, il avait fallu que je me réadapte après notre séparation.

Ecluse de Fromista

Pendant que je confie mes états d’âme à mon dictaphone, quelques gouttes commencent à tomber. J’arrive en haut d’un col qui domine Casteljeriz, c’est magnifique avec le lever de soleil sur le plateau désertique et la vallée au loin.

Ce coup-ci  il pleut vraiment, il faut se décider à mettre la cape.Ca y est je l’ai mise, c’est une petite pluie fine qui risque de tout transpercer. Sur le plateau c’est splendide, il y a un grand arc en ciel, plein ciel, j’ai l’impression de me diriger droit dessous pour passer sous son arche. Je domine l’autre vallée, plate, très jaune, c’est très beau. J’essaye de prendre des photos mais je ne sais pas du tout ce que ça va donner .Mon moral, malgré la pluie, remonte en flèche.

Je suis bien à l’abri sous ma cape et ce temps me donne des ailes. Il n’y a rien d’autre à faire que de marcher. Autant en profiter. Vers 13h me voilà à Fromista, 26km d’avalés en 5h30, pauses comprises ! La pluie me réussit. Je suis encore bien au sec sous ma cape à part les pieds qui sont trempés. En route le chemin était facile : une fois passée la montée du départ, au plateau il descend ou est plat.

En route je ne me suis pas attardé à visiter. Un coup d’œil en passant sur la chapelle San Nicolas près d’Itero de la Vega, puis, après Boadilla del Camino, on emprunte l’ancien chemin de halage du canal de Castille pour arriver à la fameuse écluse de Fromista. Le temps brumeux  est égayé par les capes multicolores des marcheurs.

A Fromista l’église San Martin et la place qui l’entoure sont en restauration. Je cherche l’auberge située près de l’église : elle n’ouvre qu’à 15h. Pas question d’attendre sur la place : il pleut à verse, j’entre dans un bistrot ou j’achète un bocadillo. Je retrouve plusieurs pèlerins qui attendent l’ouverture du gîte. Je mange au sec.

Eglise San Martin

14h il pleut toujours. Que vais-je faire ici avec cette pluie ? Autant marcher, je décide de continuer. J’attends une vague éclaircie, rien. Tant pis je me jette sous l’eau. Pour en finir c’était plus impressionnant depuis la fenêtre du café : la cape remplit bien son rôle, je suis à l’abri. Direction Carrion de los Condes à environ 20km.

Peu après Fromista, à Poblacion de Campos, et jusqu’à Carrion de los Condes le chemin suit la grand route sur une piste fée par des bornes estampillées de la coquille. Rien d’exaltant mais sans doute que les endorphines commencent à agir, je me sens bien malgré ce temps pourri, la proximité de la route et cette piste sans fin pleine de flaques d’eau. La circulation est quasiment nulle mais les rares voitures ou camions qui me doublent ou me croisent ouvrent leur vitre pour me crier « Anima » (courage) : ça me dope. Quelques cyclistes pèlerins font de même, pourtant ça ne doit pas être facile pour eux non plus, je leur retourne l’encouragement mais ils sont déjà loin. La vie est belle.

Environ 17h j’arrive à Carriòn de los Condes, environ 45km sous la pluie, je ne suis pas mécontent de moi. J’entre dans le premier refuge sur ma route, l’auberge du Convento de Santa Clara. Il ne reste qu’une place ! Sinon il faut prendre une chambre particulière. Je suis un moment tenté mais j’ai déjà fait toute cette route seul, un peu de chaleur humaine même ronflante me fera du bien.

Bornes sur le Camino

Je n’ai peut-être pas fait le bon choix. Les lits sont tassés dans le dortoir on a du mal à circuler, en tant que dernier je me retrouve en haut d’un lit superposé, je n’aime pas trop, et près de la porte qui donne directement sur la cour où tombent la pluie et le froid du soir. Tout le monde veut faire sécher ses vêtements, la moindre aspérité, poignée de fenêtre, bouton de radiateurs (froids mais un espoir circule : ils seraient allumés cette nuit) … est recouverte d’un entassement de chaussettes, de chemises ou de slips : peu d’espoir de séchage. Il est possible d’étendre son linge dans la cour mais sous la pluie il s’agit plutôt de s’en débarrasser temporairement, c’est le cas pour les capes dégoulinantes incasables dans la chambre. Une panique me prend : si la pluie dure plusieurs jours dans ces conditions cela va tourner au cauchemar.

Dans le dortoir je retrouve comme d’habitude un tas de connaissances qui ont dû moins flâner que moi ces derniers jours et notamment les « gentils Français ». Ils se sont regroupés dans un coin et ils rédigent ensemble à haute voix un carnet de route ou le texte d’un blog car ils choisissent aussi les photos à y insérer.

Les sanitaires aussi sont dans la cour : pourvu que cette nuit je n’aie pas à me lever.

Auberge du "Convento Santa Clara"

Le soir je pars à la recherche du sempiternel «menu pèlerin». Il pleut toujours. Mes chaussures sont détrempées et plutôt que de mouiller une nouvelle paire de chaussettes je remets celles de la journée. Une fois réchauffées par la marche ça va.

Au restaurant je retrouve Anika et Jonathan, les Suédois, et un couple de pèlerins croisés à Limogne puis à d’autres étapes. Ils se souviennent bien de moi et me demandent immédiatement des nouvelles de ma cheville.

Au téléphone Hélène me décrit le crash financier qui envahit le monde : ici aucun des pèlerins n’en parle, nous sommes vraiment dans un tunnel, dans une bulle et je ne me sens pas affecté : comme toutes les bulles, quand la mienne éclatera cela risque d’être douloureux.

Une bonne journée tous comptes faits malgré la pluie ou peut-être à cause de la pluie qui a rompu la monotonie ! Mais je me connais, demain je vais raccourcir l’étape, il ne faut pas surchauffer la machine.

1127 kilomètres parcourus depuis le Puy-en-Velay

 

6 réflexions au sujet de “De Castrojeriz à Carrion de los Condes – Chemin de Compostelle”

  1. Coup de blues
    Sans doute toutes ces causes à la fois ; le temps au départ s’y est mis aussi pour en rajouter une couche. Mais rassure toi Jean-Claude la machine finit toujours par repartir !

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  2. coup de blues?
    C’est comme le 30e km d’un marathon : fatigue et lassitude apparaissent. Là c’est à la 7e semaine, et sans y faire attention…
    La monotonie de la Meseta en serait-t-elle responsable?

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  3. Motivations
    Bonjour Robert,
    Je suis content que mon récit te motive. Je ne suis pas un dur, si je voulais faire « lyrique » je dirais que c’st le Chemin qui me porte, mais en fait c’est juste le plaisir de marcher, le plaisir que procure la marche qui me sert de moteur.

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  4. sacré Pierre
    c’est toujours un grand plaisir; et on se régale de lire ton récit ; et la façon dont tu le racontes.
    tu es un dur.
    le maximun que j’ai pu faire 36 37 km…….
    allez a bientôt
    tu me motives

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  5. Ecluses du canal de Castille
    Merci pour le lien, je l’ai ajouté dans le texte de l’article. En France il y avait d’autres canaux, par exemple à Moissac où j’ai suivi le chemin de halage en direction d’Auvillar. Mais en Espagne je n’ai pas d’autre souvenir.

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