Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Riego del Camino, dimanche 19 septembre.
7h45, ce soir je devrais être à Tabara où il y a un centre de soins. Réveillé depuis 5h30 j’aurais pu démarrer plus tôt, partir sans manger, mais hier je me suis engagé avec la dame de chez Pépé. Quand après le repas elle nous a demandé si nous prendrions le petit-déjeuner à 7h30 j’ai compris qu’elle se lèverait exprès pour nous et je n’ai pas osé lui imposer de nous servir plus tôt ; mon grand cœur me perdra.
Cette nuit j’ai mal dormi. Il y avait des petits bruits bizarres, rien de vraiment inquiétant mais j’ai fini par me demander si une souris n’était pas en train de piller mon sac à dos. J’allume : c’était une chauve-souris qui s’est immédiatement planquée dans les poutres du plafond. Puis, juste après, à 2h38 exactement, le téléphone a sonné, pour une fois que j’étais seul je l’avais laissé allumé. C’était Hélène qui, sans doute elle aussi dans une insomnie, m’envoyait un pense-bête : ne pas oublier qu’aujourd’hui c’est l’anniversaire de notre petit-fils. L’intention était louable …
Sinon tout va bien à part toujours quelques courbatures dans le haut du dos, mais ça finira bien par passer.
Chez Pépé ils m’ont donné le descriptif en français d’un raccourci qui permet à ceux qui vont vers Ourense d’éviter le prochain village, Granja. Cela aurait peut-être été intéressant de le visiter et émouvant de voir la bifurcation vers Astorga, mais je ne suis pas contre le fait de gagner 3 ou 4 km, il en restera une trentaine, je ne risque pas d’être en manque ! La patronne m’a également écrit sur un petit papier l’adresse d’un bar à Tabara où je peux me recommander d’elle : le « parisien » est chouchouté.
Les Autrichiens eux se levaient quand je partais. Il fait jour, mais il fait froid, ça pince les doigts et heureusement j’ai mon coupe-vent. Tout le monde nous annonce un jour sans pluie. Je n’ai pratiquement rien à manger à part un petit bout de pain sec et mon increvable bout de chorizo à peine comestible, plein de morceaux immachables, mais je peux tenir jusqu’au prochain bled à une vingtaine de kilomètres.
8h25, sur le chemin sablonneux je viens de croiser un gars venant en sens inverse qui poussait un petit scooter. Il semblait épuisé. Il m’a demandé si Riego était loin. « Environ une demi-heure » lui ai-je dit pour ne pas le décourager, mais avec son engin ça va sûrement lui prendre plus de temps même s’il peut profiter des descentes. Cela faisait déjà deux heures qu’il poussait sa bécane ! C’est sûr que lui n’a pas froid !
Il fait de plus en plus jour et je suis impatient que le soleil vienne me réchauffer les doigts. Désormais le soir il fait froid, je mets ma polaire, j’ai rajouté les jambes à mon pantalon et je porte des chaussettes dans mes nu-pieds. A ce propos, détail très, très important, ce matin j’ai changé de chaussettes. J’entends par là que jusqu’à présent je tournais sur une seule paire que je lavais le soir et qui séchait pendant la nuit, mais hier soir je me suis aperçu qu’une magnifique patate ornait un des talons et j’ai donc mis en route une autre paire.
9h20, il fait très beau, très bleu, et la température est redevenue agréable, raisonnablement chaude, hier on nous annonçait 26 degrés pour la journée. Je rejoins le chemin normal après avoir emprunté le contournement du village. C’est dimanche, le silence est incroyable.
Je retrouve le plaisir de marcher. Le paysage diffère un peu de celui des jours précédents, plus accidenté, plus montagneux, au loin des éoliennes. Le titillement dans le talon droit ne me lâche pas, pas dessous, mais à l’arrière, juste à la base du pied, comme une piqûre d’épingle ou une petite épine. Heureusement ce n’est pas permanent et de toute façon pour le moment je le traite par le mépris. Dans la campagne espagnole, et notamment dans cette région, on entend souvent comme des coup de feu, je me demande si ce sont des chasseurs ou un système pour effrayer les oiseaux qui saccagent les cultures.
10h30, alors que je suis en train de prendre des photos sur les très belles rives du rio Esla, un couple de cyclistes s’arrête et me demande de les photographier avec leur appareil. Puis l’homme, pour me faire plaisir, me propose de m’immortaliser à mon tour au côté de sa compagne. Une belle rencontre pour une belle journée.
12h30 un paysan qui travaillait en plein soleil dans son petit champ de vigne m’a conseillé de prendre mon temps. Il a raison, l’heure serait plutôt à la sieste, mais pas un seul carré d’ombre alors que faire d’autre à part marcher. Je ne sais pas si j’ai l’air « speed » car en fait je ne marche pas si vite, environ 4km/h, et dès que je me rends compte que j’accélère je m’impose de ralentir, de prendre un pas tranquille. Plus que 10 km jusqu’à Tabara que je vois au loin après la prochaine ville, pas la peine de s’emballer.
13h20 j’entre dans Faramontos de Tabara au bout d’une interminable ligne droite. Je suis en pleine forme après cette longue traversée, mais une restauration serait la bienvenue, j’espère y trouver à boire.
14h10 je quitte le village où il y avait un bar ! J’y ai pris un sandwich au chorizo, une sorte d’addiction, avec de la tomate et deux petites bières sans alcool, 25 cl, qui m’ont paru minuscules. Deux jeunes Espagnols, des pèlerins que j’avais croisés hier soir sur la nationale, m’y ont rejoint. Ils ne m’ont pas adressé la parole. Puis c’est le gars qui avait fait une pause technique éclair à l’auberge qui est apparu, nous avons échangé un petit signe. Il reste 7 km qui devraient se faire assez facilement. Le terrain est sans problème, très plat avec un petit côté Landes où les chênes-lièges auraient remplacé les pins.
15h55 j’ai suivi le conseil du vigneron, j’ai pris le temps de faire une sieste. Ce n’est pas la chaleur de l’Andalousie mais il fait quand même assez chaud.
16h45 je suis dans l’auberge de Tabara qui est assez excentrée, environ 20 mn après l’entrée en ville. Elle est grande, mais presque pleine, avec beaucoup de cyclistes. Heureusement j’ai un lit du bas.
Au gîte pas d’hospitalero pour me renseigner, je suis donc retourné au centre ville où j’avais vu en arrivant un panneau indiquant la direction du centre de soins. Aller-retour environ une heure, pour m’apercevoir une fois revenu que c’était le bâtiment juste derrière l’auberge ! Il y a des moments où on se sent con ! Sinon, mauvaise nouvelle, j’ai une petite infection qu’il va falloir combattre à coup d’antibiotiques à raison d’un cachet toutes les 8 heures.
Le soir en me dirigeant vers le restaurant repéré lui aussi en arrivant, je traverse une place où une fête bat son plein, tout le monde a un verre à la main et un orchestre donne l’ambiance. On se sent bien.
Quatre Français, trois cyclistes et un marcheur, sont déjà attablés et me proposent de me joindre à eux. Les cycliste sont partis de Caceres et font à peu près tous les jours ce que je fais en 2 jours. Le marcheur est parti de Séville le 3 septembre ! Tout compte fait je lambine ! Bon, il a la quarantaine et a fait une étape en bus mais il faut bien reconnaître que j’en ai fait une en voiture. Soirée très agréable, très conviviale. A une autre table il y a un Allemand très sympathique qui voyage en culotte de peau. J’avoue n’avoir jamais essayé. C’est peut-être très confortable, mais est-ce bien adapté aux grosses chaleurs ? Et au niveau poids ? Il y a des symboles identitaires plus difficiles à porter que d’autres.
Pour Jean-Claude, encore
Bonjour Jean-Claude,
Tu m’inquiètes, mes talents de narrateur ne seraient-ils pas à la hauteur pour te transmettre l’aspect magique de ces grands espaces ? ;o)
Re: De Riego del Camino à Tabara : 34 km
Bonjour Pierre,
J’ai vu ce que c’était dans la Meseta en octobre 2005, balayé par le vent… mais bien sur, çà n’avait pas duré un mois!
Pas suffisant pour que j’en sois séduit!
Pour Jean-Claude
Bonjour Jean-Claude,
Évidemment pour un montagnard comme toi cela peut paraître insipide, mais j’ai toujours eu un attrait pour les grands horizons et même les grandes lignes droites souvent décrites comme déprimantes.
Essayes, un mois qu’est-ce que c’est pour le marcheur que tu es. C’est le meilleur moyen pour, je n’en doute pas, te laisser séduire.
Re: De Riego del Camino à Tabara : 34 km
Bonjour Pierre,
Merci pour ces nouvelles journées « mises en ligne »
mais le chemin a l’air vraiment plat depuis plusieurs jours!
Je me demandais si çà ne devient pas trop lassant?