Lundi 12 octobre,
55e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 85 kilomètres
8h15, je quitte l’auberge des pèlerins de Villalba. Il fait presque jour et comme je vais traverser la ville j’aurais pu partir un peu plus tôt. Le ciel est dégagé mais très noir dans le lointain ; d’après un journal feuilleté hier soir il devrait faire beau, donc gardons confiance.
La cuisine était ultra moderne mais sans un seul ustensile. Ne faisant pas partie des petits malins qui pensent à apporter leur casserole ou leur thermo-plongeur, il n’y en avait d’ailleurs aucun ce matin, je me suis contenté d’un verre d’eau et de quelques madeleines, passant ainsi pour un ascète auprès des pèlerins de culture germanique qui, eux, font un vrai repas avant de démarrer, souvent même plus conséquent que celui que j’absorbe aux pauses de midi.
Cette nuit les dortoirs étaient séparés, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Pierre a refusé de s’éloigner d’Agnès qui, d’après lui, allait se sentir perdue et même sans doute avoir peur, difficile de renoncer à des pratiques forgées par une cinquantaine d’années de vie commune. La lumière était sensée s’éteindre automatiquement à 22h mais à 22h30 elle brillait toujours. Même avec le cache-lumière sur les yeux la perspective de passer la nuit sous ces projecteurs n’était pas très plaisante d’autant plus qu’en ce moment je lis « De sang-froid » de Truman Capote et que j’en suis au moment où le héros, si j’ose dire, est dans le couloir de la mort… Je me suis levé pour chercher l’interrupteur et à ce moment je me suis retrouvé dans le noir : une dame, plus rapide, avait carrément coupé le disjoncteur principal.
A la sortie de Villalba j’interprète mal les indications de mon guide en espagnol et, fidèle à mon habitude, je m’égare. Un vieux monsieur sur le pas de sa porte me remet dans le droit chemin et, avant de me laisser repartir, me demande si j’ai faim et me propose d’entrer chez-lui pour manger quelque chose. Peut-être aurais-je dû accepter, pour la conversation ? Mais il est déjà 9h passées, il faut y aller, en avant pour Miraz.
Le chemin traverse des petits hameaux de trois, quatre maisons, certains abandonnés d’autres encore habités mais tous misérables. La vie ne doit pas être facile par ici. Ce qui surprend le plus c’est la saleté, des papiers, des plastiques, des ferrailles jonchent le sol tout autour et sur le pas même des maisons ; ils n’ont peut-être plus le courage de les ramasser ou alors ils s’en foutent, propre, coquet sont des concepts de nanti, mais cela donne un aspect encore plus désolant, sinistre malgré les colchiques qui émergent ici et là. C’est donc bien la fin de l’été.
J’arrive à Baamonde vers 13h20, dans les temps pour pouvoir m’approvisionner, mais tout est fermé pour cause de fête nationale. J’apprendrai plus tard que c’est également la commémoration de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb ou plus exactement par un de ses marins, Rodrigo de Triana Me voilà rattrapé de force par le calendrier. Difficile de vivre hors du temps. Ça tombe mal, je n’ai strictement plus rien à manger dans mon sac. Heureusement il y a un bar qui vend des sandwichs. C’est l’heure de l’apéritif d’un jour férié, le patron est débordé, il mettra une bonne demi-heure à préparer mes deux bocadillos, un à déguster sur place et un pour ce soir où l’auberge est annoncée comme isolée de tout. Pour me faire patienter il m’invite à piocher à mon gré dans tous les tapas étalés sur le comptoir du bar. L’ambiance est à la fête, l’espagnol résonne fortement mais joyeusement dans la salle où se mêlent familles, amis et piliers de bistrot. Trois jeunes Espagnols, avec bourdon et coquille, attendent également leur pitance ; ils me font un petit signe. Baamonde, à 100 km de Santiago, est la dernière ville sur le Camino Norte d’où on peut partir pour mériter sa Compostella.
En arrivant à Baamonde j’avais vu le couple de Français qui s’en éloignait. Le petit détour du départ m’a bien rajouté 2 à 3 km et je dois désormais être le dernier de ceux partis ce matin de Villalba. C’est un jour sans, j’ai les jambes vides, je rame, mais le moral est bon et Miraz n’est plus qu’à 15 km, en principe il me suffit d’y arriver avant 22h. Le soleil s’est bien installé et le chemin est agréable avec ses côtés tantôt méditerranéens tantôt celtiques.
En route je rattrape Bastian qui fait une pause, ou plutôt qui offre une trêve à ses pieds, puis Kristine. A l’aide d’un grand bâton elle tente de décrocher des pommes des branches qui surplombent la route. C’est la fermière qui lui a proposé, elle lui a même fourni le bâton, ceux pour la marche étant trop courts. Elle n’est pas très efficace et la fermière revient bientôt avec une pleine brassée que nous nous partageons. Puis Kristine repart de son pas rapide.
17h me voilà à l’auberge, je n’en voyais pas le bout. J’y retrouve Margot, Jacques, Kristine et les trois jeunes de ce midi. Bastian arrivera vers 18h et aura la dernière place ! Le gîte n’est pas très grand, une grosse dizaine de places et plus on s’approche de Santiago plus le flot des pèlerins enfle. Le refuge est tenu par une association, la Confraternity of Saint James, Bob un Australien et Alice une Anglaise, les hospitaliers nous y accueillent chaleureusement. A eux deux ils parlent toutes les langues présentes, espagnol, allemand, anglais, français… Une vraie tour de Babel. Tout le monde a été surpris par la fête nationale, mais nos hôtes ont prévu de faire une soupe copieuse et proposent que chacun mette sur la table le peu qu’il a pour le partager.
Dans le café du tout petit village je m’offre une bière et une soucoupe d’olives que je savoure sur l’unique table de ce qui doit être la terrasse. Il y a un peu de vent mais il fait beau. Des hurlements me parviennent de l’intérieur de l’établissement dont la porte est pourtant fermée : un concours de cartes bat son plein et à en juger par l’animation cela ne doit pas être du bridge. Un coup de fil : c’est pour un petit dépannage Internet et domestique ; bon, je n’ai pas encore tout oublié.
Avant le repas Bob nous emmène, histoire de se dérouiller les jambes, découvrir un vieux moulin à eau dans la campagne. A table je me sens un peu ridicule en posant mon sandwich parmi les autres maigres victuailles. Qu’y a-t-il de plus individualiste qu’un sandwich ? Je le récupérerai d’ailleurs à la fin du repas, personne n’ayant sans doute osé en prélever un morceau. En fait nos hôtes ont été très prévoyants et après la soupe, du vin, du jambon, du pain et des fruits apparaissent. Je suis assis à côté de Robert un Allemand de Bonn qui pour son travail a séjourné quelques temps à Haïti où il a appris le créole qui nous permet, avec un peu d’anglais, de dialoguer. Il fait le Chemin en vélo. Nous sympathisons. La soirée est très chaleureuse, comme on aimerait qu’elle soit à chaque étape. Cela me rappelle l’ambiance de l’auberge de Corcubion avant Fisterra, cosmopolite et conviviale.
Demain direction Sobrado dos Monxes, à environ 25 km. Plus loin se serait Arzua, 22km plus loin, trop loin. Rien ne presse, je tiens mon planning et il faut que je récupère.
Pour Fiori
Merci pour les encouragements. Je crois que je vais y arriver ;o)
Re: Miraz
Allez courage Pierre le bout du chemin est là .