Samedi 10 octobre,
52e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 196 kilomètres
Départ vers 8h en compagnie d’Antoine et François. Hier soir Antoine m’avait proposé de les accompagner pour augmenter nos chances d’entrevoir les balises dans l’obscurité et de ne pas nous fourvoyer. C’est vrai que ce n’était pas si évident. A un moment, alors que spontanément j’aurais poursuivi tout droit ils m’ont montré la flèche jaune qui nous emportait sur la droite ; dans le lointain, Bastian, lui, continuait sur la route sans avoir vu l’embranchement. Un peu plus loin, une fois le jour installé, chacun a repris son rythme, je suis parti devant, le genou d’Antoine ayant encore besoin de s’échauffer. Les premiers à quitter le refuge ce matin ont essuyé une courte averse. Le temps reste très couvert mais doux, pour la marche c’est parfait, pour les photos ce n’est pas idéal mais de toute façon le paysage est toujours aussi maussade.
Avec Antoine et François nous évoquions l’intervention surréaliste hier soir des « bodyguards ». Peut-être n’est-ce pas facile tous les jours. Il nous est arrivé à tous trois d’être abordés par un homme qui, ayant plus l’air d’un clochard que d’un pèlerin, même si parfois la différence est subtile, exhibe une vague crédentiale et demande par solidarité de l’argent. Comme dans tout système celui-ci a ses squatteurs et ses profiteurs. Question : en suis-je un à ma façon ?
L’année dernière, à ce stade du Chemin, beaucoup de pèlerins qui arrivaient comme moi du Puy ou quelques fois de plus loin étaient moralement et physiquement épuisés, fuyaient les dortoirs et leurs préféraient des « pensions », n’avaient plus qu’un but, arriver. A l’époque j’avais été épargné et ne comprenais pas vraiment ce qui leur arrivait. Cette année je commence à éprouver la même chose et par moment je préférerais être vraiment seul plutôt que d’être seul au milieu des autres. En plus sans être un inconditionnel de la « bonne bouffe » trois journées sandwich successives ne rehaussent pas le moral des troupes. Mais ce matin, à quoi cela tient-il, je me sens mieux, la forme et le moral sont bons pourtant le temps n’y met pas du sien.
9h30 je viens de dépasser un bar à l’intérieur duquel j’ai aperçu Bastian, en se trompant de chemin c’est parfois plus court. Les bornes indiquent au mètre près la distante qu’il reste à parcourir jusqu’à Saint-Jacques, je viens d’en croiser une précisant 188,386 donc en 6 jours c’est faisable. Jusqu’en Galice les coquilles du Chemin montrent la direction avec leur pointe, les stries de l’éventail symbolisant les différentes voies qui convergent vers le but. Désormais c’est l’inverse, comme si la pointe de la coquille éclairait Santiago par des rayons lumineux. Il semble que chaque région soit libre de choisir son système de balisage. Pourquoi pas ? Cependant il faut bien reconnaître que c’est parfois déroutant et qu’il faut un petit temps d’adaptation ; mais cela réveille les neurones et … donne de nouvelles occasions de s’égarer : à bas la routine !
Bastian vient de me dépasser pendant que je prenais une photo. Il m’a fait un petit sourire mais pas un mot et encore moins un arrêt pour engager la conversation. Cela me semble aberrant. Il est maintenant juste devant moi, j’espère qu’il va me distancer sinon nous allons être ridicules : deux gars, seuls sur le Chemin, qui se suivent pendant des heures à 20 m d’écart !
C’est l’époque où les fermiers « engraissent » leurs champs, je ne sait pas si c’est le terme approprié, c’est à dire qu’ils y déversent des tonnes de fumier et de purin et la campagne embaume de ce parfum subtil.
Je viens d’apercevoir les deux Espagnoles qui étaient parties beaucoup plus tôt ce matin, à chacun son rythme, ce n’est pas une course, c’est d’ailleurs sans doute pour cela qu’elle démarrent de bonne heure.
Midi, je viens de dépasser Villamartin Grande, il y a un très beau paysage et sur la droite j’aperçois la mer dans une échancrure des collines. Jusqu’à présent le chemin est paisible parcourant sentiers forestiers et petites routes désertes ; il y a bien eu quelques belles montées mais avec des pentes raisonnables.
12h30 peu après Gondan où j’ai aperçu le refuge pour pèlerins qui avait l’air grand et accueillant mais vraiment perdu au milieu des vaches, je m’adosse à un pin qui surplombe la route.
13h00 fin de la pause casse-croûte, en route ! De mon perchoir j’ai vu passer les Espagnoles qui m’ont fait un petit signe et Kristine qui, plongée dans la lecture de son guide, ne m’a pas remarqué. Un peu plus loin je retrouve toutes ces dames assisses à la terrasse d’un café. Les deux Espagnoles m’accueillent avec de grands sourires : « Vous venez de Paris ! … A pied ! ». A l’évidence Kristine leur a raconté mon périple. J’apprends à mon tour qu’elles sont sœurs et que c’est leur premier jour sur le Chemin. Nous repartons tous les quatre pour bientôt n’être plus que deux, les Espagnoles suivant leurs rythme. Alors que je prends une photo Kristine ralentit pour m’attendre, je sens qu’elle piaffe, je lui dis d’aller de l’avant, elle ne refuse pas : « A ce soir !».
14h15 Lourenza, c’était vraiment trop tôt pour s’arrêter ici.
Juste avant Mondoñedo il y a un petit village avec une multitude de greniers, une mine de photographies même si le soleil est un peu absent. A l’entrée de la ville un pépé sur une sorte de petit tracteur me fait penser au joli film « Une histoire vraie » de David Lynch, celui où un vieux monsieur entreprend un grand voyage sur une tondeuse à moteur pour retrouver son frère. Nous échangeons de petits signes amicaux ; un peu plus loin il salue un autre pépé sur le pas de sa porte qui à son tour me fait bonjour. Les amis de mes amis sont mes amis. Cette journée est décidément bien agréable, je suis prêt à tout trouver sympathique.
16h me voilà devant la cathédrale de Mondoñedo qui, Oh ! Miracle, est ouverte. La ville est très belle notamment la place centrale. Pour l’auberge ce sera un peu plus compliqué, un vrai jeu de piste : je traverse d’abord toute la ville jusqu’à me retrouver dans la campagne sans avoir vu une quelconque indication, je rebrousse chemin, interroge quelques passants et enfin tombe sur un Polonais (je le retrouverai plus tard à l’auberge) qui me confie le sésame : il faut d’abord aller s’inscrire au poste de police. A 17h je suis enfin à l’auberge ! Elle est toute neuve. Kristine est déjà là, elle était la première et du coup aura l’insigne honneur de retourner demain matin à la guarda civil pour rendre la clé qu’elle a obtenue en échange de ses papiers d’identité. Pour une fois que j’arrive après elle ! Une bien belle journée je vous dis.
Lors de ma chasse au restaurant (marre des sandwichs!) je tombe sur Bastian qui est dans la même quête. Nous scellons un pacte pour conjuguer nos efforts autour d’une bière, puis deux. Comme avec Christian pour le vin c’est un sujet où je m’adapte assez bien. Originaire de Munich c’est un grand pratiquant de football, il a commencé son Chemin à Gijon mais n’est pas très habitué à la marche et il a mal aux pieds, sous les pieds. Nous poursuivons notre conversation dans la rue et finissons par trouver un menu pèlerin à 10 euros très convenable, cette journée est décidément bien revigorante. Pourvu que cela dure. Demain en principe ce sera Villalba à 35 km. En 2 jours j’aurai parcouru 3 étapes de mon guide, il faut en finir.
Pour Steven
D’une part ce n’est plus le premier périple, le goût est moins intense, et puis on se trimbale tous des trucs perso qui de temps en temps peuvent ressurgir et interférer avec le plaisir du voyage. A chacun son Chemin …
Camino
Je remarque effectivement cet empressement à arriver au but, presque une lassitude, effectivement pour moi qui n’ai vécu qu’un chemin c’est totalement inconnu, je ne comprends pas; je me rappelle clairement avoir apprécié chaque morceau du chemin et même avoir raccourci les dernières étapes ouf faire durer…
Ce n’est pas très rassurant ce drôle de sentiment qui revient de temps a autre dans tes récits d’autant que je n’y trouve pas d’explication !
A bientôt