Mercredi 22 octobre,
58e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 21 kilomètres
Il est 6h15, je quitte l’auberge de Pedrouso. J’avais mis le réveil à 5h30 mais il n’a pas eu besoin de sonner ; beaucoup de pèlerins ont eu la même idée et même s’ils se préparaient en silence, l’excitation de toucher au but m’avait mis sur le qui-vive et je me suis levé en même temps qu’eux.
Nous avons formé un petit groupe, c’est plus prudent pour marcher la nuit. Le chemin navigue autour de la grand-route mais étant donné l’obscurité et l’état détrempé dans le quel il était hier nous avons décidé de marcher sur le bas côté de la route. Nous avançons avec la frontale et celui qui est en tête la tient à la main pour pouvoir l’agiter et bien nous signaler aux véhicules, assez rares, qui arrivent vers nous.
Le ciel est magnifique, comme lavé par les pluies d’hier, constellé d’étoiles, et chose qui ne m’était pas arrivé depuis des années je vois des étoiles filantes ; peut-être que nous sommes vraiment sur le chemin des étoiles. Je ressens une certaine fébrilité à marcher vers Saint-Jacques, j’y serai dans trois à quatre heures, après tous ces jours cela paraît presque irréel. Je ne suis pas le seul, notre groupe avance d’un bon pas et nous rattrapons d’autres pèlerins qui hier se plaignaient de mille maux et qui aujourd’hui se sentent des ailes … ou presque car certains clopinent quand même mais tiennent à faire ces derniers kilomètres. L’armée en déroute se métamorphose en armée triomphante.
A Sampayo nous retrouvons les flèches jaunes et le chemin qui circule tantôt sur des petites routes tantôt à travers des forêts d’eucalyptus.
Au niveau de Monte do Gozo Saint-Jacques au loin nous accueille avec un arc-en-ciel.
Puis c’est la descente vers Santiago. On se crée des images et on se voit arriver au pied de la cathédrale mais Santiago est une grand ville et pour accéder au centre historique il faut patienter et traverser toute une zone urbaine. Je suis un peu en avance sur mon planning et je m’arrête à l’auberge Acuario juste avant le centre ville, c’est un peu rustique mais l’accueil y est très sympathique avec une ambiance particulière : beaucoup de pèlerins sont là depuis un ou deux jours soit pour visiter la ville soit dans l’attente de leur départ ; certains ont l’air de s’ennuyer d’autre de paresser ; ici l’heure d’extinction des feux est à minuit, c’est le Club-Med ! On me désigne mon lit, je dépose mon sac et en route pour le dernier kilomètre.
11h, je suis devant la cathédrale, les cloches sonnent à la volée, au loin un petit orchestre celtique. Emotion. J’appelle Hélène pour partager l’instant, j’ai la gorge serrée. Les cloches :
Je visite la cathédrale en attendant la messe des pèlerins qui a lieu tous les jours à midi. J’aimerais voir le Botafumeiro, cet énorme encensoir destiné autrefois à masquer les « vilaines petites odeurs » des pèlerins. Je ne sais pas si aujourd’hui cela serait encore nécessaire, entre pèlerins on se supporte très bien, mais … En principe il n’est mis en action que dans des occasions exceptionnelles mais on m’a dit que désormais il suffit que quelqu’un fasse une donation et il semblerait que c’est assez fréquent, donc espérons.
Pourquoi assister à la messe puisque je ne suis pas croyant ? Sans vouloir choquer je dirai d’abord que ça fait partie du folklore, du déroulement normal de ce voyage, puis en route j’ai promis à quelques compagnons de penser à eux quand je serai ici et ce long périple mérite bien quelques instants de recueillement, de méditation ou tout simplement de savourer l’instant et l’endroit me paraît approprié. De plus, au-delà de toute croyance, je me sens proche, j’ai quelque chose à partager avec tous ceux qui, depuis des siècles, ont accompli ce parcours et qui sont passés ici.
La cérémonie m’a à la fois épaté et déçu. Déçu parce que pour une « messe des pèlerins » même si les bancs sont complets il y a une minorité de pèlerins, tout au moins de pèlerins marcheurs. La majorité est en civil, peut-être des pèlerins motorisés ou plus simplement des touristes venus là en curieux. Parmi les « marcheurs » j’ai reconnu beaucoup de mes compagnons de route et notamment la dame allemande qui avait quitté son compagnon en emportant la carte de crédit, lui n’est pas là, peut être que le nerf de la guerre lui a fait défaut. Epaté par le nombre d’officiants, l’apparat, le faste, les chœurs, les orgues, la diversité des nationalités, des langues, Quand je pense que c’est comme cela tous les jours, qu’est-ce que cela doit être en pleine saison ? Difficile de ne pas ressentir une émotion même si l’ambiance est aussi à la collecte de souvenirs : les flashs crépitent de partout même les officiants font leur récolte. Début de la messe : orgues, choeur … :
A la fin de l’office, le Botafumeiro apparaît et traverse la nef de son ample balancement : grandiose, merci au généreux donateur. Cette fois-ci c’est sûr je ne pue plus.
L’après-midi obtention de la Compostela à la maison des pèlerins et visite très sommaire de la ville. Il fait beau et je me sens en forme, c’est décidé je pars au cap Finisterre, je n’ai pas envie de m’attarder ici. Comme d’habitude la ville me fatigue, j’ai envie d’aller de l’avant. Il faut que je m’organise, à l’office de tourisme j’obtiens les renseignements pour revenir du cap Finisterre puis il faut que j’aille à la gare routière pour préparer mon retour en France. Je réserve ma place dans un bus pour le 27 : départ 11h pour une arrivée le lendemain à 11h ; 24 h assis dans un bus ! N’y pensons pas d’avance Cela me donne quatre jours pour faire les quelques 100 km qui me séparent du cap. Toutes ces démarches, à pied, aux quatre coins de la ville me prennent tout mon temps. En ville je croise d’anciennes connaissances, la plupart préfère aller au cap en bus, ils ont eu leur dose.
Le soir repas dans un restaurant qui s’avère nul avec un service bâclé qui donne l’impression aux clients de gêner : heureusement je me suis payé une bouteille de Rioja ce qui maintient mon état euphorique.
Mes compagnons de dortoir ne se sentent pas obligés de profiter de la permission de minuit et préfèrent se coucher tôt pour récupérer. Je fais de même, demain direction la mer : mes chaussures et mes jambes devraient pouvoir supporter ce dernier effort.
Pour « Le chêne vert »
Merci pour le partage de votre témoignage.
Buen Camino
Pierre
Re: Santiago de Compostela
Ponferrada Santiago sera mon dernier effort pour l’an prochain (et peut-être Fisterra ou Muxia). Chaqye année j’en fait un peu depuis le Puy. Cette année j’ai fait Burgos – Ponferrada. Qu’on le fasse en une fois ou en plusieurs fois, on retrouve les mêmes émotions. Le faire en plusieurs fois offre sans doute l’avantage de pouvoir continuer sa vie professionnelle mais le désavantage de resubir chaque année le poids du sac les 3 à 4 premiers jours et de devoir réhabituer les pieds et la musculature. Et puis il y a l’arrachement. Je suis si triste à chaque fois ! Quand j’aurai fini le Camino, je ferai la partie qui me manque : de chez moi à Saint Jacques (rejoindre depuis le Haut Bugey la voie qui part de Genève) et qui promet d’être fort belle. Il faut que j’en profite car je vais avoir 69 ans bientôt et je sens déjà que les articulations souffrent plus qu’avant… Merci pour votre excellent reportage. Je tiens moi-même un blog. Si ça vous intéresse, c’est plus des photos et un peu de texte :
http://un-certain-chene-vert.eklablog.com
aller dans Menu, photos par thèmes puis Saint Jacques. Evidemment le plus récent est au-dessus . Encore merci car je relirai votre blog avant de repartir.
RE: Bravo
Merci Fritz pour tes compliments.
Je te souhaite un « Buen Camino », même en business classe il faut le faire !
Racontes nous à ton retour.
Pierre
Bravo
Merci pour récit sur le chemin. La semaine prochaine, le 25 avril, je quitterai ma famille pour accomplir une partie du chemin, de Saint-Jean-Pieds-de Port à Santiago. J’avais quelques appréhensions mais à la lecture de ton récit, je suis confiant. Je le fais comme toi, pas de pèlerinage mais une balade pédestre. Après 45 ans d’activité professionnelle et davantage de fidélité familiale j’ai décidé de me retrouver seul avec moi pour ce périple et réfléchir sur mon vécu… Mon périple sera certainement moins aventureux que le tien car avant la découverte de ton site j’avais quelques soucis en lisant des guides et des livres sur l’hébergement: « les vieux » avancent moins vite et de ce fait ne trouvent pas toujours de l’hébergement. Pour cette raison, j’ai planifié ma « balade » avec une organisation qui m’a réservé les chambres et assurant le transport des bagages. J’espère que je ne serai pas considéré, comme ma femme le dit: « pèlerin business classe » mais que j’arriverai également avoir des échanges avec tous les pèlerins.
Encore une fois merci pour ta générosité pour avoir pris le temps de documenter ce magnifique site et donner envie aux « marcheurs » de parcourir ces chemins. Fritz.
Re: Santiago de Compostela
Quel plaisir et quelle émotion je retrouve en lisant ton carnet de route. J’ai fini le chemin il y a un mois et je vois que nous vivons tous les mêmes choses, nous passons par les mêmes épreuves et les mêmes joies. Je ne pense qu’à retourner sur le chemin, et justement je voudrais prendre la via de la Plata et aller jusqu’à fisterra (je n’ai pas pu le faire). J’attends donc avec impatience la relation de ton chemin.Merci.
4 roues
Et bien c’est décidé, je vais faire le chemin espagnol… en voiture. Qui sait si « la révélation » ne sera pas sur le parking à l’arrivée ? Si cela intéresse quelqu’un j’ai une place libre (à l’aller, pas de retour :o)…