Vendredi 10 octobre,
46e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 346 kilomètres
8h, je quitte Mansilla de las Mulas. A la sortie de la ville, juste avant la traversée du Rio Esla, de grands pans de murs, sans doute d’anciens remparts que je n’avais pas du tout remarqués hier. Il fait encore nuit mais le ciel est très lumineux, bleu.
Ce matin petit-déjeuner dans un bar où je retrouve Jacques, un Français, que j’avais rencontré une première fois à côté du dolmen de Joncas puis à Cahors où nous partagions le même dortoir dans l’auberge de jeunesse. Il se souvient très bien de Marcus et de moi avec nos soucis de cheville.
Il en est à son je ne sais combientième voyage sur le Chemin. Cette fois-ci il va prendre un bus pour traverser Leòn qu’il a déjà visité deux fois à fond, il va passer son chemin, inutile de retraverser cette grande ville à pied. Il me raconte que le Parador qui est adossé à la cathédrale de Saint-Jacques offre tous les jours un plateau repas aux dix premiers pèlerins qui se présentent avant midi. Il a eu la chance d’en bénéficier deux fois. A voir si c’est possible selon l’heure d’arrivée.
L’évocation du but du voyage me fait prendre conscience que je suis à la fois pressé de rentrer et je ne dirai pas que j’ai peur de rentrer mais cela va être une fin que j’ai la tentation de retarder. Le voyage n’est pas dur, je ne le trouve pas dur même s’il y a eu des moments difficiles. En fait c’est un mode de vie auquel on adhère progressivement au fil des jours. Le sac, la marche, la promiscuité deviennent une partie de nous. On n’hésite pas à faire un détour d’un kilomètre ou deux pour trouver un bar, un magasin d’alimentation ; le sac malgré son poids fait partie intégrante du costume. J’envisage de rester deux jours à Leòn pour prendre le temps de visiter la ville et j’ai prévu de prendre une chambre, une « pension ». De plus en plus de pèlerins prennent des chambres, ne supportent plus les dortoirs. Je n’irai pas jusqu’à dire que je les aime mais je trouve qu’ils font partie du périple, de l’expérience. Il est vrai que certains se sont fait dévorer par des punaises et que jusqu’à présent j’ai été épargné. Ce mode de vie n’a rien à voir avec celui du routard. Ici on est dans quelque chose de structuré, tout le monde va dans le même sens à part ceux qui reviennent et qui font l’admiration des autres (ils doivent d’ailleurs le faire un peu pour ça, ce que je comprends) et il y a toute une logistique pour répondre à cette demande. Et puis il y a la complicité de la population, on n’est pas un randonneur, on est identifié comme un pèlerin, les gens font un petit signe, un sourire, on ne se sent pas vraiment isolé, on se sent sur le Chemin, que ce soit au milieu de la meseta ou en ville.
Evidemment il y a une particularité majeure, au moins 9 « pèlerins » sur 10 sont croyants et certains de façon « active » : le matin ils vont à la messe, ils recherchent de préférence un refuge dans un couvent, parce qu’il y aura une bénédiction qu’ils évoquent par la suite « cette bénédiction était très bien, ça m’a fait du bien, c’était très sympa, le curé était très chouette, … ». Ils sont jeunes, vieux, malabars ou gringalets, tous sexes, tous formats, tous pays confondus. Mais, sauf exception, ce n’est pas ostentatoire, un impie comme moi peut très bien les côtoyer sans avoir à se boucher les oreilles toutes les 5 minutes, il suffit d’être tolérant et admettre que chacun peut avoir ses idées. On ne parle pratiquement jamais de religion, quand ils disent « hier la bénédiction … », c’est comme s’ils disaient « hier au restaurant … », constat qui n’appelle pas forcément un commentaire ou un dialogue, puis on passe à autre chose. Sur le Chemin il y a comme partout des amateurs de football, c’est aussi une religion que je ne pratique pas mais je la tolère également.
10h le ciel est très bleu, il fait très doux, je suis désormais en chemisette. La plupart du temps le chemin longe la route principale. La proximité de Leòn génère un trafic important, ce n’est pas insupportable mais je préfère nettement la solitude et le silence d’hier.
Un peu plus de 11h, il fait toujours très beau, je suis dans Leòn , je viens de traverser la rivière qui marque l’entrée de la ville. L’arrivée à Burgos, tant décriée, était une vraie promenade en comparaison à celle-ci. Le chemin côtoie pratiquement tout le temps une grande route. A un moment j’ai même dû traverser une route à 4 voies en enjambant les rails de sécurité, probablement parce que j’avais raté un signe car généralement ils font très attention à ce genre de problème, mais ce fût un peu délicat.
J’entre dans la vieille ville ; les rues piétonnes sont bordées de maisons anciennes. Un affichage numérique indique 14°, les gens sont couverts, polaire ou anorak, je suis en chemisette : la marche réchauffe.
Bon, j’ai eu la flemme de chercher une « pension », j’ai opté pour la facilité, les flèches jaunes me conduisent directement à une auberge pour pèlerins : l’« albergue de las Carbajalas », des bénédictines en fait. Il y a deux grands dortoirs, un pour les femmes, un pour les hommes. Les couples sont placés à une extrémité du dortoir pour hommes. Je verrai demain, si c’est l’enfer je chercherai une pension sinon je resterai ici, ma foi c’est le plus simple ; je me suis renseigné je peux rester une nuit de plus pour visiter la ville, il suffit de me réinscrire demain matin et de ne pas oublier la « donation ». Avantage non négligeable, comme souvent, l’auberge est dans le quartier historique, à 5 minutes à pied de la cathédrale. L’hospitalier nous place au fur et à mesure des arrivées. L’installation est sommaire, il n’y a même pas d’oreiller. Non loin de moi je retrouve Erling, le Danois. Je commence à baragouiner anglais avec le gars qui est dans le lit au-dessus du mien quand nous nous apercevons que nous sommes tous les deux Français. C’est Julien, il a commencé du côté d’Angers, de la manière dont il me raconte son voyage j’ai l’impression qu’il cumule les deux modes de vie, pèlerins et routard, il a dû estimer à minima sa donation au refuge. Dans un lit voisin quelqu’un est couché, tousse et se mouche sans arrêt ; je n’aime pas ça, la nuit risque d’être difficile, j’espère qu’il n’est pas contagieux.
Du soleil, tout l’après-midi à disposition : une bonne occasion pour une grande lessive. Une fois ce détail d’intendance réglé je pars à la découverte de Leòn. Tout le centre historique est piéton, cela donne envie de se balader. La ville est très belle, très animée. La cathédrale a des vitraux splendides, je n’ai pas visité le musée car j’avoue que j’en avais plein les pattes. Il paraît que les fresques de la voûte de San Isidoro sont magnifiques, malheureusement elles sont en réfection mais l’église elle-même vaut le coup, ce serait ici que Chimène épousa Le Cid. Je pousse jusqu’à San Marco, ancien hospital pour les pèlerins transformé en Parador, très belle église, très belle façade, au-dessus de la porte principale Saint-Jacques à cheval terrasse les Maures. Il y a un bâtiment conçu par Gaudi, la casa Botines, j’avoue que je suis déçu. Il ne me rappelle pas du tout ceux vus à Barcelone, c’est massif on dirait du gothique, mais du gothique rustique, du gothique fortin. Peut-être l’intérieur est-il plus séduisant : il est occupé par une banque et elle est fermée pour le moment, je n’en saurais pas plus.
Le Chemin circule devant les monuments principaux de la ville et je vois passer tous les pèlerins qui ne font que traverser Leòn ou qui vont chercher un hébergement plus loin. Je me suis mis en « civil » mais je ne dois pas être tout à fait méconnaissable car beaucoup me font un petit signe. Entre confrères on se reconnaît tout de suite.
Le soir repas rapide à prix réduit dans ce qu’il est difficile d’appeler un restaurant, mais j’ai eu ma ration de spaghetti dans une ambiance de télé à fond. Ca ne me fait plus rien. Ca va revenir il ne faut pas s’inquiéter mais en ce moment je supporte tout ces bruits avec abnégation, ou plutôt avec indifférence.
Avant de rentrer à l’auberge je déambule dans la ville qui est envahie par la foule du soir : c’est l’Espagne. La cathédrale proche compte les heures, des musiciens se sont installés dans les rues.
J’avais envisagé de rester encore une journée mais d’une part j’ai vu l’essentiel et d’autre part la ville me fatigue malgré tout son côté festif. Cet après-midi je suis retourné un moment à l’auberge m’étendre un peu, je ne sais pas si c’est l’absence de mon sac mais j’avais terriblement mal au dos : déformation professionnelle ?
RE : Arrivée à Léon
Bonjour Jean-Yves
Merci pour ce partage et cette mise à jour de mes connaissances du Chemin ;o)
Buen Camino
Arrivée à Léon
Bonjour Pierre,
Je lis votre périple avec plaisir, et je sens dans l’évolution de vos propos, une transformation du personnage qui, au début, randonnait et découvrait, sans doute, principalement les soucis techniques d’une telle épopée. Ensuite au fur et à mesure des jours, vous goûtez aux plaisirs de l’intégration dans votre environnement, aussi bien culturel, humanitaire ou paysager. De sorte que vous en arrivez presque à redouter le retour à « la vie normale ». J’apprécie d’autant plus vos récits que je les revis pleinement depuis St Jean Pied de Port, ayant fait moi- même cette même partie à l’automne 2015. Et Sans doute pour éviter la perte de pélerins sur le chemin, il y a désormais une passerelle pour franchir cette 4 voies à l’entrée de Léon, là-même ou vous avez pris la photo. Jean-Yves ( blog : jean-yves53@compostelle.blogspot.fr).
Récit
Bonjour Robert,
Je ne peux pas dire que j’ai fait un pèlérinage puisque mon voyage n’avait pas de but religieux.
Il y a une grande variété de dictaphones, le mien est numérique. Pour avoir suffisament de mèmoire pour tenir 2 mois, il faut compter dans les 100 euros.
merci
merci du petit mail que tu m’envoies
j’adore la façon dont tu racontes ton récit..
tu ne veux pas qu’on dise ton (pèlerinage?)…..
on sens quand tu racontes; ta simplicité et ta tolérance….je connais du monde ; dans ma famille qui serrait content de lire ce que tu as vécu.
…. dis moi combien coûte un dictaphone s’il te plaît.
a bientôt