Mercredi 8 octobre,
44e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 425 kilomètres
Je quitte Carrion de los Condes après un petit déjeuner dans un bar.
Il fait sec mais j’ai aux pieds mes chaussettes mouillées dans des chaussures trempées ; j’ai remis ma cape non pas parce que la pluie menace mais pour qu’elle sèche. Le gîte n’était pas fameux, je ne sais pas si les radiateurs ont chauffé cette nuit mais tout est resté humide. Le ciel est clair mais hier aussi la journée avait commencé comme cela.
Je découvre que la ville est assez grande et qu’il y a des monuments intéressants. Hier soir, avec la pluie, personne n’avait vraiment envie de flâner dans les rues et maintenant il fait presque nuit, je ne connaîtrai donc pas grand-chose de Carrion.
Pas de trace de ma longue étape d’hier, aucune courbature, aucune douleur. Cette humidité dans mes chaussures m’inquiète un peu, ce sont des conditions propices aux ampoules. A la première alerte je mets des chaussettes sèches. Aujourd’hui je vais faire une étape un peu plus courte, ne tentons pas le diable.
Je marche d’un bon pas mais sans forcer, ici il y a encore des bornes kilométriques le long des routes, je viens de faire un chronométrage j’ai mis 11 minutes pour 1 km et pourtant il me semble que je marche tranquillement.
Cela fait presqu’une heure que j’ai quitté Carrion. Depuis la sortie de la ville j’entendais derrière moi un pas qui s’accordait sur le mien. Un coup d’œil par-dessus mon épaule m’avait confirmé que quelqu’un me suivait à une dizaine de mètres, je l’entendais chantonner. Je me suis dit que nous pouvions peut-être faire connaissance. J’ai saisi l’occasion en m’arrêtant pour ranger ma cape enfin sèche : c’est une Polonaise, Maria, qui a à peu près mon âge, elle ne parle pratiquement pas l’anglais, en français elle connaît quelques mots mais elle se débrouille en espagnol. Nous faisons route ensemble.
Dans ce genre de rencontres l’essentiel de la conversation consiste à trouver les mots, en mélangeant plusieurs langues, en y ajoutant des mimiques et des gestes, une sorte de langue des signes, pour se faire comprendre, même pour les choses les plus banales, Elle a essayé de m’apprendre quelques mots de polonais que j’avais beaucoup de mal à reproduire et que j’avoue n’avoir pas mémorisés.
Elle a commencé son chemin avant Burgos et elle s’arrête à Leon. Elle a déjà fait, à d’autres occasions, Leon-Finisterre, la route du Nord, et d’autres portions du Chemin, mais ne l’a jamais fait en entier. Elle n’a jamais entendu parler de la ville du Puy. Sur ma crédentiale il y a une carte des chemins : je lui indique où se trouve cette ville. En fait, en Espagne, beaucoup d’étrangers sont « branchés » sur le ou les chemins espagnols, ils ignorent tout de sa partie française ou même plus lointaine.
Maria est très sportive, elle a fait des marathons et continue à courir, elle fait du ski. Elle s’est fixé une limite de 25 km par étape. Elle me dit qu’elle est souvent très fatiguée à l’arrivée où elle s’effondre. Cela ne m’étonne pas, elle me donne l’impression d’être tout le temps à fond et dans les descentes elle court ! Je ne pourrais pas la suivre comme ça éternellement, c’est tout juste si elle ne va pas plus vite que moi.
Il fait très beau, heureusement car deux jours sous la pluie comme hier cela doit être difficile. Jusqu’à présent j’ai eu de la chance, à part quelques petites ondées passagères, c’était mon premier jour de pluie. Je sens que mes pieds ont retrouvé leur environnement habituel.
En route nous croisons un Italien qui revient de Santiago et un petit moment après trois Français qui en reviennent également. Ils ont commencé leur voyage au Somport, ils vont donc parcourir environ 1800 km, l’équivalent de Paris-Santiago. J’avais croisé un couple du côté de Lectoure qui faisait l’aller-retour : ils étaient partis de Savoie !
Peu après nous rencontrons un Français parti du Puy le 9 septembre ! Il a deux semaines d’avance sur moi. Il marche avec une espèce de petite charrette à une seule roue qu’il tire derrière lui où il entasse tout y compris une tente (il me fait penser à Bernard Ollivier) car il fait du camping sauvage. Il part tôt le matin vers 3 ou 4 h, il marche à la lampe, il ne visite strictement rien, il marche, il s’arrête le soir dans un champ, loin des villes et villages et il repart le lendemain : monacal ou sportif ? Son engin est rafistolé avec de la ficelle et du scotch, à ma demande il me confirme qu’il a eu un problème, une tige a cassé il a dû faire une réparation de fortune.
A Calzadilla de la Cueza petite pause café. J’y retrouve Anika, Jonathan et un Français : ils font désormais route ensemble.
Maria pensait s’arrêter à Ledigos mais pour continuer un bout de chemin avec moi elle prolonge sa route jusqu’à Terradillos de los Templiaros où nous arrivons vers 13h30. Elle s’écroule de fatigue en arrivant, 28 km c’est un peu au-delà de ses étapes habituelles. Nous nous disons au revoir et elle rejoint le dortoir pendant que j’avale une tortilla au bar de l’auberge. Nous avons marché environ 5 heures ensemble, un moment très agréable.
14 h je quitte Terradillos et Maria qui doit être en train de récupérer. Je vise San Nicolas del Real Camino, mais l’auberge n’a que 22 places, je ne sais pas si je ferai partie des heureux gagnants. Beaucoup de gens, comme Maria, font des étapes de 20 à 25km et s’arrêtent donc tôt. Ceux qui marchent plus longtemps trouvent souvent des auberges pratiquement pleines et il leur faut se contenter des places les moins confortables : lit en haut, près des portes ou des sanitaires,…rien de dramatique, je ne me suis jamais retrouvé sans abri et j’ai toujours dormi tout mon saoul.
Environ 15h, je viens de dépasser Saint Nicolas. C’est vraiment un trou, 49 habitants d’après le guide. S’arrêter ici à cette heure-ci ? A part laver mon linge je ne vois pas ce que je peux y faire. La description par le guide de l’auberge de Sahagun n’est pas emballante, mais je suis en forme, plutôt marcher. J’y vais.
Sur le chemin un scooter vient à ma rencontre : il distribue des prospectus ventant les mérites paradisiaques d’une auberge. J’ai déjà vu plusieurs fois ce marketing direct. Ce sont des établissements plus « luxueux » que les auberges municipales ou associatives que je fréquente habituellement et ils ne sont pas répertoriés dans les guides. Cela peut parfois dépanner surtout en haute saison.
Vers Sahagun le chemin longe une route qui elle même longe l’autoroute. Ce n’est pas très bucolique mais je survis. J’arrive à l’auberge vers 16h30. Après rassemblement de mes idées éparses suite à l’effort je calcule que cela fait 8h30 et 41 km que j’ai quitté Carrion : ce n’est pas si mal.
L’auberge est située dans une ancienne église. Le dortoir est agréable, les lits sont disposés en box, cela fait moins monstrueux, sous une grande hauteur de plafond : on voit encore les piliers au-dessus desquels a été rajouté un toit. Côté sanitaire je m’apercevrai vite qu’une petite rénovation s’imposerait mais rien d’insurmontable. Je ne sais pas si c’est la description du guide « cuisine mal équipée, salles de bains qui sentent fort… » qui a fait fuir le pèlerin mais il n’y a pas grand monde, je suis seul dans mon box de huit places : ce qui compense largement les autres petits inconvénients.
La salle des fêtes municipale se trouve au rez-de-chaussée de l’édifice, un spectacle pour enfants s’y déroule, juste sous le dortoir, créant une ambiance un peu surréaliste, mais pas désagréable, mêlant musique, chants, déclamations et rires enfantins. Heureusement, je me suis renseigné, ce soir relâche !
Parmi mes compagnons d’un soir je retrouve le cycliste français avec qui j’avais partagé « l’annexe » à Hornillos. Hier avec la pluie il n’a pratiquement pas avancé !
Après ablutions, lavage, séchage,… je vais faire un petit tour en ville. Elle est très riche en monuments, églises, couvents de toutes les congrégations,… La plupart sont en restauration et des panneaux indiquent que l’Europe finance ces travaux. Les clochers énormes avec de multiples ouvertures sont surprenants. Ce n’est pas du bluff, concerts de cloches à toutes heures :
Au détour d’une rue je vois l’homme à la charrette qui continue sa route, hors des villes.
L’hôtel face à l’auberge propose un repas pèlerin. J’y retrouve quelques connaissances.
L’Américain y a établi son quartier général d’un soir, loin des dortoirs ; comme à chacune de nos rencontres nous échangeons quelques mots mais à chaque fois il s’agit d’un véritable échange : il y a des gens avec lesquels on se sent en contact immédiat, il y en a d’autres avec lesquels une conversation de plusieurs heures ne laissera pratiquement aucune trace.
Je retrouve également un grand gars dont on m’a dit qu’il marchait vite, Rémi. Il me propose de partager sa table. Il est accompagné par son père Marco qui est venu faire un petit bout de Chemin avec lui. Comme il n’est plus très jeune, il fait une partie de chaque étape en bus pendant que son fils marche. Je ne sais pas si c’est l’exaltation due à la marche d’aujourd’hui mais c’est le mot « bonté » qui me vient à l’idée pendant que je suis avec eux. Ils ont l’air « bon », je sais le mot est un peu désuet mais il s’impose à moi. Nous passons un excellent moment, ils sont croyants, je ne leur cache pas que je ne le suis pas. Nous parlons d’un tas de sujets qui va du krach boursier dont ils n’ont pas l’air de se soucier plus que moi (pourtant je crois comprendre qu’ils sont responsables de société), de l’histoire du Chemin, des anecdotes que nous avons pu glaner ou vivre tout au long de notre route. Rémi est lui aussi parti du Puy, quelques jours après moi, comme moi il a éprouvé un coup de vague à l’âme à la charnière entre le Chemin en France et celui en Espagne. Je ressors de ce repas comme immergé dans une vague de sérénité.
Ulysse
Merci Hélène pour ce petit rappel !
Ulysse
Ulysse, c’est le prénom ;o) du fidèle chariot de B. Ollivier, et il en voit de toutes les couleurs !