Jeudi 26 septembre,
32e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 752 kilomètres
7h30 je quitte Larrasoagna.
Un bistrot qui jouxte le refuge (toujours cette fameuse organisation) propose des petits-déjeuners à 3,5 euros. Mais c’est vraiment minimaliste, 3 biscottes, un échantillon de confiture, pareil pour le beurre et un café dans une tasse genre expresso ; seul point positif, une petite bouteille de jus de fruit. Enfin, cette fois je ne démarre pas le ventre vide.
La lune est encore dans le ciel. Tout le monde est parti à peu près en même temps et on se suit à la queue-leu-leu sur le chemin, de 100 m en 100 m. Pas d’inquiétude, progressivement tout le monde va prendre sa place selon son rythme.
Aujourd’hui je commence mon deuxième mois sur le Chemin, direction Pampelune, une étape d’environ 20km, avec une option vers Uterga à 30 km si je me sens en forme. Pampelune, à chaque fois que j’y suis passé, m’a parue sinistre. La dernière fois c’était avec Hélène au retour d’une virée à Barcelone ; elle y avait découvert « los calamares en su tinta », calamars cuits dans leur encre, et n’avait pas du tout apprécié ! Mis à part cette expérience culinaire, la ville avait l’air triste, désertée. Je n’en attends pas grand chose cette fois encore.
Je me sens beaucoup mieux qu’hier. Il faut dire que, mes chevilles ayant l’air parfaites, j’ai arrêté les anti-inflammatoires. Ils sont sûrement très efficaces dans le processus de guérison mais doivent retentir sur l’ensemble du système et affaiblir un peu le bonhomme.
Le chemin, en pleine forêt, surplombe la route distante d’environ 300 m et, comme dans toutes les vallées, les bruits de circulation résonnent. Je viens de franchir un portillon que je n’ai pas entièrement refermé, j’ai échangé un petit signe avec les marcheurs qui me suivent : ils s’en chargeront ou le confieront à leur tour aux suivants. On commence déjà à s’égrainer. Le sentier longe une rivière assez large, une dizaine de mètres, sans doute le rio Arga, bordé d’arbres de part et d’autre avec de temps en temps des petites chutes d’eau ; c’est très agréable, il y a des reflets de soleil dans l’eau, il y aurait de belles photos à prendre malheureusement il fait encore trop sombre.
Dès le départ, la tendance générale du chemin étant à la descente, j’ai adopté un rythme assez rapide afin de me dégager du flot des autres marcheurs. Je ralentirai plus loin dès que j’aurai trouvé ma place.
8h20 j’ai dépassé Zurian. Le long de l’Arga beaucoup de pêcheurs : truites, saumons ?
8h45 Irotz, minuscule village avec son église et comme d’habitude pas un chat. J’ai rejoint d’autres marcheurs dont mon voisin de table d’hier soir. Sans sac de couchage, il logeait dans une auberge et il n’a pas pu déjeuner ce matin en partant : il est impatient de trouver un bistrot pour boire son petit café et jusqu’à présent c’est plutôt le désert.
Les routes secondaires ici sont souvent cimentées, une couche d’une dizaine de centimètres d’épaisseur qui a l’air d’être posée à même le sol avec beaucoup de fissures, sans doute un revêtement provisoire. Par contre, souvent le chemin emprunte un tunnel pour traverser les grandes routes : le luxe !
9h15 après la chapelle d’Arleta, on domine la vallée de l’Arga où il y a une usine dont on entend le bruissement (j’essaie de sublimer !). Au loin une montagne en forme de cône avec une grande antenne, l’ensemble évoque le Puy de Dôme, on commence à apercevoir des champs pelés, on change de région, le vert est progressivement remplacé par du jaune.
9h45 j’entre dans Villava par le pont médiéval dominé par une chapelle marquée du signe des Jacquets.
10h20 je suis sorti de la zone urbaine de Villava et sa ville mitoyenne Burlada. Au loin, un grand monument religieux qui pourrait être Huarte. Les villes ou villages traversés donnent en général une impression de propreté, d’être bien entretenus, peut-être même une certaine opulence contrairement aux villes espagnoles plus au sud qui ont toujours l’air de chantiers inachevés.
10h30 je franchis le pont Magdalena sur l’Arga, en fait, sans m’en rendre compte, je suis déjà à Pampelune. Après un grand jardin public très agréable j’arrive au pied de la citadelle. Le chemin suit les douves, longe les murailles dominées par des échauguettes. Je n’ai aucun souvenir d’avoir aperçu cette citadelle lors de mes précédentes visites ! On entre dans la ville par un pont-levis construit en 1553 (j’ai la notice sous les yeux), qui s’appelle la porte de France. Il fait très doux, je suis à l’intérieur de la ville et j’avoue que j’ai une bien meilleure impression qu’à mon dernier passage.
Je suis surpris, je ne me suis pas encore arrêté une fois, le sac ne me pèse pas du tout je suis en pleine forme. Je vais continuer ma route.
En ville je retrouve le côté chantier perpétuel. Un panneau indique que le quartier est en complète «réurbanisation», les rues sont défoncées, les poubelles stationnent n’importe où : c’est très vivant. Je ne sais pas si c’est mon moral et ma forme retrouvés mais tous ces bruits de bulldozers et de marteaux-piqueurs me réjouissent.
J’ai fait un détour par la cathédrale mais c’était fermé. Il va falloir apprendre à s’adapter aux horaires locaux. J’ai plus de chance avec l’église San-Saturnio. Elle est étrange, avec trois nefs, une romane, assez petite, une gothique et une dernière plutôt rococo. Il y avait un office, je n’ai pas pris de photo.
La ville est très animée et contredit entièrement mes anciennes impressions. Elle se traverse facilement, le Chemin est fléché tout du long ; impossible de se perdre, d’autant plus que si on s’en écarte des passants vous remettent gentiment dans la bonne direction.
11h15 je sors de la vieille ville et j’entre dans la partie moderne en traversant à nouveau un grand parc où on retrouve la citadelle qui doit cerner la vieille ville.
11h30 je quitte Pampelune ça n’a pas été pénible du tout En route j’ai fait quelques provisions, un petit pain et un chorizo « non piquante ».
12h-15 je franchi le pont médiéval sur le Rio Sadar. Au revoir Pampelune !
12h15 Cizur Menor, un affichage indique 21°. Je dépasse un jeune homme qui peine avec un énorme sac. J’apprendrai plus tard, bien plus tard du côté de Burgos, qu’il est Israélien.
A la sortie de Cizur Menor j’aperçois au loin un marcheur qui a une guitare en plus de tout son barda. En fait il s’agit d’une Allemande, Sandra, qui s’accroche à mon pas quand je la dépasse. On échange quelques mots en anglais ; je comprends qu’elle fait partie d’une communauté où elle est enseignante ; elle voudrait aller en Inde et elle a demandé à pouvoir faire le Chemin jusqu’à Saint-Jacques pour y réfléchir et prendre sa décision. C’est son premier jour, elle a démarré à Pampelune, et est inquiète parce qu’elle n’a pas de crédentiale et elle se demande comment ça va se passer ce soir pour se loger.
On se sépare un peu plus loin, il faut que je m’arrête pour manger quelque chose, ce sera ma première pause depuis ce matin ! Je m’installe sur une butte et de loin je vois Cezur-Menor, c’est impressionnant, c’est désertique, c’est beau.
13h10 je reprends la route. Je suis en pleine forme malgré déjà plus de 20 km dans les jambes, je suis même impatient de reprendre la route, je me mets à envisager d’aller jusqu’à Puente la Reina, même si j’y arrive tard le refuge a 100 places donc ça devrait aller. Il y a trois possibilités : Uterga à 12 km, Obanos à 16, et enfin Puente la Reina à 19. Entre temps il y a quand même un col à 780 m au 8ème km mais après ça descend sans arrêt. Je me méfie de mon enthousiasme, c’est comme ça qu’à chaque fois je me procure un petit problème ; donc prudence.
Le paysage devient désertique, au loin sur une crête toute une batterie d’éoliennes qui tournent, le vent est assez fort, j’ai dû resserrer la jugulaire de mon chapeau qui a failli s’envoler plusieurs fois. Il fait très beau avec une température raisonnable. Ici c’est le paysage d’Espagne tel que je l’aime, tout est ocre, jaune et au milieu, au loin, un petit village perdu au milieu des labours. Ca me plaît beaucoup.
Hier j’avais un petit peu de vague à l’âme et la route m’avait parue interminable peut-être parce que j’étais un peu fatigué. Depuis Pampelune je suis ravi, d’abord par la bonne surprise à redécouvrir cette ville, puis ces étendues qui me séduisent. C’est magnifique, j’adore.
Un coup pour rien j’ai quitté le chemin et suis monté jusqu’au cimetière de Zariquiegui pensant y trouver de l’eau comme c’est l’habitude en France mais le portail était verrouillé. En redescendant, encore un monument à la mémoire d’un pèlerin, un Belge cette fois, qui est venu trouver sa fin ici.
Un peu plus de 14h j’arrive au village de Zariquiegui et comme d’habitude pas un chat mais une fontaine où je refais le plein. Une carte m’apprend que de Pampelune au col (alto en espagnol) del Perdon il y a 12 km et qu’on passe de 496m à 735m. Depuis le village il me reste 100m à gravir.
Le chemin passe juste au pied des éoliennes. Plus on s’approche du sommet, plus le vent est fort. En plus du vent on entend le bruit des pales qui tournent et font comme un bruit de chute d’eau.
14h45 ça y est je suis au col «Alto del Pardòn », il y a un monument, une espèce de frise en métal qui rappelle le passage des pèlerins. La vue sur Pampelune est magnifique. Il y a des éoliennes partout, on en voit également au loin de l’autre côté de la vallée. Avec ce vent l’endroit doit être favorable. Des pèlerins espagnols me proposent de me prendre en photo pour immortaliser cet instant. Le vent par moment souffle terriblement fort, les éoliennes font comme le bruit des moteurs d’un gros paquebot. D’après un panneau indicateur on va redescendre d’environ 500m pendant 10,8 km jusqu’à Puente la Reina.
De l’autre côté du col, plus de vent, il va peut-être faire chaud. Le chemin est caillouteux et parfois très raide. Si c’est comme ça jusqu’au bout cela risque d’être éprouvant pour les genoux.
Après une demi-heure où ce sont en fait surtout mes orteils qui ont souffert, le chemin prend une pente normale. Une fois passé l’abri du col le vent a retrouvé sa vigueur.
15h40 j’entre dans Uterga. De ce côté-ci de la vallée la campagne est beaucoup plus verdoyante, même s’il ya des labours, ils n’ont pas du tout la même couleur, ils sont plus foncés, plus bruns.
Peu avant Muruzabal, à environ 6km de l’arrivée je retrouve Sandra qui faisait une pause. On termine l’étape ensemble. En fait on n’échange pas grand-chose car notre anglais est assez sommaire, en 6km on échangera à peu près 20 mots fondamentaux du genre « c’est à droite » ou « il ne reste plus que 5km » mais on marche à peu près du même pas.
Environ 18h, au refuge des Padres Reparadores à Puente la Reina le problème de la crédentiale est vite réglé : il suffit d’en acheter une. Je m’en procure également une, 1 euro, la mienne se remplissant inexorablement ne sera pas suffisante pour finir le voyage.
18h20 ça y est je suis installé, douché, chaussettes lavées, etc… je pars visiter la ville tant qu’il fait encore jour. Je suis impatient de voir ce fameux pont, encore un des symboles du Chemin. En repartant demain, le Chemin le traverse (il a été construit il y a bien longtemps pour ça !) mais il fera probablement encore nuit. Au milieu du pont j’appelle Hélène. Pour le reste je survole, je parcours la ville d’église en église mais je préfère approfondir plus tard à l’occasion d’un voyage « touristique ».
21h, je sors du restaurant où j’ai partagé un menu pèlerin à 8 euros dans une ambiance très chaleureuse. J’étais en compagnie de Daniel, Bertrand, Martine et Thérèse que j’ai rencontrés en attendant patiemment l’ouverture de l’établissement à 20h : il va falloir s’habituer. Sandra a préféré grignoter tôt et se reposer. Les messieurs sont partis du Puy le même jour que moi et c’est vrai que leur figure me rappelle vaguement quelque chose, mais ça fait déjà un mois. Les dames, elles, ont commencé par le chemin de la côte Nord mais elles s’y sont découragées : trop de grandes villes, pas assez de refuges, elles ont changé leur fusil d’épaule et ont bifurqué sur Pampelune. Elles ont toutes les deux un parent handicapé et font en quelque sorte le Chemin pour lui. A une autre occasion, j’ai rencontré un pèlerin qui, lui, sortait d’une lourde opération suite à un cancer et qui faisait le Chemin pour, d’une certaine façon, se prouver qu’il était encore vivant. Toujours la question récurrente : « pourquoi fait-on le Chemin ? ». Certains ont des réponses valables, mais moi ?
Demain, pour éviter les erreurs du passé, je vais faire une petit étape pour me reposer de ces 40km et puis après on verra. Je vise Estella à 24 km.
Re: Puente la Reina
Bonjour Arthur,
Si vous avez des bottes de sept lieues peut-être pourrez vous faire ces 120 km en une seule étape ;o)
Bonne chance
Re: Puente la Reina
petite question sauriez vous si il est possible de faire ostabat puente la reina en une seule fois
Re : Puente la Reina
Bonsoir Yves,
Que de souvenirs, petits et grands,….à remporter chez soi.
Cordialement
Pierre
Puente la Reina
Juste sublime ce pont, il a plus de 1000 ans.
Je me souviens avoir bu un Carajillo ( café Brandy ) le meilleur que je n’ai jamais bu, ( peut-etre le site ou la fatigue m’ont fait apprécié a sa juste valeur ce café.
Salutations depuis l’Helvétie.
Yves.
Question
Peut-être.
Re: Puente la Reina
Est-ce pour trouver enfin la réponse à la question récurrente qu’on repart une deuxième, une troisième, une énième fois sur ce chemin (ou un autre) ?