Mercredi 24 septembre,
30e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 803 kilomètres
7h45 Saint-Jean-Pied-de-Port.
Le temps est clair, assez frais, j’ai gardé la polaire, on nous promet du beau temps toujours frais, sauf peut-être en soirée.
La journée a commencé par une forte émotion : au moment de reprendre mes bâtons à l’emplacement où il nous était demandé de les déposer en arrivant, ils avaient disparu. Je préviens l’hospitalier qui, très embarrassé, commence des recherches en interrogeant à droite à gauche, il me propose même de m’emmener en voiture pour remonter la file des pèlerins, quand j’aperçois un Coréen en train de quitter le gîte avec sur son sac des bâtons qui ressemblent aux miens. L’hospitalier l’intercepte : ce sont bien les miens reconnaissables à des embouts en caoutchouc ajoutés pour amortir les bruits d’impact sur les sols durs, les routes notamment. Le pèlerin s’excuse et va rechercher les siens au milieu des autres qui attendent leurs propriétaires. Bon, on va pencher vers un défaut d’attention, les miens sont couleur métallique, les siens sont noirs, il a pris la peine de les replier pour les mettre sur son sac : il était sérieusement perturbé ce matin ! Moralité, la prochaine fois je les replierai en arrivant et je les garderai avec moi.
Donc direction Roncevaux, (Roncesvalles en espagnol et Orreaga en basque), à environ 25 km, avec un dénivelé de 1260 m. Tout le monde dit que c’est une montée relativement difficile et beaucoup jouent à s’en faire peur, on va voir.
Après la sortie de la ville où il y a un petit peu de trafic automobile, on suit une toute petite route qui monte régulièrement à l’assaut de la montagne et où il ne passe pratiquement pas de voiture.
9h15 je suis à Hunto. La vallée est magnifique avec des plans successifs de collines et de brumes. On voit assez loin bien qu’il y ait des nuages sur les sommets. Il y a des dégradés de vert, du vert tendre jusqu’au vert foncé en passant par des verts marrons ; les nuages créent des zones d’ombre et des zones lumineuses : c’est très, très beau.
En contrebas de la route j’aperçois deux cyclistes, pas mal chargés, qui sont obligés de pousser leur vélo dans la côte : ça ne va pas être facile pour eux.
J’ai adopté un rythme assez lent, la preuve, je ne transpire pas encore. Malgré cela j’ai remonté pas mal de marcheurs qui m’avaient doublé dans les premiers kilomètres, ou qui étaient partis avant moi, notamment les Coréens. Le monsieur s’excuse encore pour les bâtons et me donne un petit cadeau, je crois comprendre que c’est une serviette ou des mouchoirs ; je verrai plus tard car le mode d’emploi est en coréen ! Ils commencent aujourd’hui et comptent aller jusqu’à Saint-Jacques. La veille ils étaient encore à Paris, ce qui explique peut-être l’erreur de ce matin. Pour un premier jour ce n’est pas forcément le plus facile.
10h j’aperçois un bistrot avec plusieurs tables dehors remplies de marcheurs assoiffés. Certains s’appuient contre le mur pour faire des extensions de mollets : c’est un vrai sport ! Je passe mon chemin. C’était l’auberge d’Orisson, là où les Québécois ont prévu de s’arrêter pour la nuit : ils y seront avant midi, mais autour, rien à faire ! Au-dessus il y a toute une série de tentes, sans doute l’annexe de l’auberge.
11h15 j’atteins le lieu-dit la Vierge d’Orisson (ou de Biakorri), une statue sur un rocher qui domine la vallée. Le temps s’est couvert mais la vallée est au soleil. Il y a un petit vent frais. La montagne est désormais complètement pelée, avec des troupeaux de brebis. L’une d’elles traverse la route en boitillant : elle a peut-être elle aussi une tendinite. Je sais, c’est un peu obsessionnel. Hier alors que je renouvelais mes anti-inflammatoires, le pharmacien m’a dit qu’il voyait beaucoup de cas similaires, la cheville rouge et gonflée devant au niveau du coup de pied. Quand je lui ai fait part du diagnostique du médecin de Moissac il a été surpris, il croyait qu’il s’agissait de périostites. Il y a une analyse à faire : est-ce que c’est propre à cette année, est-ce dû à de nouveaux types de chaussures ? Par exemple les miennes ont un seul crochet en haut et du coup la cheville est beaucoup plus libre ; or d’habitude j’utilise toujours des chaussures avec deux crochets car j’aime bien avoir le pied bien maintenu. Il y a peut être, en plus d’efforts inconsidérés, une raison à cette avalanche de ténosynovites.
Au bord de la vallée on voit des petits abris, des murets en bétons, tous les 50m à 100 m, surmontés d’une planche et je me demande si ce n’est pas encore un stratagème pour dégommer les palombes.
Devant moi la route serpente jalonnée de loin en loin par des marcheurs.
Un peu moins de 12h15 je passe au niveau de la croix Thibault à 1220 m où le Chemin quitte la route. Toujours ce vent frais, la vallée est toujours aussi belle avec des passages nuageux qui font des jeux de lumière. Dans le ciel des rapaces.
12h30 j’atteins la borne 198 qui marque la frontière entre la France et l’Espagne puis quelques minutes après, la borne 199 qui ressemble comme une sœur à la précédente.
12h40 me voilà à la Fontaine de Roland (ou de Bentartea), 1344 m, où je refais le plein d’eau. J’entre dans la province de Navarre. Je suis en Espagne. Désormais le balisage du Chemin par des flèches jaunes côtoie celui rouge et blanc du GR.
Après les pâturages pelés je traverse maintenant une belle forêt de hêtres. Il n’y a que la montagne de vraie : la variété des paysages, les surprises, les jeux de lumières, le plaisir de marcher est bien plus grand dans un paysage accidenté. Par contre il faut que je modère cet enthousiasme et que je me calme car j’ai repris une allure rapide.
13h15 je sors de la forêt ; elle coupait les rares rayons de soleil mais protégeait du vent : j’ai remis ma polaire. Je vais faire une petite pause face au paysage.
13h40 je repars il fait vraiment un froid de canard ! Je m’étais arrêté sur le bord du chemin à l’abri d’un gros rocher sur lequel j’avais appuyé mon sac sur lequel j’avais appuyé mon dos. J’ai vu passer plein de marcheurs et beaucoup m’ont demandé gentiment des nouvelles de ma jambe : comment se rendre célèbre avec pas grand-chose.
14h05 Col Lepoeder 1430 m, le point le plus haut de l’étape et du Chemin. Maintenant c’est vraiment l’Espagne que j’ai sous les yeux. De l’autre côté du col avec le jeux des vallées je n’étais jamais sûr. Les bons ouvrages parlent d’un endroit mythique du Chemin, c’est vrai que ceux qui s’aventuraient ici en pleine tempête ne devaient pas rigoler. Plein de marcheurs se sont arrêtés et profitent de l’instant, de la victoire.
15h10 j’arrive à Roncesvalles, l’imposante basilique se dresse devant moi. Le gîte n’ouvre qu’à 16h je suis donc la procédure espagnole, premier arrivé, premier servi : je mets mon sac à la suite de ceux qui sont déjà alignés devant la porte. Il y a 100 places, je doit être le dixième donc pas de soucis. En fait beaucoup de gens ne s’arrêtent pas là compte-tenu de la mauvaise réputation du lieu (d’anciens pèlerins disent que la promiscuité y est insupportable) mais il y a d’autre gens qui, comme moi, malgré ou à cause de ce mauvais présage voudraient bien se faire leur propre opinion. C’est la journée des grands défis, après la montée, ma fois très accessible, tentons une nuit de folie.
Le temps est gris avec quand même des petits bouts de ciel bleu mais ça sent un peu la pluie.
Pour accéder au refuge il faut remplir un formulaire : nom, adresse, religion, motif du pèlerinage (religieux, sportif, culturel …), à pied , à cheval, en voiture, etc. .Craignant une mesure de ségrégation je me suis trouvé une religion et j’ai coché la case «motif religieux». En fait c’était sûrement inutile. En échange du formulaire dûment complété et du règlement du montant astronomique de 6 euros j’ai reçu mon ticket d’entrée au refuge. C’est une grande bâtisse genre église qui aurait été désaffectée et transformée en dortoir immense : 100 places, 50 lits superposés accolés 2 à 2 sur 3 rangées. Ce qui est impressionnant c’est la hauteur de plafond.
Suite à quelques récits d’intrépides prédécesseurs je m’en faisais une idée glauque mais en fait c’est très bien aménagé. Bien sûr on va être 100 là-dedans. Si ça ronfle ça va être un vrai concert. Les sanitaires sont très modernes, il y a Internet, il y a tout, même une petit musique d’ambiance dont je me serais bien passé, mais qui donne un petit air festif, club de vacances. Arrivé dans les tous premiers j’avais le choix de la place. Après quelques essais j’opte pour une place en hauteur (j’ai vérifié que je pourrais en redescendre sans trop de difficultés) pour bénéficier de la lumière parce qu’en bas c’est le trou noir ou alors il faut mettre la frontale. Petit à petit ça se remplit, ils accueillent jusqu’à 20h. Je ne sais pas combien on est mais c’est quasiment plein.
Après quelques ablutions et un petit repos je suis la visite guidée de la collégiale, malheureusement uniquement en espagnol.
Beaucoup de belles choses dans le Trésor, des tableaux, des retables, de magnifiques émeraudes et tous les objets habituels dans ce genre d’établissement, ciboires, reliquaires…
Ensuite visite de la chapelle Saint-Jacques puis d’un édifice appelé « Silo Charlemagne » construit selon la légende au-dessus de la pierre brisée par l’épée de Rolland, mais on y voit surtout des tombes et un caveau avec un ossuaire : moines, pèlerins… ? J’avoue n’avoir pas tout compris.
Pour le cloître et sa chapelle, c’est comme tout le reste c’est du solide, on n’est pas à Moissac, on a l’impression que des templiers ou des pénitents vont arriver.
Le soir pour le repas il y a une possibilité de «repas pèlerin» dans le restaurant juste à côté. Je vais retrouver ce repas pèlerin tout au long du Chemin en Espagne. C’est un menu à petit prix, entre 8 et 12 euros, qui est généralement servi vers les 19h, en fait un premier service avant l’ouverture réelle du restaurant, donc à une heure compatible avec nos estomacs. Ici il faut réserver et payer d’avance, 9 euros. Nous sommes peut-être une cinquantaine de pèlerins répartis autour de plusieurs grandes tables rondes d’un dizaine de places complétées au fur et à mesure des arrivées. Je fais la découverte des pâtes en entrée, elles aussi me suivront tout le long du Chemin, je ne sais pas si c’est une tradition espagnole ou si c’est pour tenir compte de nos besoins énergétiques. Elles sont suivies d’une truite, une éternité que je n’avais pas mangé de poisson, le tout clôturé par un yaourt, dessert un peu basique, mais l’ensemble fait un repas équilibré. A ma gauche un Berlinois. Je l’avais remarqué dans la montée, il avait tout fait pour cela d’ailleurs : il était équipé d’un parapluie ! A ma droite un Danois qui m’avait remarqué à cause de ma désormais fameuse attelle. C’est super cette attelle je ne vais pas l’enlever, personne ne me reconnaîtrait plus. On a pas mal discuté dans un anglais rudimentaire, du moins de mon côté (un conseil à ceux qui voudraient entreprendre ce voyage : révisez votre anglais !).
A 20h-1/4, on est tous mis dehors. Je crois que c’est pour libérer la place à une nouvelle vague, mais en fait tout le monde se dirige vers l’église et, après enquête, je comprends qu’il y a une bénédiction des pèlerins dans la collégiale. Je m’abstiens.
Ici on est à 932m, ce soir il fait assez frais, je supporte ma polaire. Demain je vise Larrasoaña, à environ 27 km, à 499 m, j’espère qu’il fera plus chaud.
Pour Chantal
Merci d’avance pour le partage de votre prochain Camino.
Buen Camino
Pierre
Chemin jusqu’à Roncevaux
Merci encore
Je reviendrai vers vous après mon chemin en mai 2018
Je vous dirai si j’ai retrouvé certains lieux que vous avez si bien décrit et si les gîtes avaient changé
A bientôt
Chantal
Commentaire
Bonjour,
Très intéressant votre carnet de voyage, et instructif. J’ai moi même fait la partie française et je dois dire que c’est Le Puy – Figeac qui est physiquement la plus difficile. J’ai 75 ans.
Une remarque : le chemin de Compostelle est un chemin religieux. On le prend tel qu’il est ou on en fait un autre.
Cordialement,
RE : faire le vide …
La montée vers le col n’est pas très raide. Il suffit de prendre son temps, ne vous inquiétez pas. Entrainez vous un peu avant et il n’y aura pas de problème.
Buen Camino
Pierre
faire le vide …
je part de bayonne ou st jean , je sais pas trop …le 6 mai de cette année ,j ai juste un peu peur du col a ronseval car j ai 65 ans …je marche beaucoup toute l année mais cela m angoisse un peu …je part seule un enorme besoin de nature et de ressourcement grand merci a vous votre blog est genial et redonne du baume a mon vieux coeur , encore tous mes remerciements
RE : votre itineraire
Bonjour Armelle,
Voilà un commentaire « musclé » qui résonne à mes oreilles comme une récompense à toutes ces heures passées à essayer de partager ce périple.
Buen Camino, ce n’est effectivement pas une course, il faut le savourer à son propre rythme.
votre itineraire
Je déteste les carnets de voyage : ce sont les voyages des autres et seuls les miens m’intéressent.
Et, là, pof ! Je tombe sur un carnet de voyage passionnant.
Bravo !
J’ai décidé de partir seule pour Saint Jacques de Compostelle cette année, c’est pourquoi, j’ai découvert votre blog. Je ferai des étapes plus courtes et mettrai 3 mois s’il le faut, je suis en retraite et ne fais pas un course.
Essayez de remettre votre blog en première page de google; Il en vaut la peine.
Ce sont les meilleurs renseignements que j’ai trouvé et vous êtes assez humble pour ne pas être chiant.
Suiveur virtuel
Bonjour Francis, content de te retrouver sur ce chemin.
Re: Roncesvalles
Salut Pierre !
J’ai attendu un moment fort -plus fort ?- pour me dévoiler en suiveur virtuel.
Et un peu envieux…
Bravo pour tout.
Francis
Revision
You are on the right….Camino, Bernard
Re: Roncesvalles
How beautiful ! I revise but c’is old…
Bleu
Les moutons, qui sont complaisants, se sont adaptés à la couleur dominante du paysage. Des moutons caméléons en quelque sorte.
Bleu mouton
Bleus les moutons ce coup-ci ? Je préférais les « rouges », question de penchants ;o)
Y’a pas, faut que j’aille voir ! EN vélo ? On devine grâce au texte plus qu’on ne les voit les cyclistes qui sont sans aucun doute à la peine… Belles photos.