De Ostabat à Saint-jean-Pied-de-Port – Chemin de Compostelle

Mardi 23 septembre,
29e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 826 kilomètres

Saint-Jean-Pied-de-Port
De Ostabat à Saint-jean-Pied-de-Port
Lever de soleil près d`Ostabat

8h10, je quitte la ferme-gîte Gaineko Etxea à Ostabat. Le temps est légèrement couvert, mais très doux. Si hier soir il a un peu plu, malheureusement sur le linge que j’avais mis à sécher, aujourd’hui ça ne sent pas la pluie au moins pour le moment.

Aujourd’hui j’entame ma 5e semaine et ce sera la dernière étape en France, demain je serai en Espagne.

Brume matinale

Ce matin en partant j’ai vu un nombre impressionnant de valises à roulettes, elles devaient être aux gens des groupes : à chacun son Chemin (je m’y mets aussi…). J’ai déjà évoqué le cas de ceux qui oublient leurs chaussures mais aujourd’hui nouvelle formule : une dame s’était trompée de chaussures. C’est un vrai problème : beaucoup de chaussures sont identiques et il peut y avoir des confusions de la part des étourdis. La malveillance paraît exclue car marcher avec les chaussures d’un autre est sûrement très inconfortable. Heureusement les appels angoissés de la propriétaire légitime ont alerté l’attention de la première et la catastrophe a été évitée. J’ai toujours eu peur que cela m’arrive et généralement je fais un nœud ou quelque chose de spécial pour attirer l’attention d’un marcheur mal réveillé.

Au loin les Pyrénées

Côté jambes, la jambe droite, traitée dès les premiers symptômes, s’améliore très rapidement. Je surveille aussi la gauche qui est dans la situation d’un aîné qui aurait été viré de sa poussette par un cadet trop rapproché : jalouse, elle pourrait se mettre à râler et refuser d’avancer ! Il y a un phénomène bizarre. Quand je n’avais pas encore compris que j’avais un début de tendinite j’ai fait en gros 150 km dont plusieurs étapes de 40 km avec ce problème qui était par moment à hurler. Maintenant avec la deuxième blessure et la première qui pourrait se réveiller, l’idée de revivre cette douleur m’est insupportable. Ancien migraineux, je vivais très bien avec mes migraines, enfin je vivais très mal mais j’étais habitué. Quand, après des années et des années de recherche un traitement a enfin réussi à éliminer ce tourment, la simple idée d’en avoir à nouveau, ne serait-ce qu’une seule, m’était tout simplement intolérable. On peut s’habituer à une certaine souffrance et vivre avec, mais à l’instant où elle a disparu, son simple souvenir nous fait mettre tout en œuvre pour l’éviter. C’est pavlovien.

Borne laïque

Ce matin j’ai donc adopté un pas de sénateur. L’étape n’est pas très longue, il n’y a donc pas le feu. Je me suis déjà fait doubler, plusieurs fois, et je n’ai ressenti aucune impulsion, aucune démangeaison pour presser le pas. Je deviens de plus en plus zen. Encore 500 km et je regarderai avec bienveillance les groupes bruyants et envahissants.

La croix de Galcetaburia

Depuis plusieurs jours le long de la route on voit des bornes cylindriques en béton, d’environ 60 cm de haut, frappées de la coquille, et qui jalonnent le Chemin de Compostelle. Est-ce le classement du Chemin au Patrimoine Mondial de l’Humanité qui est à l’origine de ce balisage « laïque », la coquille étant un signe acceptable par tout le monde, croyants et incroyants, qui vient compléter les traditionnels crucifix et autres calvaires ?

A ce propos, un peu plus de 10h, je viens de croiser, si j’ose dire, la croix de Galcetaburia.

Il fait beau, on devine dans le fond des masses sombres plus élevées que les autres. Ce n’est toujours pas la belle montagne qu’on aimerait voir.

Il est à noter que de même que toutes les Anglaises ne sont pas rousses, toutes les maisons basques n’ont pas leurs volets rouges. Il y en a beaucoup de verts et d’autres plus originaux, probablement des rebelles.

11h, petite pause. Il y avait un champ avec une barrière ouverte, j’en ai profité car tout est clôturé, sans doute pour le bétail. Je suis dans une pâture, le dos appuyé contre un gros chêne à proximité d’un petit ruisseau et apparemment il n’y a pas de bovins qui viendront me taquiner. Dans le fond on aperçoit enfin les Pyrénées, les plus hauts sommets sont dans les nuages, c’est très beau.

Un peut plus de 12h je reprends la route. J’ai profité de la pause pour casser la croûte, de toute façon il ne faut pas arriver avant 14h30 au gîte d’étape donc on peut prendre son temps. Une  grande partie du ciel est très bleue. Il fait très doux, je suis en chemisette, j’ai enlevé mon gilet coupe-vent, le soleil est présent mais pas agressif.

Hier j’ai dû régler mon sac : j’avais une petite douleur dans le dos. J’ai dû maigrir. A propos de poids, l’autre jour l’Islandaise qui est déjà épaisse comme un coucou a dit avoir eu l’occasion de se peser : elle avait perdu 4 kg. Je vais sûrement moi aussi m’affiner.

Bien équipés !
Saint-Jean-le-Vieux

Je viens d’être doublé d’un bon pas  par trois jeunes qui portent l’équipement complet : tentes, tapis de sol, gros bidons d’eau. C’est beau la jeunesse.

En route j’ai retrouvé les Québécois, cette année ils ont commencé le Chemin à Aire-sur-l’Adour et vont jusqu’à Pampelune. Ce soir on n’a pas réservé le même gîte et demain ils s’arrêteront à Orisson dans la montée vers Roncevaux. Donc il y a peu de chance pour qu’on se revoie. Dommage, ils sont très sympathiques.

13h35, Saint-Jean le Vieux. En route, la petite église de la Madeleine à côté de la rivière Laurhibar.

Chapelle de la Madeleine
La porte Saint-Jacque à Saint-Jean-Pied-de-Port

14h30 je suis au pied de la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port. Il fait très doux et très beau.

14h40 Ca y est je suis dans Saint-Jean ! Emotion, ça fait quand même quelque chose. J’ai passé la porte Saint-Jacques et pour marquer l’événement je me suis fait prendre en photo par un couple de marcheurs. Après en repartant je les ai entendus se chamailler : « elle ne prenait pas bien les photos », « c’était toujours pareil il ne lui faisait pas confiance », etc…. la routine quoi. Bon, je vous rassure, ils ont survécu : je les rencontrerai à nouveau du côté de Saint-Jacques.

Je remonte la rue de la Citadelle, puis la rue d’Espagne où se trouve mon gîte, le « Chemin vers l’étoile ». Accueil très chaleureux accompagné d’une menthe à l’eau ; à la vue de mon attelle, le patron, qui doit avoir mon âge, insiste pour monter mon sac dans la chambre pour «lui rappeler le temps où il faisait le Chemin».

Les livres des récits de mes marches vers Compostelle

C’est une chambre pour huit. Je serai bientôt rejoint par Régina, qui était déjà avec moi hier soir, les deux Allemands de Nuremberg rencontrés à Argagnon, et d’autres gens vus au repas hier soir à Ostabat. Parmi eux une Allemande assez revêche qui, en remarquant mon attelle, devient très gentille : décidément ça n’a pas que des inconvénients.

Notre-Dame-du-Bout-du-Pont

En vue de la montée de demain que certains décrivent comme une vraie épreuve, je décide de m’alléger un peu : je vais renvoyer à la maison le guide sur le Chemin en France qui ne m’est plus utile et j’en profite pour y joindre un slip, un t-shirt, une paire de chaussettes, mes lunettes de soleil (le chapeau suffit amplement) et diverses bricoles qui ne m’ont jamais servi et qui tout compte fait ne me serviront pas. A la poste, catastrophe : grève ! Devant mon air dépité et sans doute mon profil « pèlerin », l’employé me dit qu’il peut faire un effort si j’ai le compte exact du coût de l’envoi. Chance, j’ai la monnaie. Merci au postier compatissant. Ce soir je verrai que Régina a eu droit aussi à une dérogation : elle a pu récupérer un colis en poste restante. Heureusement pour elle, car elle s’était notamment fait envoyer son duvet : en France il n’est pas indispensable,  tous les gîtes fournissant des couvertures, mais en Espagne ce n’est pas le cas, à quelques exceptions près il n’y en a jamais !

Notre-Dame-du-Bout-du-Pont
Saint-Jean-Pied-de-Port, rue de la Citadelle

Je fais un petit tour de ville mais je n’ai pas le courage de monter à la citadelle, pourtant un ouvrage remanié par Vauban, je me contente de la cité médiévale. En fait je passe un grand moment à écrire et envoyer des cartes postales à mes petits enfants pour commémorer cette étape importante (pour moi). Il faut dire aussi que Saint-Jean grouille de touristes, randonneurs et pèlerins dont certains  arborent fièrement leur coquille autour du cou : retour à la civilisation.

Au hasard de ma flânerie je retrouve l’Islandaise puis les deux Belges croisés eux aussi à Nogaro ; demain ils vont à Roncevaux.

20h Saint-Jean c’est vidé de ses habitants ou plutôt de ses visiteurs, les rues sont désertes. J’ai été manger dans un petit restaurant où j’ai commencé mon éducation espagnole en tentant un «plat combiné» : frites, salade, fromage de brebis, poulet basquaise, le tout dans la même grande assiette, baignant dans la sauce de la piperade ; un peu spécial, pas mauvais mais ni fait ni à faire.

Demain, direction Roncevaux, en Espagne, à environ 25 km, en passant par le col de Lepoeder, 1430 m, point haut de l’étape. Ici on est à 163 m. Donc une belle grimpette en perspective. Mes chevilles ont l’air d’attaque. Vu le contexte, « A la grâce de Dieu » est l’expression qui s’impose. En Espagne, il va falloir tout réapprendre du Chemin : la langue bien sûr, les habitudes alimentaires, le balisage désormais marqué par des flèches jaunes et surtout l’impossibilité de réserver à l’avance une place dans un gîte d’étape, les « albergue del pellegrino ». J’ai l’impression de commencer un deuxième Chemin. L’aventure continue, rebondit.

Entrée du gîte Le Chemin vers l`Etoile
748 kilomètres parcourus depuis le Puy-en-Velay

 

14 réflexions au sujet de “De Ostabat à Saint-jean-Pied-de-Port – Chemin de Compostelle”

  1. Sur les chemins
    Je me répète peu être mais j’ai adoré chaque année nous faisons 8jours sur les chemins français
    J’ai déjà fait le chemin espagnol en 2001 c’était génial
    Mais celui qui est super que j’ai fait en 2010 c’est le chemin portugais je suis partie de Porto jusqu’à Vigo le reste jusqu’à saint Jacques je l’avais déjà fait
    Merci encore pour votre récit et vos photos
    Chantal

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  2. Pour jclorraine
    Bonjour,
    Dans mon article sur « Le sac à dos » (voir dans les Ressources ») j’écris que j’avais 9,5 kg sur le dos (sans l’eau et la nourriture) au final en 2009, donc pour mon second voyage, donc avec un peu d’expérience sur ce qui m’était nécessaire, ce qui peut être un peu différent d’une personne à une autre.
    Pour ce qui est du guide j’avais celui des Rando Editions. Il faudrait vérifier si l’édition a été mise à jour.
    Le départ est proche, Buen Camino !
    Pierre

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  3. Re: Saint-Jean-Pied-de-Port
    Bonjour Pierre,
    je viens de terminer la lecture de cette 1ère étape ( Le Puy St JeanPied Port)
    De beaux moments, racontés avec simplicité et éloquence, et de bien belles images. merci
    Mon départ s’approche (J-54) et je m’instruis et m’enrichis de votre expérience.
    Question : quel était le poids de votre sac au départ ? et quels guides avez vous emporté pour la partie française ?
    bien cordialement
    jc

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  4. Première partie
    Merci à l’ancien du Chemin.
    Pour moi l’idéal serait de pouvoir écrire une étape par jour mais je suis loin du compte.
    Ne désespérez pas amis lecteurs la suite arrive !

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  5. fin de la 1ère partie.
    « presque hard… »
    La première partie du chemin se termine par une sortie de piste humoristique…
    Je suis toutes tes étapes depuis le début, dommage que le temps manque parfois de ne pas pouvoir lire une étape par jour! mais je me rattrape dès que j’ai le temps.
    Voila, bravo pour les récits, et les photos : je me retrouve un peu dans tout çà, 4 ans après!

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  6. Partage
    Comme beaucoup d’expériences un peu extrêmes, qu’il s’agisse d’évènements personnels (deuil, divorce, enfance douloureuse, …) ou d’aventures plus physiques (ascension de grand sommet, marathon, …) il est toujours difficile de vraiment partager avec ceux qui ne les ont pas vécues. Mais avec un peu d’amour de part et d’autre rien n’est impossible.
    Pour l’avenir j’ai quelques projets (quand le virus est pris…). A suivre.
    Ce dialogue prend une tournure qui dépasse un peu le cadre de ce récit de voyage. Si vous voulez le poursuivre merci d’utiliser la page Contact du site. A bientôt ….

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  7. Solitude
    Merci de votre réponse. Certes la solitude doit être plus grande pour celui ou celle qui reste que pour celui ou celle qui est, on la sent monter, dans l’exaltation. Et qui dit exaltation dit envie de partage et, croyez-en mon expérience, on partage peu avec celui/celle qui est resté(e) « à terre ». Cela peut d’ailleurs conduire à de violentes ruptures. Qu’en a-t-il été à votre retour ? Allez-vous donner une suite à ce voyage en solitaire ?

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  8. Solitude
    C’est évidemment une question qu’on peut se poser. Je ne sais pas si c’est l’effort quotidien de la marche, mais cette solitude sexuelle dont vous parlez ne m’a pas pesée. On n’est pas non plus des bêtes et si on n’est pas au départ dans une grande frustration on peut attendre, même plusieurs mois, le retour. Il est vrai aussi que je n’ai plus à subir les exigences des hormones de mes 20 ans !
    Je ne peux pas parler à la place de ma femme, mais sans doute que, restée dans le « quotidien », elle a plus ressenti la solitude que moi qui était dans « l’extraordinaire ». Mais nous étions en contact téléphonique et elle était bien entourée par ses amis et la famille.

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  9. Re: Saint-Jean-Pied-de-Port
    Il a été question de votre femme au début du récit. Que fait-elle pendant tout ce temps ? Comment gérez-vous (désolé mais j’ose) votre solitude sexuelle ? A moins que les rencontres sur Le Chemin…

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  10. Re: Saint-Jean-Pied-de-Port
    quel plaisir de parcourir ce carnet de voyage

    puis-je le trasmettre à une amie qui a fait ce chemin

    bises

    chantal

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