De Arzacq-Arraziguet à Argagnon – Chemin de Compostelle

Samedi 20 septembre,
26e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 933 kilomètres

Argagnon
De Arzacq-Arraziguet à Argagnon
Chasseur et son chien
Brumes matinales

7h20 le jour se lève à peine. Je quitte le centre d’accueil communal d’Arzacq-Arraziguet en direction du gîte d’étape du Cambarrat à Argagnon, 39 km.

Il fait doux, je suis en chemisette et gilet coupe-vent. Une petite brume sur les champs. Pas de randonneurs.  Le chemin est herbeux, étroit, en ce moment je  fais le tour d’un lac, au passage j’entends des plongeons : je dois déranger des animaux ou des volatiles.

7h40 ça y est il fait vraiment jour. Il n’y avait pas besoin de prendre la frontale.

Le silence de la campagne n’est troublé que par quelques meuglements. Pas un signe de vie à part les bovins dans le champ qui mastiquent consciencieusement.

Arbre du pèlerin

Hier «le fonceur» et moi avons échangé nos expériences en matière de petits bobos. Il ne comprenait pas que je sois resté à Moissac trois jours au lieu de rentrer chez moi pour me soigner. Comme quoi on peut vraiment diverger sur certaines manières de voir la vie. Pour moi, rentrer aurait signifié abandonner même si c’était pour revenir trois jours après. La Canadienne, avec l’enthousiasme de la jeunesse, affirmait que « quand il y a un problème il y a une solution ». Je suis un peu plus réservé mais on peut toujours agir comme si on y croyait.

8h35 sur un pont sur Luy de France un agriculteur arrête son 4×4 à côté de moi et descend pour discuter. Il a besoin de parler, de s’épancher. Apparemment la vie n’est pas facile. Les cours fluctuent, en ce moment avec les problèmes de la Bourse ils s’effondrent même carrément. En plus il y a la concurrence des nouveaux pays européens. Il se plaint des coûts : l’irrigation, les contraintes anti-pollution…  Pour la viande il raconte qu’il produit des veaux qui sont ensuite envoyés en Espagne où on les bourre de nourriture OGM avant de les ramener en France où ils seront vendus comme « viande d’origine française ». Bref  tous les sujets de récrimination y passent. J’en profite pour élucider le mystère des rangs de maïs rabattus : ce sont des cultures pour la semence, on élimine les rangs mâles après la pollinisation et avant la récolte. La rencontre est intéressante même si parfois il propose des solutions un peu radicales et musclées pour résoudre ses problèmes. Mais le temps passe et j’ai une longue étape : au bout d’un bon quart d’heure je prends congé … avec un maximum de diplomatie.

Lavoir à Larreule

9h15 le soleil est là, il commence à chauffer. Le profil du chemin est plus accentué que les jours précédents. Le paysage est vallonné avec essentiellement des prairies.

Un peu plus de 10h je suis à Fichou-Riumayou. Pour cause d’inattention je viens de faire un détour d’une bonne demi-heure. Je me suis retrouvé sur la grande route sans plus aucune trace du balisage. Heureusement un panneau routier indiquait Fichou-Riumayou, je l’ai suivi. J’avais bien remarqué que mon ombre sur le chemin était derrière moi alors que d’habitude à cette heure-ci elle est plutôt sur ma droite. Mais je n’ai pas réagi. Il va falloir assumer ce détour imprévu dans un planning un peu serré : il y a bien sur la distance mais il faut aussi arriver avant la fermeture du gîte et avant le repas.

Je viens de croiser un chasseur et son chien. C’est vrai qu’on est samedi mais les coups de feu sont très rares, rien à voir avec le déchaînement de la semaine dernière du côté de Lectoure.

10h30 je suis au centre de Larreule ; à l’entrée il y a un beau lavoir.

Eglise à Uzan

11h-15 je viens de passer un petit pont au dessus de Luy de Béarn, tout à l’heure c’était au-dessus de Luy de France. Peut-être étais-je dans l’ancien « no man’s land » entre la France et le Béarn, le pays d’Henri iV, celui qui « donna la France au Béarn » (manquait pas de toupet, pardon, je veux dire de panache !).

Dans la région les boîtes aux lettres ont souvent un petit autocollant avec le nom d’un journal « L’Eclair », « La République » : sans doute pour guider le livreur dans sa distribution.

11h40 je repars après une pause un peu avant Uzan. Compte-tenu de l’afflux des pèlerins vers Saint-Jean-Pied-de-Port j’ai décidé de réserver mes dernières étapes avant l’Espagne. Pour demain ce sera à Lichos à 39 km, au gîte Lou Brousta qui se présente comme un « gîte musical ». Je suis curieux de voir de quoi il retourne. Ensuite ce sera le gîte d’étape Izarrak à Ostabat. Enfin pour la dernière étape le guide suggère de s’avancer dans la montée vers le col de Roncevaux et de réserver avant Huntto, mais en fait tout est déjà réservé jusqu’à début octobre ! Donc ce sera Saint-Jean-Pied-de-Port. Une étape courte, 23km, mais qui me permettra de me reposer avant la montée.

Le Chemin

12h20 réapprovisionnement en eau dans le cimetière du village de Veus. Des frontons de pelote basque commencent à apparaître. Les nuages s’amoncellent. Ils apportent une certaine fraîcheur, j’espère que ça n’ira pas jusqu’à la pluie.

Je retrouve cette espèce d’euphorie à marcher d’un bon rythme. Sans doute les endorphines qui me dopent. C’est agréable mais il faut que je fasse attention à ne pas faire n’importe quoi !

13h35 je suis en haut de Castillon après une côte assez sévère où j’ai beaucoup transpiré : depuis un petit moment le goudron est revenu et le soleil itou.

A la sortie de Castillon un panneau routier annonce Arthez-de-Béarn 3 km alors que sur le chemin il est indiqué Arthez-de-Béarn 1h. 1h c’est à dire 4 km. A cet endroit « le fonceur » n’a pas dû hésiter !

Sur le chemin beaucoup de vieilles maisons en galets sont complètement à l’abandon, envahies par la végétation, le toit à moitié effondré. Quelques-unes ont été restaurées, elles sont très belles.

Le Chemin

Aujourd’hui je n’ai pratiquement pas vu de randonneurs, sauf lorsqu’ils faisaient une pause. Devant moi personne, derrière moi personne.

14h pause. Je dois être à 3km d’Arthez-de-Béarn. Il me reste donc environ 10km à faire (2h30) plus les pauses (1h30) : c’est bon, je devrais être au gîte pour 18h.

15h15 au pied de l’église d’Arthez-de-Béarn.  Il y a un rallye automobile. Il y a de très vieilles bagnoles de sport sur une place et d’autres, un peu plus récentes, circulent en pétaradant dans les petites rues de la ville.

Maison en galets

Arthez est composé de grosses maisons bien solides, massives, à un étage, toutes, même les plus modernes,  construites dans le même style, voire le même modèle.

Les livres des récits de mes marches vers Compostelle

L’église est moderne, du 19e siècle, avec la particularité de s’être accrochée à un ancien donjon dont elle a fait son clocher.

Arthez - Eglise

Depuis Arzacq-Arraziguet je double et je redouble un randonneur. Tout d’abord je l’avais pris pour un  travailleur saisonnier avec sa tenue plus proche de celle d’un ouvrier ou d’un paysan que celle des marcheurs. Nous avons échangé quelques mots mais il ne parle ni français ni anglais. Depuis on sympathise tout simplement en s’indiquant la route : celui qui est en tête fait un signe à celui qui est derrière quand il y a un changement de direction. Je marche plus vite que lui mais lui ne s’arrête pas souvent et doit me doubler quand je fais mes pauses ou lors de mes erreurs de parcours  car je le retrouve toujours devant moi alors que je le croyais derrière : il trace sa route tranquillement. Je le surnomme « le traceur ». J’aime bien donner des surnoms, à usage purement interne, aux gens que je croise et dont je ne connais pas le nom ou le prénom.

Environ 15h45 le chemin suit une ligne de crêtes entre deux vallées : au loin des vallonnements mais toujours pas de Pyrénées. De temps en temps un abri pour l’accueil des pèlerins : quelques sièges à l’ombre où on peut poser les fesses.

17h10 je suis installé dans le gîte, j’ai bu plusieurs menthes à l’eau bien fraîche.

Le gîte fait partie d’une très grande maison entourée d’arbres, l’endroit est très agréable. La partie « gîte »  affiche un style « rétro », rustique, une ambiance maison de campagne 1900 avec meubles en bois, évier en vieille pierre, et …  toilettes à l’extérieur. On sent que la décoration n’a pas été faite au hasard.

Arthez - Maisons

Le « traceur »  me rejoint quelques instants plus tard. Un Français d’Anjou est déjà là. Il vient du Puy à pied mais fait des petites étapes et confie le portage d’une partie de ses bagages à une société car il « aime bien son confort ».
Il y a aussi deux Allemands de Nuremberg dont l’un parle un français hésitant. Ils ont commencé le Chemin depuis Nuremberg il y a plusieurs années avec un groupe d’amis qui s’est décimé au fil du temps suite à des décès ou à des incapacités. A la question « Poursuivrez-vous l’année prochaine ? » le plus grand répond  « on verra car j’ai 80 ans » !  Il est taillé comme un bûcheron et ne fait vraiment pas son âge. Comme le « traceur »,  qu’ils ne connaissent d’ailleurs pas,  ils sont habillés comme s’ils allaient au champ ou comme des randonneurs de montagne bavaroise, aucun vêtement synthétique : une bonne grosse chemise à carreaux, des chaussures en cuir qui auraient leur place en ville, ils ne font que 15 jours à chaque fois mais quand même ! Du « traceur » on apprendra qu’il est d’Innsbruck et que comme tous il va jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port. Ca sera tout, le français du traducteur n’a pas permis d’en savoir plus.

Le soir le repas n’est pas très gastronomique mais nourrissant. La surprise vient de notre hôte qui apparaît à la fin du repas avec un banjo sur lequel  il nous joue des petits airs des folklores américain, irlandais,… Très sympathique, on chantonne avec lui quelques airs connus : la musique n’a pas besoin de traduction.  Une autre surprise nous attend, sa femme, qui a pour métier la décoration de services de table dans le style basque, a dessiné à la main le tampon sur notre crédentiale. Merci.

Demain direction le gîte musical Lou Brousta à Lichos à 39 km. Encore une surprise ?

Vers Argagnon
658 kilomètres parcourus depuis le Puy-en-Velay

 

6 réflexions au sujet de “De Arzacq-Arraziguet à Argagnon – Chemin de Compostelle”

  1. RE : à la source
    Bonsoir Jean,
    Sur le bord du Chemin l’appel doit être encore plus fort qu’ailleurs. Je ne suis pas beaucoup plus jeune que toi (2 ans) et l’année dernière j’ai marché jusqu’à Rome, donc si tu as de bonnes jambes et l’envie au cœur tu as raison, suis le GR et tu verras bien jusqu’où il te mènera
    Buen Camino Jean !
    Pierre

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  2. à la source
    Natif d’Argagnon, j’y ai vécu 17 ans avant exil pour Paris. Le nom de ma maison, mon propre nom, figure comme point de repère dans les anciens topoguides du GR65. Mes parents, puis ma soeur, ont ravitaillé voire hébergé des pèlerins de tous âges et origines. Ton récit est très vivant. J’avais le projet de faire le chemin depuis ma maison. Pas réalisé. Tu me donnes espoir, je n’ai que 70 ans. Le « bûcheron » allemand marche encore à 80. Alors merci

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  3. Re: Argagnon
    ben ça y est… j’ai tout lu… ça a un gout de trop peu! heureusement qu’il reste encore 950 km de route à lire! ;o))
    merci pour cette belle tranche de vie!

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  4. Surnom
    Comme je connais depuis longtemps mon prénom je n’ai pas trouvé nécessaire de me donner un surnom et je ne connais pas celui dont m’ont « habillé » mes compagnons de route 🙂

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