Dimanche 14 septembre,
20e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1091 kilomètres
8h, je quitte Castet-Arrouy. Il fait frais, le ciel est couvert mais dégagé dans le lointain. Cette nuit il a fait froid j’ai dû rajouter une couverture sur le duvet. La nourriture sans doute trop riche du restaurant d’hier soir m’a un peu barbouillé cette nuit mais ce matin ça va mieux. Ma jambe va très bien avec l’attelle. Tous les jours ça a l’air d’aller un peu mieux. Espérons !
Hier soir au restaurant, un client nous a appris qu’aujourd’hui dimanche c’était l’ouverture de la chasse. J’entends des coups de fusil. En principe ils ne devraient pas me prendre pour un lièvre, je ne vais pas assez vite.
Ce même client, un autochtone, pensait que nous avions vu le plus beau du Chemin en traversant le Massif Central, parce qu’ici c’est trop agricole pour être beau surtout en cette saison sans les fleurs dans les plantations. L’herbe est toujours plus belle dans le champ du voisin, moi je trouve ça agréable, paisible avec tous ces entrecroisements de champs de diverses cultures et les petits villages au sommet des buttes, même si beaucoup de champs sont déjà labourés ou rasés (il ne reste plus que le bas des tiges de tournesol). En plus ce n’est pas du tout escarpé et ça, en comparaison avec le Massif Central, c’est vraiment une qualité qui séduit ma jambe : je lui passe tous ses caprices.
Un chasseur vient de tirer trois coups de suite, je le vois ; il est à 80, 100 mètres, ce n’est pas franchement rassurant.
Depuis un moment le chemin suit un petit ruisseau au milieu des champs et des chasseurs. Il a plu ces jours-ci et le sol est très glissant, j’échappe à deux gadins en improvisant quelques pas du patineur sur boue. Ma cheville me fait franchement sentir qu’elle n’aime pas ces fantaisies mais elle tient le coup. On en viendrait à regretter le goudron.
Autour de moi je compte 5 chasseurs dans un rayon de 50 mètres ça pète sans arrêt, j’aimerais bien être sorti de cette zone. Devant moi un lièvre traverse le chemin, un rescapé. Je ne sais pas s’il va tenir jusqu’à ce soir.
9h45 j’aperçois Lectoure sur son promontoire. Malheureusement le ciel est très bas : ce serait sûrement magnifique avec le soleil.
10h 30 j’arrive à Lectoure. Silence assourdissant, même ma cheville est muette.
L’office de tourisme garde gentiment mon sac à dos pendant que je fais un tour de ville : la cathédrale Saint-Gervais-Saint-Protais avec une très grande voûte, l’ancien palais épiscopal transformé en hôtel de ville avec sa salle des « illustres », apparemment Lectoure a engendré beaucoup de généraux dont le Maréchal Lannes. La ville est assez importante avec des maisons anciennes, des hôtels particuliers, des fortifications. Le froid de canard n’incite pas trop à la flânerie.
Pour me réchauffer et passer le temps (le gîte d’étape à Marsolan n’ouvre qu’à 15h) je m’installe dans la cathédrale, à ne rien faire. Ça peut paraître bizarre mais depuis quelque temps je m’y suis habitué. En fait ce n’est pas que je ne fasse rien : je travaille à réparer ma cheville. Je ne m’ennuie pas, il y a de l’animation : des randonneurs traversent pour visiter ou pour se recueillir, un groupe de touristes, genre troisième âge avancé, visite la cathédrale avec un guide fougueux qui traverse la nef au pas de charge ; arrivé au bout il n’a plus que 3 personnes à sa suite, les autres étant encore au début de la nef mais, rien de grave, il revient dans le même élan et du coup le groupe se reconstitue. Un professionnel.
12h30 je quitte Lectoure. Il fait un peu plus doux, le ciel bleu a triomphé des nuages. Je traverse une zone horticole avec des serres et des plantes en pot : ça sent très bon.
13h30 je m’offre une pause gastronomique, au menu une tomate, saucisson pain sec, une pomme (j’ai déjà mangé l’endive dans la cathédrale). La vue sur Lectoure est magnifique. Une fois absorbé ce plantureux repas je reste encore quelques instants à profiter du moment. Quand on y pense, c’est un luxe incroyable. Je suis là, allongé le dos contre un arbre, à l’ombre, il fait doux, devant moi Lectoure qui se donne un air italien avec ses cyprès. Je prends mon temps pour la convalescence de ma cheville mais aussi pour savourer l’instant. J’y vais tranquille, sans limite de temps … Je ne sais pas si l’aventure va se poursuivre jusqu’au bout mais malgré cet épisode un peu douloureux ça reste exaltant. Peut-être même que ma cheville m’apprend enfin à voir le Chemin autrement qu’un parcours de course d’orientation. Il faut bien reconnaître que j’apprécie mieux depuis que j’ai l’espoir que ma cheville se comporte à peu près normalement. Avant j’étais plutôt, non pas désespéré, ce n’est pas le mot, mais dans l’inquiétude, dans le doute.
14h30 je reprends la route. Il y a des gros nuages mais le ciel bleu persiste ; par contre le vent s’est un peu levé. Cet après-midi pas de bruit de chasseurs, ils ont dû aller ripailler autour de ce qu’ils ont chassé ce matin. La route est sans accidents, c’est parfait. Jusqu’à présent ma cheville s’est bien comportée, à moins que ce soit moi qui me sois bien comporté avec elle.
Je viens de passer un champ au bout duquel il y avait une rangée de fleurs et des petits arbres, sans doute de futurs arbres fruitier. J’en ai vu à plusieurs endroits, les cultivateurs ornent leur champ d’arbres en bout de champ, c’est joli.
Outre qu’elle m’aide à marcher, l’attelle a d’autres avantages. Elle permet aux autres marcheurs de m’identifier, de me reconnaître, et elle me fait entrer en contact avec tous les gens qui ont eu un problème de ce genre. A l’office de tourisme il y avait un homme, un touriste, qui m’a dit avoir eu une entorse qu’il avait laissée traîner et que depuis il était obligé de porter une attelle dès qu’il voulait faire une promenade. A la vue de cet appareil orthopédique les gens partagent avec moi le souvenir encore douloureux de leur petit ou de leur gros bobo.
15h45 j’arrive au gîte d’étape, « l’Enclos du Tabus » à Marsolan.
Nous sommes dans un petit bungalow, un couple et moi, chacun dans un dortoir donc peinards. Dans la pièce commune, le gars, qui a l’air accro aux sports, a allumé la télé mais sans le son, donc à part le fait que ça m’irrite un peu (« A-t-on besoin de télé sur le chemin de Compostelle ?») ce n’est pas gênant une fois dans la chambre.
Le soir, repas avec nos hôtes. Nous sommes les seuls « clients ». Au menu, pâté de canard (on échappe difficilement à ce volatile dans cette région), cuisse de poulet rôti avec des pommes de terre sautées et compote en dessert. C’est simple mais copieux, sans doute un petit peu gras comme d’habitude. La veille ils avaient 20 personnes et ils en attendent autant mardi. On serait donc dans un creux de vague, depuis quelques jours on n’est jamais plus de 3 ou 4.
Après le repas, petit tour de village. En général on mange, on se couche, ce qui, au niveau digestion, n’est pas l’idéal. Dans un jardin, un palmier. A ma demande, le propriétaire me dit qu’il l’a planté il y a environ 10 ans (je n’aurais pas cru que ça poussait si vite, le tronc fait bien une dizaine de mètres). Les hivers sont très doux même si le thermomètre peut parfois descendre à -15° mais ça ne dure jamais plus de 2 à 3 jours.
La région est appelée le Nouveau Luberon, les Anglais, les Hollandais se jettent sur les propriétés ce qui fait monter les prix et, toujours le même problème, les gens du coin ne peuvent plus acheter. C’est vrai que c’est très paisible, peut-être un peu trop agricole mais très agréable.
Demain je n’ai pas prévu de passer par La Romieu. Aux dires des gens, même ceux du coin, quand on a vu Moissac, La Romieu ne vaut pas le coup. Donc je vais éviter ça à ma cheville. J’irai tout droit sur Condom ce qui en plus me fera gagner 5 bornes.
J’ai réservé à Condom, en fait dans un gîte équestre à 1 km de Condom, « l’Etrier Condomois » à 17 km d’ici. Je reste prudent.
Pour François
Merci pour vos encouragements.
Buen Camino
Merci
Un gros merci de nous partager votre voyage… Vos photos sont magnifiques et votre récit savoureux, je le déguste depuis le début. Bravo et encore une fois, Merci.
Cheville
Merci la brune,
Ma cheville s’arrange bien et j’espère affronter le col de Roncevaux et l’Espagne avec un moral et une cheville d’acier.
A suivre…
Re: Marsolan
Cheville, cheville ! Un coup à appréhender l’approche de l’Espagne !