Samedi 13 septembre,
19e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1112 kilomètres
8h, je quitte Auvillar l’estomac vide : pas moyen de trouver un bistrot qui serve un petit-déjeuner. Dans le bar d’un hôtel j’ai demandé s’ils servaient des petits-déjeuners, un groupe de randonneurs était déjà attablé devant des monceaux de croissants et de tartines, sans doute des clients de l’hôtel. Le barman voulait bien me servir un café mais rien pour l’accompagner, soi-disant qu’il n’avait plus de pain alors qu’il y avait deux baguettes sous son coude. Je suis parti sans son café, il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu…. j’ai ma fierté et ça ne m’est pas essentiel. J’ai quand même trouvé à acheter un petit pain au chocolat. Le ciel est bleu avec quelques nuages. Il fait froid, j’ai le bout des doigts qui pince mais on dirait qu’il va faire beau. Je ne sens absolument pas ma jambe, je reprends espoir : petite embellie.
Environ 9h je viens de dépasser Bartigues. Le ciel est à la fois plus menaçant et plus lumineux, mais toujours ce même silence. Il faut dire que c’est le week-end, quelques agriculteurs partent quand même au travail sur leur tracteur et tous me font un petit salut de la main quitte à se retourner. J’essaye d’aller lentement en imitant les limaces qui foisonnent sur le bord de la route en raison de l’humidité.
Un groupe de randonneurs passe pendant que je fais la petite pause que je m’impose toutes les heures. C’est le groupe qui était ce matin au bar de l’hôtel. Ils ont tous de petits sacs. Ils doivent utiliser le portage. Ils me font penser au groupe BCBG croisé à Montredon. Je ne vois pas tellement l’intérêt ; en plus ceux ci sont jeunes, la trentaine, mais comme on dit, « à chacun son Chemin ».
Cette nuit il m’est arrivé deux choses.
D’abord j’ai eu très mal à la jambe, j’ai enlevé l’attelle que jusqu’à présent je gardais aussi la nuit selon la prescription du médecin. Peut-être était-elle trop serrée, au fil du temps la douleur s’est dissipée.
Et puis je ne sais pas si ce sont les anti-inflammatoires mais je fais des rêves. En soit rien d’anormal puisqu’il paraît qu’on en fait tous, mais en général je ne m’en souviens jamais. Quelquefois ils sont affreux, il y en avait un par exemple avec des araignées blanches de deux mètres de haut. Mais cette nuit il était très gai. J’étais avec une dame, nous étions jeunes, elle était brune, très bien faite, très belle et moi aussi j’étais très beau (c’est le genre de détail qui montre qu’on n’est pas dans la réalité) et nous dansions tous les deux, tout nus. Des gens étaient autour de nous et nous regardaient avec plaisir et envie : nous étions joyeux, très heureux, très libres. Rien d’érotique ou de sexuel, simplement un moment de bonheur. Est-ce que cela annonce que je vais retrouver ma liberté entravée par une jambe folle ?
Environ 10h me voilà à Saint-Antoine, un minuscule village qui a beaucoup de cachet avec son église et son ancien hôpital des Antonins. Le ciel est de plus en plus menaçant, j’ai préparé la cape.
11h45 peu après Flamarens avec son gros château du XV° siècle et une église en reconstruction permanente, je m’arrête pour une pause plus longue. Ma jambe commence à se plaindre. Adossé à une meule de foin je profite du paysage. Je repars très vite, la pause est plus courte que prévu car il fait un froid de canard.
13h15 je quitte Miradoux, c’est un gros bourg où je ne me suis pas trop attardé. Le paysage est très agricole, très vallonné avec un patchwork de champs, certains labourés, d’autres encore en culture, tournesol, maïs … J’aime beaucoup.
13h45 Castet-Arrouy apparaît au loin. Sur la droite les ruines majestueuses du Château de Gachepouy se dressent sur un promontoire.
14h30 j’ai fini par trouver le gîte communal de Castet-Arrouy situé dans la mairie. Juste en arrivant j’essuie un abat d’eau. Je l’ai encore échappé belle. Mon nom m’attend sur une porte. J’entre et je découvre un spectacle insolite : il semble qu’on soit dans la salle du Conseil, mon lit m’attend derrière un bunker formé d’autres lits, on dirait une salle d’urgence après une catastrophe. J’apprendrai par la suite qu’il y a eu un mariage ce matin et, pour tenter de faire un peu plus coquet, les lits ont été rassemblés dans un coin. A l’étage il y a des dortoirs avec des lits superposés, je préfère rester là, je suis tout seul il n’y aura pas de ronflements perturbateurs.
Au mur le portrait de notre président : je passe deux heures avec un glaçon, trouvé dans le congélateur, sur la jambe, sous l’œil bienveillant de Nicolas. Ca ne peut-être que bénéfique, les rois soignaient bien les écrouelles.
Dans le gîte nous sommes quatre : une dame, Monique, et les deux copains qui étaient déjà avec moi la nuit dernière. Le soir nous nous retrouvons dans l’unique restaurant du village.
Lors du repas nous évoquons nos petites misères, un des autres marcheurs ayant un problème similaire au mien : une tendinite en face avant du tibia. « C’est parce que vous n’écoutez pas assez votre corps » nous assène Monique. Je lui dis que j’ai fait beaucoup de marathons et faire ce genre de sport et tout l’entraînement qui va avec, c’est justement passer son temps à écouter son corps sinon on n’arrive jamais au bout. Elle me répond que raison de plus : maintenant je paye tous ces excès. J’avoue que le côté zen du pèlerin m’a subitement fait défaut, j’ai explosé. Cela fait au moins vingt fois que j’entends cette sentence « Il faut écouter votre corps » et le terme «payer» qui l’accompagne me choque encore plus, je ne sais pas quelle philosophie ou morale sous-tend ces propos : si tu as un problème c’est que tu as fait une faute, ou au mieux une erreur, et donc tu dois payer. Très peu pour moi. Plus tard sur le Chemin je retrouverai certains de ces donneurs de leçon qui à leur tour «payeront» un moment de surdité. Si mon corps a parlé, je ne l’ai pas compris : je ne paye pas, j’apprends. L’avenir montrera que j’ai retenu la leçon.
La nuit prochaine je ferai étape à Marsolan, à 19 km au-delà de Lectoure, ce qui reste raisonnable. J’espère que demain ma cheville sera d’attaque. Peut-être que cette nuit je vais retrouver mon rêve….
RE : Vive le naturel
Bonjour Nadine,
Désolé de répondre si tard… c’est l’époque buissonnière, le temps des absences…
J’espère que vous n’avez pas attendu mon autorisation pour me suivre pas à pas ou plutôt mot à mot sur ce Chemin de partage.
Cordialement
Buen Camino
Pierre
Vive le naturel
Merci pour ce petit moment de lecture de bon matin 🙂
j’ai éclaté de rires – puis-je vous suivre sur les chemins ? par la lecture évidemment 🙂
Avec beaucoup de retard
Pardon Nadia de répondre si tard. Ton message m’avait échappé, il faut dire que ce jour là j’étais sur le Camino Norte, à San Vicente de la Barquera exactement !
petit dejeuner!
comme toi ,j’ai des amis actuellement sur le chemin et qui comme toi ont de grosses difficultés à prendre un petit dej en cours de route et même trouver un commerce pour se ravitailler!
quel beau voyage tu nous fais partager!
Confidence
Le Chemin libère
le corps et la douleur
C’est marrant de lire Pierre passé de la confidence du rêve au coup de gueule…
NS
Mais Bon Dieu mais c’est bien sûr. Je n’y avais pas pensé, sans doute encore un effet inattendu de son pouvoir omniscience
Re: Castet-Arrouy
En fait c’est la présence de NS qui déclenche les cauchemars euh je veux dire les rêves….
Rêves
Ce n’est pas la quantité qui compte !
Re: Castet-Arrouy
Je devrais peut-être faire une p’tite cure d’anti-inflammatoires… pour rêver plus souvent 🙂