Lundi 8 septembre,
14e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1173 kilomètres
7h35 je viens de quitter le gîte du Soleillou qui veut dire petit soleil en langue d’oc. Il fait très beau. C’est parti pour Moissac.
La campagne est très belle avec des petits monts, des villages en haut des collines, des vallons, beaucoup de verdure, des bosquets. Le chemin est une suite de montées et de descentes dans les pierres et la glaise qui n’arrangent ni ma moyenne ni ma cheville. Un des raidillons est si pentu qu’une main courante en corde a été installée ; quand il pleut ça doit être un vrai toboggan.
10h au loin j’aperçois Lauzerte sur son promontoire.
Je viens de croiser un panneau « Attention troupeau, taureau dangereux, merci de votre compréhension » : c’est vraiment l’aventure !
11h, j’ai décidé d’éviter Lauzerte. Dommage, ce village est magnifique avec ses maisons qui font face au soleil. Il faudra trouver une occasion de revenir le visiter, mais je veux ménager ma cheville et monter là-haut m’inquiète un peu. Par ailleurs je veux gagner du temps : il faut que je sois au plus tard à 18h30 à Moissac et je sens que je ralentis. Je suis rejoint par un Allemand qui était avec moi hier au gîte. Nous contournons ensemble Lauzerte.
Il faut que je m’arrête pour masser ma cheville. Je laisse filer mon partenaire : même s’il ne parle pas un mot de français ni d’anglais il aurait fait un bon compagnon de route, il avait un bon pas, sans forcer, un vrai marcheur. Il reste 25km à faire : ça n’est pas gagné.
En route, dans un instant de découragement, j’envisage de m’arrêter à l’hôtel-restaurant Aube Nouvelle qui est signalé par mon guide comme étant sur le Chemin. Pendant une heure j’en rêve. Je l’attends. C’est devenu mon but. Arrivé à son niveau j’hésite. Il est isolé, loin de tout, sans doute très calme mais si j’ai besoin de soins comment faire ? Je décide de continuer, un petit massage et je repars clopin-clopant. Ma moyenne n’arrête pas de baisser. En route je croise l’Allemand qui fait une petite pause. Tout compte fait je ne suis peut-être pas si lent que ça.
Le paysage est comme ce matin avec le soleil en plus ; des montées et des descentes pas très longues mais raides et des grandes portions plates surtout sur du goudron qui chauffe les pieds. Je ne suis pas fatigué mais cette douleur permanente à la jambe est pénible.
En route je rejoins un groupe de six femmes qui marchent en file indienne au rythme de leurs bâtons. Un vrai petit train. Je les dépasse en bas d’une côte où elles se reposent avant de l’attaquer. Pour ma part je préfère m’arrêter quand je suis en haut.
16h15 j’arrive à l’église d’Epis où un point d’eau est annoncé par le guide. Il faut un peu le chercher mais il est le bienvenu : il fait très chaud. Je profite d’un banc à l’ombre sous le porche pour me masser à nouveau la cheville et prendre un peu de repos. Je sors de l’église quand le groupe de femmes y arrivent, je leur indique le point d’eau : le banc va être surpeuplé.
En principe Moissac est à environ 5 km : j’entre dans la fameuse dernière heure qui va être particulièrement longue aujourd’hui. Ma jambe rouspète à tour de bras si j’ose dire. Demain il faudra lui offrir un petit jour de repos supplémentaire.
Dans une vigne sur le bord de la route un jeune homme est en train de remplir des cageots avec un beau raisin blanc. C’est sans doute du chasselas de Moissac : j’adore ça. Je vais en faire une cure.
16h50 je retrouve la nationale, et devant moi, ô béatitude, le panneau routier « Moissac ». Moissac est une grande ville, il me faut plus d’une demi-heure pour atteindre le refuge, vers 17h 30. Certains ce soir se plaindront de cette portion «urbaine» : immergé dans ma bulle et tout heureux d’arriver enfin je la remarque à peine. Devant moi il y a encore l’Allemand !
L’ancien carmel domine la ville (une dernière côte !) et il est proche du centre historique. C’est très paisible. Ca va être super. De toute façon quoi que ce soit ça sera super. J’y suis !
Mardi 9 au jeudi 11 septembre.
J’ai décidé de rester jusqu’à ce que ma cheville aille mieux. En fait j’ai prévu un arrêt maximum de trois jours, au-delà ça n’aurait plus aucun sens. J’ai dû en rabattre sur mes prétentions, je vais redonner tout le temps, tous les jours que j’ai gagnés sur le planning proposé par le guide. Mon orgueil en prend un coup. Certains vont bien sûr me dire que c’est une leçon de Chemin. Peut-être. Je ne peux pas dire que la décision a été difficile à prendre car en fait je n’ai pas le choix. C’est ça ou l’abandon et cette dernière solution serait un désastre. Je suis obligé de l’envisager surtout après avoir entendu plein de témoignages dans ce sens, mais ça serait l’échec. De plus je me sens responsable de m’être mis dans cette situation. J’en veux aussi à Henri que je rends coresponsable par son rythme de marche trop soutenu. En fait je m’apercevrai plus tard qu’il n’y était pour rien, que je suis capable de me faire ça tout seul comme un grand et que de toutes façons je n’étais pas obligé de le suivre.
Il y a aussi la pression du « fan-club », la famille, les amis. Ils seraient déçus (du moins je l’imagine) et ce serait la honte. J’ai rencontré un pèlerin qui a démarré du côté de Nancy et a écopé d’un problème similaire. Un kiné lui a fait un strapping, il est reparti en raccourcissant les étapes ; maintenant tout est rentré dans l’ordre. Il fait partie d’un groupe et son village avait fait une fête avec fanfare et tout le tsoin-tsoin pour leur départ : lui non plus ne se voyait pas rentrer sur abandon. La pression des « fan-clubs », pression que l’on se forge soi-même, est stressante mais participe au refus de la résignation : merci au « fan-club ». Si ce dernier récit est encourageant, les récits de ceux qui ont dû abandonner et qui en sont maintenant à leur deuxième tentative le sont beaucoup moins : ils disent tous que la douleur a disparu au bout de plusieurs semaines ! L’ancien carmel est agréable mais je ne me vois pas y passer tout ce temps !
Le matin du 9 septembre j‘ai la chance d’avoir un rendez-vous chez un médecin non loin du gîte. En une minute il diagnostique une ténosynovite (« inflammation de la gaine synoviale, qui est la membrane qui entoure certains tendons, facilitant en cela leur glissement. »), de la gaine du tendon situé devant le tibia. On est loin de l’inflammation du périoste due peut-être à une piqûre d’insecte qui avait été diagnostiquée pour Marcus !
Il me prescrit une attelle de cheville (sur le moment cette idée ne me séduit pas du tout : je me vois presque en fauteuil roulant), un anti-inflammatoire, des applications de glace et beaucoup de repos. Je fonce, enfin j’essaye, dans une pharmacie où la pharmacienne m’installe tout de suite l’attelle. Ca n’est pas l’affreux instrument orthopédique que j’imaginais, ça se scratche autour de la cheville et c’est très confortable : un miracle, j’ai l’impression d’être en chaussons, j’oublie presque que j’ai une cheville. Je reprends espoir : merci toubib !
L’ancien carmel n’a plus de fonction religieuse, c’est un gîte d’étape municipal dont la gestion a été confiée au Club Alpin par la ville. Il y a évidemment une petite ambiance religieuse liée au Chemin et au cadre mais rien à voir avec Conques par exemple. Nous sommes accueillis par une équipe d’hospitaliers qui sont membres du Club Alpin mais ça n’a pas l’air d’être la règle générale, la prochaine sera plus hétéroclite. Celle-ci est bien rodée, on sent qu’ils se connaissent depuis longtemps et, que ce soit pour la cuisine, le service ou l’accueil, on se croirait dans un village-vacances. Il y a même une possibilité d’avoir une séance gratuite de réflexologie plantaire. Beaucoup de pèlerins profiteront de cette opportunité et s’en diront enchantés. Je suis tenté mais vu l’état de ma cheville je préfère éviter les manipulations.
Mes journées vont se partager entre longues séances de repos allongé avec poche de glace sur la cheville, lecture (j’ai acheté deux livres) et quelques sorties pour visiter la ville : l’abbatiale, le cloître, les musées, le pont canal,…La ville est très agréable mais je limite mes déplacements.
Dès la deuxième nuit j’ai la chance de bénéficier d’une chambre seule, celle de l’infirmerie. C’est bien sûr plus confortable et surtout plus tranquille mais je ne vois plus personne. Heureusement il y a les repas communautaires du soir. J’y vois défiler beaucoup de pèlerins que j’avais dépassés. Au début j’appréhendais mon rôle de malade et je culpabilisais un peu mais ça se passe bien. Il y a bien sûr les inévitables donneurs de leçons mais en général les gens sont attentifs et compréhensifs : mon attelle attire l’œil et beaucoup y vont de leur confidence, beaucoup ont déjà eu un problème. Cet incident m’intègre un peu plus dans la communauté des marcheurs du Chemin.
J’ai notamment retrouvé, toujours avec le même plaisir, le couple allemand de Bavière qui, eux, ont fini, ils vont rentrer, en fin de semaine ils prennent l’avion pour Munich. Apparemment ils ont le même plaisir à me rencontrer. Il y a des choses comme ça qui ne s’expliquent pas.
La population qui défile autour de la table est très variée. Il y a évidemment ceux qui visent Saint-Jacques en une seule traite, mais il y a ceux qui font le Chemin par petits bouts, quelquefois même seulement 2 à 3 jours à la fois mais plusieurs fois dans l’année. Il ya les cyclistes qui font par exemple Lyon-Saint Jacques aller-retour ; beaucoup ont fait le Paris-Brest, chapeau ! Il y a les anciens cyclistes qui, l’âge venant, se sont reconvertis à la marche.
Le dernier jour, jeudi, ma jambe va beaucoup mieux. Je commence à piaffer, mais j’ai essayé de marcher sans l’attelle : ce n’est pas parfait. Je me souviens du gars qui a repris le Chemin avec son strapping. Je décide d’essayer de marcher avec l’attelle dans la chaussure en faisant des petites étapes. Je me suis entraîné le long du canal, c’est jouable.
Je prépare un colis avec les livres, la poche à glace et quelques bricoles qui ne me servent pas. Je le posterai demain-matin Je fixe ma semelle avec du scotch double-face. Je réserve à Auvillar, à 21 km. Je passerai le long du canal, c’est plus court et surtout c’est plat. Je suis prêt.
Aujourd’hui il a beaucoup plu : décidément je sais choisir mes jours de repos.
Pendant ces jours de doute Hélène, ma femme, m’a formidablement bien soutenu sans montrer son inquiétude. En fait je ne connais pas vraiment la solitude : on se téléphone tous les jours.
Chemin depuis Bruxelle
Bonjour Rudi,
Comme tu as pu le lire je n’ai aucune expérience personnelle en ce qui concerne la pratique de la tente sur le Chemin. Pour moi ce serait trop lourd à porter sur une aussi longue distance. Mais cela doit être une belle aventure quand on peut le faire.
Buen Camino et racontes nous au retrour
Re: Moissac
Je conts prendre le chemin en mai 2014 de bruxelles belgiquae jusqu’au bout avec tente et ce qu’il faut rarrement en gites voir pas du tout je vais le faire seul si tu a quelques informations a me donnee lmerci a toi
Prudence
La sagesse fait désormais partie de mon paquetage.
Moissac
Quelle belle étape, je découvre tjs de belles choses et cette ville en est riche. Je suis soulagée de te découvrir enfin soigné correctement la bonne étoile du pélerin n’est pas tjs à la hauteur des bobos du marcheur.
Je présage qu’Hélène va te voir repartir avec qq inquiétudes cette fin d’été, d’un autre côté tu seras certainement plus prudent pour tes chevilles..
susie
Continuation
Bonjour Claude,
Il y a quelques contacts qui perdurent au delà du Chemin, mais ils restent pour le moment purement spirituels, pardon, je voulais dire virtuels par Internet
le fan-club
ça m’a fait tout drôle de me découvrir membre d’un fan-club! on est quand même bien content que ta teno… se soit bien terminé.
Certaines de ces rencontres intéressantes ont elles eu une continuation après le chemin ou ne se vivaient-elles pleinement que dans l’ambiance « pélerins »?