Dimanche 1er septembre.
Premier jour de marche : Rome est à 1762 kilomètres.
Sous la tonnelle, nous sommes cinq à prendre l’apéritif.
Deux automobilistes hollandaises, l’une communiquant en français et l’autre en anglais, sont en route pour Limoges ; devant nos airs interrogatifs elles précisent qu’il s’y tient une brocante importante.
Nos hôtes eux sont retraités, lui était boucher et tenait également un restaurant avec sa femme. Il s’occupe avec succès d’un joli jardin dont il tire notamment des tomates, 200 kilogrammes de cœurs de bœufs cette année, et beaucoup de fruits dont il fait des confitures et une liqueur de cassis qu’il nous a proposée sous forme de kir, mais je lui ai préféré un vieux whisky.
Mon tour de me présenter survient avec la question « Et vous allez où comme ça ? » et ma réponse « À Rome. ». « À pied ! ». J’aurais sans doute été frustré s’ils n’avaient pas été surpris. Du statut de randonneur je passe à celui de « marcheur fou » ou quelque chose d’approchant, puis ils pensent à Compostelle, comparent les distances, vont chercher des cartes et je leur explique mon projet, car pour le moment ce n’est que ça, un projet que je lance sur les rails ou plutôt sur les sentiers. D’abord marcher jusqu’aux environs de Bar-sur-Aube en suivant grosso modo les Chemins de Grandes Randonnées, les GR, où je rejoindrai la Via Francigena, un itinéraire culturel européen qui débute à Cantorbéry en Angleterre, traverse la France en direction de Pontarlier, puis passe en Suisse où il rejoint l’Italie par le col du Grand-Saint-Bernard pour atteindre enfin Rome. Certains le parcourent dans l’autre sens, de Rome à Cantorbéry, à l’instar de l’archevêque de Cantorbéry, Sigéric, lors de son retour de Rome en 990 où il avait reçu des mains du Pape le pallium (un ornement liturgique, une sorte d’étole, porté notamment par le Pape et certains archevêques). Le manuscrit où il a consigné son itinéraire de quatre-vingts étapes d’environ vingt kilomètres est devenu la référence historique de l’actuelle Via Francigena. À un départ depuis Cantorbéry qui me semblait un peu artificiel j’ai préféré commencer cette aventure depuis chez moi comme un ancien romieu l’aurait fait.
Cette nuit j’ai mal dormi, l’excitation et toujours malgré tout une certaine appréhension devant l’inconnu, mais peut-être aussi une conséquence des joyeuses libations de vendredi soir où avec un groupe d’amis nous avons arrosé mon prochain départ.
Ce matin beaucoup d’émotion de part et d’autre au moment du départ. Même si ce n’est pas la première fois et si elle s’associe à cette nouvelle aventure, c’est sans doute plus difficile pour Hélène, ma femme, elle la subit un peu ; elle sera dans l’attente, moi dans l’action. Si tout se passe comme prévu la séparation durera environ deux mois.
Puis sous un beau ciel bleu parsemé de petits nuages en forme d’écharpes effilochées j’ai rejoint le GR1 qui m’a d’abord conduit à Saint-Arnoult-en-Yvelines où j’ai laissé partir vers le sud le chemin suivi lors de mon voyage à Compostelle par la voie de Tours pour mettre le cap plein est vers Dourdan et arriver enfin ici à Sermaise. Dans ce genre de voyage les GR me servent de fil conducteur, mais je n’hésite pas à les abandonner pour prendre au plus court ou pour m’économiser l’escalade d’une colline, le goudron s’il n’est pas trop fréquenté ne me rebute pas : il faut ménager la monture, la route est encore longue, quelque 1 800 km.
Parti vers 8h30 je suis arrivé vers 17h30, en forme malgré treize kilos sur le dos. C’est beaucoup, peut-être trop, il faudra tester sur la distance. Sur les conseils d’un ami qui m’a précédé sur cette voie, j’ai ajouté à mon paquetage habituel un petit matelas autogonflant qui devrait me permettre de coucher n’importe où, les hébergements y étant réputés rares. Le mois denier j’ai fait une chute en faisant la course sur une route avec mes petits-enfants. Mon amour propre n’a pas été la seule victime de cet incident, mon épaule droite a heurté violemment le bitume et chaque mouvement déclenchait de vives douleurs. Adieu le voyage vers Rome ! Mais petit à petit la souffrance s’est atténuée et si certains mouvements restaient pénibles, le portage du sac ne l’était pas. J’ai décidé de tenter ma chance. À mon retour j’apprendrai qu’un ligament de l’épaule s’était rompu, qu’il aurait fallu l’immobiliser immédiatement, pourtant aux urgences où je m’étais rendu dès le lendemain on m’avait juste conseillé de prendre un peu d’Aspirine !
Une belle première journée ensoleillée émaillée de nombreux messages d’encouragement. Conformément à la rubrique « Prendre le temps » de ma feuille de route je me suis offert le luxe d’un petit moment de méditation, au calme, en forêt. À l’arrivée, ce qui ne gâte rien, un gîte splendide, Chez Martine et Guy, avec une chambre magnifique qui n’augure pas des haltes suivantes et des hôtes sympathiques. Ayant mentionné lors de ma réservation mon état de marcheur et toutes les possibilités de restauration proches étant fermées le dimanche soir mon hôtesse s’était proposée pour me préparer un petit en-cas. En fait elle a saisi l’occasion pour se lancer : ce sera sa première « table d’hôte » et c’est un vrai repas qui nous attend après l’apéritif. Un bon début !
33 kilomètres parcourus depuis chez moi, à Auffargis.
Ci-dessous une galerie de photos, d’éventuelles précisions sur des curiosités locales, la navigation vers les étapes suivantes ou précédentes et la possibilité de déposer un commentaire.
Bonjour Pierre,
Félicitations ! Je suis vraiment ravie que tu t’ attelles, ENFIN ;), à écrire le récit de ta marche sur la Francigena.
Tu vas faire des heureux. Les pèlerins romieux semblent de plus en plus nombreux.
J’ ai hâte, pour ma part, que tu arrives à la rédaction des étapes suisses, Alors, au boulot, Pierre !
Amitiés à Hélène et toi.
Anne
Merci Anne pour ces encouragements énergiques ;o)
La Suisse est encore bien loin, il va falloir que tu patientes.
Amitiés
Pierre